— Paul Otchakovsky-Laurens

Arcadie

Prix du livre Inter 2019

Emmanuelle Bayamack-Tam

La jeune Farah, qui pense être une fille, découvre qu’elle n’a pas tous les attributs attendus, et que son corps tend à se viriliser insensiblement. Syndrome pathologique ? Mutation ou métamorphose fantastique ? Elle se lance dans une grande enquête troublante et hilarante : qu’est-ce qu’être une femme ? Un homme ? Et découvre que personne n’en sait trop rien. Elle et ses parents ont trouvé refuge dans une communauté libertaire qui rassemble des gens fragiles, inadaptés au nouveau monde, celui des nouvelles technologies et des réseaux sociaux. Et Farah grandit dans ce drôle de paradis avec comme terrain de jeu les hectares de prairies et forêts...

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Traductions

Allemagne : Secession Verlag | Argentine : El Cuenco de Plata | Espagne : Armaenia | Grèce : Polis | USA : Seven Stories Press |

La presse

Le paradis perdu d’Emmanuelle Bayamack-Tam


À Liberty House vit une belle bande d’inadaptés hédonistes. Jusqu’à quand ? « Arcadie », délicieux roman qui célèbre les noces de l’écriture et de la vie.


Bien des cuisses fermes et nues de pensionnaires ont glissé sur les rampes de ses escaliers, au milieu des ris et des quolibets. Dans les tréfonds de la vallée des merveilles, à la frontière transalpine, s’allonge une immense bâtisse : un internat pour jeunes filles reconverti en « maison du jouir », du nom de la dernière demeure de Paul Gauguin (1848-1903). Là-bas, sur les rivages tahitiens, le peintre avait réinventé l’Arcadie des Anciens. Une terre de lait et de miel, fertile et frémissante, propice aux bacchanales et à la création, où les bergers chantent l’amour et sont heureux. Nul ne s’étonnera donc que, dans Arcadie, le nouveau roman d’Emmanuelle Bayamack-Tam, la « maison du jouir » soit tenue par un mentor charismatique, quoique bedonnant, du nom d’Arcady.


« L’amour triomphe de tout »


Le phalanstère de Liberty House a choisi de vivre selon une seule règle : « Omnia vincit amor », « L’amour triomphe de tout ». Ses sociétaires, au dernier degré de l’inadaptation sociale, y vivent en réfugiés, à l’écart du monde, sans technologie ou presque, l’antispécisme chevillé au corps. Ils font tout en communauté, y compris l’amour. Farah y habite depuis ses 6 ans avec sa famille. Sa mère est électrosensible. Son père, illettré et hyperémotif. Sa grand-mère, une lesbienne naturiste qui collectionne les amantes les plus exquises. Or voilà, Farah est folle d’Arcady, à qui elle souhaite offrir sa virginité. Pourtant, surprise : à la puberté, elle ne rejoint pas « le gang des go ». Elle n’a pas le corps d’une fille, mais de plus en plus celui d’un garçon.
Arcadie n’est cependant pas le roman d’une fillette qui devient un homme. Pas seulement. On ne peut que saluer la remarquable finesse avec laquelle l’auteure traite le queer (à l’identité non hétéro¬normée) non comme sujet, mais plutôt comme personnage romanesque à part entière. Audacieuse proposition, l’aventure de Farah dans sa chair inhabitable convoque à nouveau les obsessions d’Emmanuelle Bayamack-Tam. Dans ses livres, il s’agit toujours et pour tous de réconcilier l’âme et le corps : on se souvient à cet égard d’Une fille de feu (P.O.L, 2008), qui retraçait l’itinéraire d’une « grosse fille », et du très remarqué Si tout n’a pas péri avec mon innocence (P.O.L, 2013), où bec-de-lièvre et identité de genre floue compliquaient le dessin des anatomies. À Liberty House, les ex-junkies émaciés, les obèses et les riches millionnaires invalides trouvent assez d’amour, entres deux orgies dans l’étang aux carpes koï, pour triompher de leurs carcasses épuisées. Ils découvrent alors le plaisir et la jouissance auxquels, si l’on en croit Arcady, toute âme aspire - fût-ce à son corps défendant.


