Imagine Claudine
Paul Fournel
Nous voici de retour dans le village des Grosses rêveuses (Le Seuil, 1982) et du Livre de Gabert (P.O.L, 2023), un coin jadis perdu dans la Haute-Loire qui s’est rapproché subitement de la ville par la grâce d’une nouvelle autoroute. L’arrivée des urbains qui quittent le centre-ville va faire bouger les lignes. La grosse Claudine est même devenue riche, toujours là avec ses mauvaises humeurs légendaires, la veuve Waserman se révèle plus active morte que vive, Mademoiselle Thérèse, la maîtresse d’école, a des soucis avec l’accent circonflexe, la petite coiffeuse a les seins qui pointent. Mais le village a gardé ses ombres et ses mystères. Les...
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Nous voici de retour dans le village des Grosses rêveuses (Le Seuil, 1982) et du Livre de Gabert (P.O.L, 2023), un coin jadis perdu dans la Haute-Loire qui s’est rapproché subitement de la ville par la grâce d’une nouvelle autoroute. L’arrivée des urbains qui quittent le centre-ville va faire bouger les lignes. La grosse Claudine est même devenue riche, toujours là avec ses mauvaises humeurs légendaires, la veuve Waserman se révèle plus active morte que vive, Mademoiselle Thérèse, la maîtresse d’école, a des soucis avec l’accent circonflexe, la petite coiffeuse a les seins qui pointent. Mais le village a gardé ses ombres et ses mystères. Les vivants s’affairent, les morts rôdent. Le recueil tente de répondre à des questions brûlantes en rassemblant des hommes et des femmes : leur appétit, leur désir d’être différents, leur soif de vie et de mort, le goût irréductible de leur territoire. Comment Claudine se retrouve-t-elle prof de gym?? Qui a détruit la maison de la veuve Waserman??
Sur tout cela Claudine a son mot à dire. Cette mutation est contée dans une mosaïque de textes courts qui s’enchaînent et se répondent, entraînant les lecteurs dans une sarabande menée par Claudine « à qui on ne la fait pas ».
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La presse
L’ancien régent du Collège de pataphysique revient avec une série de nouvelles entrecroisées.
La douce ironie de Paul Fournel
Dans une ville jamais nommée, Paul Fournel fait tourner ses personnages d’une nouvelle à l’autre et le lecteur les retrouve comme de vieilles connaissances. Une certaine Claudine domine cette scène morcelée. Elle déteste tout et s’acharne avec une joie mauvaise. Le vin rouge «lui fait couler un peu de bonheur dans les veines». Un jeune agent immobilier se mue en promoteur carnassier qui tire profit de la déliquescence du centre-ville. Une femme qui fait « profession de veuve » devient la messagère de l’au-delà. Un livreur à vélo, sous la plume de Paul Fournel, se dit: «Ce que J’aime dans mon métier, c’est que j’ai toujours le dos au chaud. Le dos au chaud et les jambes au frais».
Un tatoueur sombre, aux allures de rocker, recèle tous les secrets intimes de cette ville. Une institutrice épouse un graffeur sauvage pour l’empêcher de continuer à sévir. Elle ne dort plus à cause de la réforme de l’orthographe et tient un Cahier des destins pour suivre ses anciens élèves: «Les bons à rien étaient devenus bons à tout ». Une anorexique se nourrit de «tartines de tristesse ». Un bon garçon s’évertue à ruiner sa mère par une série de subtils chantages affectifs. Les revenants, invisibles, composent des lettres anonymes pour solder de vieilles rancœurs et jouir du spectacle de la zizanie parmi les vivants.
Le vélo n’est jamais absent de l’imaginaire de l’ancien régent du Collège de pataphysique, titulaire de la chaire de Vélocipédie théorique&pratique. Il pointe son guidon dans plusieurs nouvelles. L’ex-président de l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle) entremêle ses nouvelles avec un art très singulier de la construction en échos. Les chutes arrivent comme de douces surprises, teintées de la douce ironie de Paul Fournel. Un auteur qui arrive à placer des Chamonix orange ne peut être foncièrement mauvais.
Jean-Claude Raspiengeas, La Croix, 02 mai 2024