— Paul Otchakovsky-Laurens

Mariage et autres mésaventures

Sex Detectives 2

Noa Y. Lions

Deuxième volume des aventures de nos deux détectives, Dougheurl et Duboï, spécialisés dans les enquêtes mêlant sexologie, psychologie, pornographie. Première et nouvelle aventure : Dougheurl et Duboï se marient. Ils ont convié d’anciens rendez-vous, « celles et ceux auprès de qui leur mission a été accomplie au mieux et avec qui ils gardent de bons rapports ». Mais ils n’avaient pas forcément prévu que leur nouveau statut social et amoureux allait influencer leurs enquêtes et leurs rencontres professionnelles, ni qu’ils auraient à faire face à de nouveaux fantasmes, de nouvelles demandes de couples mariés souvent...

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La presse

Coïto ergo cogito

À présent mariés, les sex detectives affichent une sérieuse « Dézinzinvolture ». Léger mais profond.

Elle c’est Dougheurl et lui Duboï (des surnoms datant de leurs années de lycée), les « Sex Detectives  »  : le sous-titre de ce deuxième roman de « Noa Ymar Lions », là aussi un pseudo et qui sent fort son anagramme, reprend le titre du premier (P .O.L, 2023) qui mettait en scène ce duo d’associés dessinés à la va-vite, on s’en suffit. « Elle, Dougheurl : grande, bien faite, sexy. Lui, Duboï : grand, bien fait, sexy. » Leur âge ? « 30-35 ans ». Sex detectives, en anglais dans le texte : comme dit un client d’emblée fan du concept, « C’est une profession qui nous manque depuis plusieurs années maintenant ». En fait depuis toujours puisque Dougheurl et Duboï l’inventent. Les pionniers sont aimablement pédagogues, mais les contours de leur job sont aussi flous que leurs silhouettes. Pas grave : c’est d’abord une idée, qui vaut tout autant pour définir l’activité professionnelle du tandem que l’intention littéraire de leur énigmatique auteurice, une Elena Ferrante version azimutée : « Il s’agirait de mêler sexologie, psychologie, pornographie et amour afin de mieux cibler la clientèle ».

Au début de ce deuxième tome nos détectives se marient, ce qui surprendra si l’on a lu dans le premier : « Amants peut- être, mais sûrement pas mari et femme ». Alors ? Certes la mère de Dougheurl en rêvait et les parents de Duboï « ont fait preuve de suivisme », au reste c’est eux qui paieront le buffet. Mais le mariage peut nuire à l’image cool de la petite entreprise qui ne connait pas la crise, et les deux trentenaires se trouvent « agacés d’être si soumis à leurs parents ». Si bien qu’ils se demandent et nous aussi pourquoi diable ils disent oui. « Il y a tout le conscient et l’inconscient, et aussi la désinvolture. » La désinvolture ou même « dézinzinvolture » est le maître-mot de ce livre en effet « zinzin », au style aussi insouciant que ses personnages le sont, jusque dans les expressions toutes faites, proverbes, truismes, qui émaillent les dialogues et les apartés sur le mariage, la jalousie, les scénarios fantasmatiques des clients. Les sex detectives sont les farouches « partisans d’une légèreté », c’est bien ce qui fait leur charme et celui du roman.

Toutefois, outre les références explicites (« Tintin et Milou », « Columbo », Georges Bataille qu’aime Dougheurl et qui ennuie Duboï), on a le sentiment étrange que d’autres sont là en filigrane. C’est que dans ce roman dont il n’est pas douteux qu’il fera l’objet sous peu d’appels à colloques savants, «  C’est un fait qu’on ne sait jamais ce que qui que ce soit veut dire quand il dit quelque chose, surtout dans les conversations à caractère sexuel ». Ainsi quand le client Titi confie le tourment que lui cause le fait de devoir toujours « se promener avec un tube de vaseline » sur lui, on se souvient, dans l’Ulysse de Joyce, de Bloom qui dans sa poche serre son poing sur sa savonnette. Tout comme chez Beckett, le caractère absurde de situations à première vue cocasses peut soudainement se retourner en angoisse, Quand Duboï, histoire de dire quelque chose, répond à Titi qu’au moins « Ce n’est pas trop encombrant », un tube de vaseline, lui réplique : « Pas encombrant ? Mais je n’ai que ça dans la tête ». Et quand le même Titi, plus loin, évoque ses pratiques avec ses partenaires, on bascule carrément dans la gravité : « Je déteste les chiens et je fais le chien ou ils font les chiens ou les chiennes ou nous tous ensemble, c’est normal d’avoir des remords ensuite ».

Quant au dénommé Columbo – trois amantes, « laquelle quitter » ? – sa logique toute en « A, B et C » révèle à contrario qu’« une légèreté, une souplesse, une frivolité aussi importante que le superflu est nécessaire » dans ces affaires néanmoins on ne peut plus sérieuses. Parce que comme dit Dougheurl, « des idées, c’est ça qu’on recherche, pas des fantasmes ». Le livre refermé, la sexualité, mine de rien, est devenue « une façon de réfléchir ». Un roman qui, pour être drôle, donne aussi à cogiter. À « ça » et au reste.

Jérôme Delclos, Le Matricule des Anges, avril 2024