— Paul Otchakovsky-Laurens

La Cavalière

Nathalie Quintane

En mars 1976, on a pu lire dans la presse : « Des partouzes chez la jolie prof de philo du lycée mixte ! Tous les honnêtes gens de Digne crient au scandale et ils ont raison. » La prof en question s’appelait Nelly Cavallero, trente-quatre ans, professeure agrégée de philosophie au lycée de Digne. Suspendue de ses fonctions par décision rectorale du 3 mars 1976, inculpée d’incitation de mineurs à la débauche par un juge d’instruction. Pour Nathalie Quintane, la Cavalière, c’est elle, Nelly Cavallero. En ce milieu des années 70, loin déjà de 68, on est bien décidé à l’éteindre, et pour cela à...

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La presse

SUSPENDUE

Sur les traces d’une enseignante poursuivie dans une affaire de moeurs dans les années
1970, Nathalie Quintane questionne l’actualité de la violence politique.


Nathalie Quintane n’est pas familière des retours sur le passé, elle qui occupe si politiquement et littérairement le présent et dont les livres se tiennent au plus près d’une forme d’actualité des luttes. On s’étonne - et elle aussi, qui avoue avoir longtemps repoussé l’écriture de ce texte - de la voir revenir quarante-cinq ans en arrière, sur les traces d’une affaire de moeurs qui a agité la ville de province où elle vit, et qui a eu un écho médiatique national. La Cavalière, c’est Nelly Cavallero inculpée pour incitation de mineurs à la débauche, une prof agrégée de philo originaire de la banlieue parisienne, suspendue par l’Éducation nationale en 1976, mise en accusation par la bonne société de D. où l’écrivaine enseigne le français depuis plusieurs décennies. Nathalie Quintane raconte Nelly, la séditieuse, la réfractaire, « sa fureur, son allégresse » et les motivations de la répression qui s’est abattue sur elle, comme sur les enseignants, nombreux, qui à l’époque dérangeaient.

Le récit est une enquête à sa manière, « dans le plus grand désordre chronologique, évidemment », qui réunit les mots des témoins locaux - certains ont relu et parfois rectifié -, qui retranscrit ceux, mis à plat, des articles de presse, qui recueille les souvenirs indirects d’une prof de Grenoble rencontrée par hasard, radiée de l’Éducation nationale cinq ans avant l’affaire Cavallero...


Mais ce qui bat au coeur révolté de ce récit, ce sont des questions que l’écrivaine nous adresse, autant qu’à elle-même : qu’est-ce qui fait écho aujourd’hui dans cette vieille histoire ? Que dit le cas Nelly Cavallero de la violence politique actuelle, celle de l’institution scolaire, du pays ? Quelles utopies sont encore possibles ? « On comprend mal le présent en partant du passé même si on ne peut comprendre le passé qu’à partir du présent. Mais qu’est-ce que je cherche à comprendre ? Des choses montent - des vues, des bribes. Je les recopie, je les consigne. J’aimerais bien savoir si vous voyez ce que je vois, si vous entendez ce que j’entends, si vous pensez que j’exagère ou au contraire que je suis en dessous de la réalité ». Pour la première fois peut - être, à la fin, on croit entendre sous la colère mate et ironique qui rend l’écriture de Nathalie Quintane si reconnaissable, quelque chose qui ressemble moins à un état des lieux, à un avertissement, qu’à une exhortation. Conjuguée au présent de l’impératif.


Véronique Rossignol,LH le Magazine, octobre 2021



Nathalie Quintane : « Nelly, ce n’est pas moi, mais ce livre, c’est moi... » (La Cavalière)


Magistral : tel est le mot qui vient à l’esprit après avoir achevé la lecture de La Cavalière de Nathalie Quintane qui vient de paraître chez P.O.L.


Lisez l’intégralité de l’article de Johan Faerber sur Diacritik (26 octobre 2021).



La Cavalière de Nathalie Quintane


À travers le parcours d’une femme hors norme, l’écrivaine réfléchit à la répression
d’État depuis les années 1970.


