— Paul Otchakovsky-Laurens

Les soirées et les séries

29 avril 2020, 08h15 par Nathalie Azoulai

3.
Plus de dîners, plus de soirées, et, en retour, plus de frustrations quand nous n’y sommes pas invités. Nous sommes enfin tranquilles. Ennuyés, contrariés, inquiets mais tranquilles car tous logés à la même enseigne. Il y a de la paix sociale dans le confinement, ou plutôt le sentiment que l’aiguillon de notre sentiment de bonheur et de malheur s’émousse, puisque c’est souvent par la comparaison que nous sommes heureux ou malheureux. On peut bien sûr continuer à se comparer à ceux qui sont confinés à la campagne, en bord de mer, dans des maisons avec jardin, des appartements avec terrasse etc. mais dès qu’on pense à leur vie sociale, la comparaison achoppe et nous voilà rassérénés. Depuis le 16 mars, l’entre-soi se condamne à un chez soi domestique, massif et unanime.
Les jours se suivent et se ressemblent, les soirées plus encore dont nous ne varierons au mieux que les plats, les lectures, au pire les épisodes des séries.  Car les séries dont nous vantions l’imagination et l’inventivité sont devenues le pire de ce que nous vivons, cette assignation à rester captifs et captivés sur un canapé en ingurgitant des contenus jetables tandis que le monde s’écroule. Jamais le mot « contenu » n’aura été plus exact que depuis qu’on nous dit que les plateformes elles aussi vont finir par se vider si les tournages ne reprennent pas. Les séries nous enferment dans l’existence dérisoire et perpétuellement recommencée de créatures innombrables et dont rien ne nous restera que le souvenir d’avoir passé le temps en leur compagnie. Les séries sont le pire et pourtant nous y sommes accrochés comme à nos bouées du soir. Pour ne pas avancer seuls dans ce temps indifférencié, le découper, nous illusionner sur l’existence de césures et de saisons.

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