— Paul Otchakovsky-Laurens

Instantané gastrolâtrique

10 mai 2010, 18h43 par Édith Msika

Nous avons extraordinairement bien mangé, dans un silence quasi-religieux, côte à côte. On nous a nourris, difficile de faire mieux après. Morceau après morceau, nous avons ingurgité, mâché, dégusté, remâché, séparé, sectionné, enfilé. L'intensité de la présentation de ces petits contenants parsemés de choses colorées baignant dans des soupes claires fondant dans la bouche nous a totalement absorbés. Nous nous sommes retrouvés à l'envers, dans cette incroyable position inverse d'être absorbés par la main qui nous nourrissait, à travers les petits raviers qui se succédaient sans discontinuer.
En verre transparent, en porcelaine blanche, plat ou un peu plus profond, légèrement rectangulaire, ovale, le ravier ne m'était jamais autant apparu comme présentable et liant avec ma bouche. Délicatement attrapé par les baguettes, le morceau ne résistait pas et n'avait que le temps de venir se blottir dans ma bouche qui le dissolvait sur ma langue pour le plus grand plaisir de ma gorge. Orodispersible ils appellent ça en pharmacie. Je bouffais de l'orodispersible présenté en raviers successifs.
A. devait en faire autant. Peut-être. La question ne m'effleura pas. Jamais je n'eus l'impression d'avoir aussi peu fait cas de sa présence à mes côtés. C'est vers la fin que je pris conscience de sa bouche; n'ayant pour ma part plus rien à y fourrer, je me tournai vers la sienne en train d'engouffrer un nuage carné voilé de marron, un peu brillant sur le dessus, qu'il m'expliqua par la suite avoir été calculé pour lui porter le coup fatal de l'indigestion par le biais du glutamate.
Le glutamate titille la compulsion, avait-il alors murmuré en se touchant le ventre.
 

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