Avec ses derniers textes implacables sur le fonctionnement de notre société, Nathalie Quintane est devenue une des autrices les plus politiquement engagées du paysage littéraire français. Aujourd’hui, elle s’intéresse à une femme qui, au début des années 1970, prof dans la petite ville où elle-même s’est installée, a été radiée de l’Éducation nationale. Surgit alors un temps où, dans le sillage de Mai 68, des gens cherchaient un mode de vie alternatif dans des coins tranquilles de province, au beau milieu du capitalisme triomphant des Trente Glorieuses. Et se sont heurtés â la violence de l’administration, "la contre-insurrection harnachée de néolibéralisme, persuadée que c’était le moment de remettre de l’ordre en y allant à fond, sans états d’âme, par tous les moyens".

C’est toute une époque que Quintane fait revivre ici, exhumant tracts, articles de journaux, oeuvres littéraires. Les propos de ceux et celles que l’autrice interroge, témoins directs toujours éparpillés dans la région, révèlent une logique que la mémoire officielle a recouverte : "Ça n’avait rien d’un "faute de mieux" ce repli [...]. Non. C’était en attente de la révolution, qui ne larderait guère."

La Cavalière est conçu en forme de démonstration, étayée par des souvenirs personnels, des réflexions politiques, des conversations entendues, des documents d’archives. En poétesse, Quintane porte une grande attention aux mots de ses interlocuteur-trices, mais surtout aux discours officiels, pour mieux décortiquer les mécaniques d’oppression à l’oeuvre. Elle fait le lien entre les violences policières d’hier, quand la maréchaussée envahissait des fermes occupées par des communautés hippies, et celles d’aujourd’hui dans les manifs. Car ce travail d’enquête "n’est pas la reprise d’un scandale ni même celle d’un fait divers mais une mise à jour pour aujourd’hui !"


Sylvie Tanette, Les Inrockuptibles, octobre 2021.



La Cavalière chevauche vers la liberté


La radiation d’une enseignante en 1976 permet à Nathalie Quintane de revenir sur l’actualité des luttes d’un temps où la révolution était proche.


L’ « affaire » n’a pas eu le même retentissement que celle qui a conduit, en l969, la professeure Gabrielle Russier au suicide. Pourtant quand Nelly Cavallero a été inculpée d’« incitation de mineurs à la débauche » et radiée de l’éducation nationale dans la foulée, le parallèle s’imposait. Elle était « prof de philo » au lycée de D. où enseigne aujourd’hui Nathalie Quintane et avait hébergé un ami homosexuel. Cet événement judiciaire de 1976, un des rares, avec l’« affaire Dominici» à s’être produit dans la ville, est à l’origine de ce livre. C’est Françoise, rencontrée à Grenoble lors d’un festival littéraire, qui a mis en route ce livre. Elle avait été révoquée en 1971 - l’apogée du mouvement lycéen - pour avoir discuté avec ses élèves d’un tract tiré d’un livre de Jules Celma Journal d’un éducastreur. « Combien de radié.e.s exactement entre 1969 et 1976 ? », se dit l’autrice.


« Le sentiment qu’on peut changer les choses »


La Cavalière n’est pas une enquête, mais un retour « dans le plus grand désordre chronologique » à cette époque. Vincent, un ami qui a fondé une communauté à Dormillouse, au fond d’une vallée isolée des Hautes Alpes, rappelle : « C’était en attente de la révolution qui ne tarderait guère. (...) tous les soirs on se disait: c’est pour demain matin. » Nathalie Quintane suit à la trace les choix, les engagements de ceux chez qui a brûlé, et brûle encore, « le sentiment qu’on peut changer les choses ». Comprendre comment cela a pu se faire, et se vivre. Comment, pour certains, se concrétise ce refus : « pas dans un bureau et pas enseigner », écho du pas si lointain « ne travaillez jamais ». Retourner voir ces femmes et ces hommes, questionner leur mémoire permettent de restituer dans toute son étendue l’esprit d’une époque où le retrait, l’action militante extrême et le rejet d’une pédagogie asservissante étaient les faces d’une même conception de la vie. Cela ne va pas sans redire ce que l’on oublie quand on parle de cette époque « permissive », l’impitoyable répression qui frappe tous azimuts, sous de Gaulle, Pompidou, et sous Giscard, le président de la « décrispation ».

Nelly Cavallero, différente et audacieuse dans sa longue cape noire de cavalière « qui sort de la nuit », incarne cette intransigeance irréductible. Nathalie Quintane, qui a écrit ce livre entre Nuit debout, les lacrymos du 1er Mai près de l’hôpital de la Pitié et les charges de policiers contre les gilets jaunes, nous propose de reprendre cette chevauchée de la liberté. Comment refuser ?


