— Paul Otchakovsky-Laurens

Cesse tes jérémiades

06 février 2018, 12h11 par Emmanuelle Pagano

« Cesse tes jérémiades, on a tous des problèmes graves. Je ne suis pas sûr que si Paul O. L. avait connu cette facette de toi, celle que j'évoque et ose enfin décrire et contre laquelle j'ai décidé de ne plus me laisser faire, il t'aurait autant aimée »

Quelques jours seulement après les obsèques de Paul, parce que je pleurais, j'ai reçu ce message, écrit par un de mes proches, une personne adulte, intelligente et, contrairement à ce que l'on pourrait penser, habituellement délicate et sensible.

La mort de Paul est brutalement survenue alors que j'étais déjà fragilisée pour des raisons personnelles et familiales dont il n'est pas question d'évoquer ici la teneur (et malheureusement, je suis loin d'être la seule ainsi cernée). Simplement, il était surtout question d'un autre Paul, encore très jeune. Les deux Paul se connaissaient et POL était bien entendu au courant des difficultés que je traversais. Il me soutenait, moralement, amicalement, et surtout il m'aidait en soutenant mon travail d'écrivain. Il me demandait où en était mon manuscrit, il me demandait des nouvelles de « petit Paul ».

J'ai tenu ces dernières années en continuant d'écrire, parce que l'écriture est comme ma colonne vertébrale.

L'écriture pour les écrivains est difficilement thérapeutique, mais elle nous constitue.

Paul m'avait permis d'être moi-même, puisqu'il m'avait permis d'écrire.
Sans lui, je n'aurais jamais pu affirmer ça : je suis un écrivain. Et aussi : j'existe.

Nous nous connaissions peu, lui et moi, et pourtant nous nous connaissions intimement, ou tout du moins Paul, lui, me connaissait intimement : il connaissait cette colonne vertébrale, mon écriture. Il en connaissait les faiblesses, les brouillons, les cafouillages, le travail, l'avancée.

Il me lisait, dans tous les sens du terme, mieux que personne.

Il me remerciait d’être ce que j’étais, et même d’être et de rester dans sa maison. Cette maison P.O.L.

Ce qui se passe dans mon entourage depuis quelques années, j'y suis en partie pour quelque chose, mais je n'ai pas l'orgueil de m'en croire totalement responsable. Il n'empêche, cela me renvoie à mes manques, mes défauts, dont certains sont liés à mon travail d'écrivain.

Les difficultés résonnent d'autant plus que je me sens humainement inachevée.

Cette sorte d'impossibilité d'être au monde, et qui fait de certains artistes, certains écrivains, peut-être tous, des hommes et des femmes pas tout-à-fait là, un peu à côté, défaillants, je la compensais justement en écrivant. Je crois que c'est d'ailleurs parce que j'étais déjà un peu à l'écart du monde que j'ai commencé à écrire, très tôt.

Écrire a réduit, mais aussi entretenu, cet écart, cette incapacité à vivre.

C'est vrai, il y a des facettes de moi qui ne sont pas belles à voir. Je ne suis pas tout-à-fait une femme, et encore moins une mère.

Mais Paul le savait, il savait que j'écrivais parce que j'étais, je suis, incomplète, comme en devenir. Peut-être même que je n'y arriverai jamais, à devenir « quelqu'un de bien », une femme, une mère, un être humain.

Je suis cependant certaine d'une chose : je ne serai une femme, une mère, un être humain, qu'en écrivant.

Et c'est pour cela, je crois, au contraire de ce qu'on m'a écrit, que Paul m'aimait, comme il aimait tous ses auteurs.

Il m'aimait simplement pour ce que je suis, juste un écrivain.

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