Un dernier soubresaut de plaisir


Cette délicieuse utopie new age, qui n’est pas sans rappeler la « maison bleue adossée à la colline » chantée par Le Forestier, a pourtant le défaut d’enfermer ses participants dans un hédonisme sourd à la violence du monde extérieur. Un jour, un migrant débarque en pensionnaire clandestin à Liberty House. L’éden arcadien saura-t-il s’ouvrir à d’autres réfugiés? L’amour libre triomphera-t-il de tout et même des frontières, en dépit des phobies de chacun? Bayamack-Tam ne réinvestit l’Arcadie - terre sillonnée par Hésiode, Poussin et Cézanne - que pour lui inventer une chute. Révélée comme chimère, l’utopie fatalement périclite, dans un dernier soubresaut de plaisir.
Rassurons-nous : du plaisir, il en reste. La langue n’est pas la moindre des jouissances dans ce roman. Avec virtuosité, l’écrivaine butine ses mots chez Mallarmé, Emily Dickinson, et jusqu’à James Ellroy. Elle explore le décalage entre les envolées élégiaques virgiliennes d’une Farah « interdite face à tant de beauté » et un argot prosaïque, mais tout aussi poétique dans sa brutalité rocailleuse. Son style enivrant recèle une folle puissance d’incarnation et fait jaillir, ici, les paons et les femmes alanguies de Gauguin, là, un paysage qui s’ébroue après l’orage « jusqu’à ce que le monde ne soit plus que prairies vaporeuses, écorces fumantes, sonnailles cliquetantes à l’encolure des bêtes, poudroiement radieux du soleil, pur bonheur d’être en vie et d’être jeune ». Fêtant la beauté du monde et des hommes, même les plus décatis, le roman d’Emmanuelle Bayamack-Tam célèbre les noces de l’écriture et de la vie. C’est peut-être plutôt par là que demeure, euphorique et vibrante, l’utopie arcadienne.


Zoé Courtois, Le Monde, août 2018




Vers la liberté


Subversive, drôle, politique et érudite, Emmanuelle Bayamack-Tam confirme avec Arcadie qu’elle est l’une des romancières françaises les plus étonnantes. Autour de cette utopie libertaire où s’invite un migrant, rencontre parisienne

.

Le roman s’appelle "Arcadie". Dans l’antiquité, l’Arcadie était ce lieu béni des dieux qui représentait un âge d’or désormais perdu. Le premier chapitre s’intitule "Il y eut un soir et il y eut un matin : premier jour", une référence évidente à la Bible. Et puis soudain on lit : "Putain le con, il baise les pastèques.- Quoi? - Mais oui ! Il met son zguègue dans le trou, et vas-y !- Mais comment tu sais? - Regarde bien dedans." Pas de doute, on est chez Bayamack-Tam.
Elle est une de ces pépites littéraires inclassables comme savait en découvrir Paul Otchakovsky-Laurens, le fondateur des éditions P.O.L mort en janvier dernier. Depuis son premier roman, Rai-de-coeur, en 1996, elle produit avec une prodigalité étonnante des textes pantagruéliques furieusement littéraires, au point qu’aucun.e autre auteur.e aujourd’hui ne peut égaler un tel mélange d’érudition, de dinguerie et de transgression.
Longtemps, le lectorat d’Emmanuelle Bayamack-Tam s’est limité à un cercle d’aficionados attentifs. L’oeuvre s’est étofée et chaque nouvel opus a montré la cohérence et le sérieux de son travail.. D’Hymen (2003) à La Princesse de (2010) en passant par Une fille de feu (2008), la romancière a affirmé son style, croisé un certain nombre de thématiques qui, de toute évidence, constituent le coeur de son univers : la sexualité, la famille, l’apprentissage, les origines. Autant de sujets qui se rejoignent en un seul, l’indépendance. Car ses livres sont une ode à la liberté. Celle de décider soi-même de ce que l’on est, et celle de ne pas décider. Car pourquoi devrait-on forcément choisir entre être noir ou blanc, garçon ou fille ?
C’est Je viens, en 2015, qui lui a enfin apporté une notoriété méritée. Arcadie, son onzième texte, va l’établir comme écrivaine qui compte. On s’extasie aujourd’hui sur ses personnages désarmants, êtres androgynes à la sexualité inventive, beautés aux origines ethniques indéterminées. "Avoir des personnages marginaux qui défient les désignations et les assignations, sur le plan romanesque, c’est extrêmement intéressant", fait remarquer la romancière, qui reconnaît porter une attention obsessionnelle à la chair : "Le corps est central dans mon écriture et je suis toujours étonnée qu’il ne le soit pas davantage dans celle des autres." Mais ce ne sont pas les corps longilignes des publicités qui l’attirent. Chez Bayamack-Tam, les héroïnes peuvent être obèses et les héros vieillissants, ils n’en sont pas moins hautement désirables : "J’écris depuis toujours sur le fait que le désir souffle où il veut et peut s’adresser à un corps qui ne correspond pas aux canons de beauté."


Sylvie Tanette, Les Inrockuptibles, août 2018







Agenda

Samedi 4 mai
Emmanuelle Bayamack-Tam à la librairie Le Jardin des lettres

Le Jardin des lettres
22 Avenue de Bordeaux
33510 Andernos-les-Bains
 
05 56 26 99 48
info@lejardindeslettres.fr
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Emmanuelle Bayamack-Tam prix Alexandre-Vialatte

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Son

Emmanuelle Bayamack-Tam, Arcadie , Emmanuelle Bayamack-Tam au mirco de Marie-Andrée Lamontagne à Montréal