Alain Nicolas, L’Humanité, 14 octobre 2021.



Un passé brûlant


La Cavalière, de Nathalie Quintane, est un récit court et qui va vite, qui frappe fort. On reste en effet saisi, et même un peu estomaqué, par cette enquête haletante sur une femme professeure à Digne-les-Bains, dans les années 1970, Nelly Cavallero, radiée de l’éducation nationale pour avoir été mêlée à un fait divers (on l’accusa d’avoir favorisé, en prêtant un appartement, des soirées de débauche avec des jeunes gens),incarnation féministe de ce qu’il est sans doute réducteur d’appeler une utopie, révélatrice en tout cas de luttes - toujours pertinentes - contre une forme particulièrement violente de pouvoir institutionnel.

La puissance singulière du livre tient au fait qu’il n’obéit pas à un principe «centrifuge » autour d’une figure héroïque, si solaire que pût être la très intrigante Nelly (de laquelle on apprend qu’elle est morte en 2017) : à partir de cet astre ambigu, capé de noir, ce sont plutôt des bribes qui éclatent, dans un texte fait de fragments et de références, de témoignages qui parfois se contredisent mais réveillent, avec un sens impressionnant du montage, un passé proprement brûlant. Sans aucune nostalgie, ces fusées viennent ainsi blesser le présent, dans un geste radical, plein de superbe.


Fabrice Gabriel, Le Monde Des Livres, 17 décembre 2021.



La Lady D. de Nathalie Quintane


L’histoire d’une prof radiée de l’Education nationale dans les années 70 fait remonter des « bribes », des « vues » d’une époque ouverte à l’utopie.


Elle portait une grande cape noire, ça épatait les habitants, elle était « rebelle et rayonnante ». Et puis « la prof de philo » est devenue la scandaleuse de D., plus précisément Digne-les-Bains. Cette femme, qui a réellement existé s’appelait Nelly Cavallero, elle fut au milieu des années 70 impliquée dans un fait divers. Elle avait prêté un local à un ami, sans lui demander de comptes (elle ne fermait jamais sa porte à clé) : il y recevait des jeunes garçons.

La presse s’emballe, et d’abord Nice-Matin, « dite Nice-Putain ». Ici Paris décrit « des partouzes », avec des détails sortis d’une imagination sans fond. Nelly Cavallero enseignait dans un établissement de Digne, comme le fait depuis des années Nathalie Quintane. Elle est limogée de l’Education nationale (puis réintégrée) et cette affaire la poursuivra toute sa vie. Dans cette période post-soixantehuitarde de remise au pas, des profs sont radiés à la pelle, le mouvement lycéen est à son apogée. Et la volonté de vivre autrement se concrétise par la constitution de communautés, de départs en zones rurales. Une époque qui résonne singulièrement quarante ans plus tard.

Nathalie Quintane aurait pu faire un simple portrait de cette femme morte en 2017 qui eut aussi une vie dans le monde du théâtre. La Cavalière aurait pu être une plongée bien balisée dans les années 70. Mais le retour sur le passé, la nostalgie n’ont pas cours avec elle. L’autrice est une femme engagée, qui sympathise avec les luttes actuelles. Alors ce livre « n’est pas la reprise d’un scandale, ni même celle d’un fait divers mais une mise à jour pour aujourd’hui. » Et c’est effectivement là une traversée de strates temporelles totalement vivifiante.

Son récit suit l’enquête auprès de témoins pour faire remonter « des vues, des bribes ». Elle rencontre d’anciens « hippies, babas, anars » vivant alors de rien. Elle rappelle les refrains des jeunes de ces années lointaines : « se tirer de là et le plus tôt sera le mieux », « ne pas travailler » ou la variante « pas dans un bureau et pas enseigner ». Elle raconte comment sexe et révolution se sont désolidarisés. Près de la fin : « Que le sexe c’est la politique, des pédés, des gouines, au moins, en ont su quelque chose. En savent - comme ce livre tâche de mettre le passé au présent, et bien plus, s’il est de littérature, le présent au présent. »


Frédérique Fanchette, Libération, octobre 2021.

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