— Paul Otchakovsky-Laurens

LES QUESTIONS IL FAUT LES POSER AVANT (Fable compressée

19 septembre 2013, 15h18 par Liliane Giraudon


« La scène européenne est devenue un dépotoir hanté par les idées ratées et envahies par des pillards culturels, l’armée qui profite de sa propre défaite »
Edward Bond.

 

Un homme. C’est à dire le metteur en scène.
Une femme. C’est à dire celui ou celle qui écrit pour le théâtre.

L’homme est debout.
La femme devant lui assise sur un tabouret.
L’homme porte des talons hauts.
La femme des talons plats.

ELLE :
Tout su.
J’ai tout su dés le début.
Mais je ne voulais rien savoir.
Etre une femme c’est un corps occupé.
On m’avait appris qu’il fallait.
Tourner la langue.
Les dents se touchent, la langue alors touche l’ensemble des dents du devant, haut et bas.
Saint, trois fois saint.
Déchaussez-vous !

(Elle ôte ses chaussures)

Je ne veux pas vous connaître et au revoir.
J’entrais en scène.
C’était un bar.
Je n’avais pas d’autre moyen de me produire.
Et je voulais briller.
D’ailleurs ma lampe de poche je la portais au front.
Sans cesse allumée.
Une chose peut bien ressembler à une autre mais rien ne l’empêche de briller.

(Elle aligne ses chaussures avec soin)


LUI
C’était un petit tas.
Ou une cage.
Vous y êtes allée sans qu’on vous pousse.
Cette formation vous l’avez désirée.
Et vous avez signé.
On raconte même que durant des mois vous n’avez ingurgité que des soupes en sachet.
Quelques yaourts.
Mourir ne vous inquiétait guère.
Vous avez réussi !
Tous les diplômes vous les avez obtenus !
Vos papiers sont en règle.

(Il ôte ses chaussures mais garde ses chaussettes)

ELLE :
Ecoutez moi.
Ecoutez moi.
Petite fille j’écrivais des vers.
Pas la peine de me faire croire que j’en serais devenue un.
Une femme ver.
Pas la couleur.
Et mal accordée.
Corsage ouvert.
« Jupe fendue ma Femme est Carriole »
Ma femme est un bouc.

Un hachis.
Une dévastation.
Vous devez m’écouter.
Je vois bien que vous ne m’écoutez pas.
Mais je m’en fous. Je vous parle.
Parce que je suis venue.
Pour cette chose.
C’est pour ça que vous m’avez fait venir.
Vous allez m’écouter.

Envoyez le bon de caisse !

(Elle remet ses chaussures)
( Les chaussures doivent être de la même couleur que son rouge à lèvres )

Cher partenaire d’une femme sans homme
(Elle est un homme !)
Vous savez bien que j’y viendrai.
Je suis sans illusion sur ma syntaxe.
Tout dans la bouche.
Je chante.
Au magasin je chante et au bar je sers.
Ça fait longtemps.
Accommodez vous.
Prenez ce siège.
J’irai au sol.
Ce divan n’est plus d’usage. Il est défoncé.
D’autres fesses semblables aux vôtres.
Et puisqu’on en parle le corps entier.
Vous aussi vous aurez des comptes à rendre.
Ce nouvel art dramatique vous n’y couperez pas.

Ne vous méprenez pas sur mes bouts de seins.
Je ne veux pas anticiper.
Ils m’ont toujours précédée dans la besogne.
Pour ce qui est des zones Nora en parlait mieux que moi.
Relisez. Faites les fous.
Mais plus personne ne lit.
Et vous, ne dites rien.
Laissez-moi faire.

Elle le fait asseoir sur le tabouret et s’accroupit au sol, entre ses jambes.
Gros plan sur le divan défoncé qui occupe un coin de la pièce.
Les chaussures de l’homme forment un petit tas bien visible.

LUI.
Savez –vous combien de fois on voit sourire Dante dans « La Divine Comédie » ?
J’ai pris soin de noter sur une fiche chacun des passages où il le fait.
En Ukraine, sur la Volga, partout j’étais dans la salle et j’observais davantage les spectateurs que les acteurs.
Qu’est-ce que vous croyez ?
Qu’il y a quatre colonnes et pas six ?
Que vos didascalies sont nécessaires ?
Le risque est inséparable de son rythme !
Son silence le soutient …

Il se lève, remet ses chaussures après avoir lentement ôté ses chaussettes.

ELLE :
Le rat était auprès des chattes très cruelles.
Les questions il faut les poser avant.
Ce qui s’appelle le gant à l’intérieur de la main.
La langue touchera le monde.
Celui qui répond va être dépecé.
On lui prendra le bras avec un crochet.
On le déchirera et on emportera le morceau.
Celui là parlera de la réalité crue.
On voudra oublier mais on se souviendra.
Ne vous y trompez pas.
Je ne suis pas un sauna ni un night club.
La réalité en fiction n’est pas la fiction en réalité.

Le soleil écrivait ses volontés dans le ventre des moutons.
On y revient. On se retourne.
Je vous l’avais annoncé.
Je vous ferai un poème de Soft Shoe.
Des claquettes sans claquettes.
Qui se dansent sur le sable.
Puisque Ils c’est Elles.

Ne vous y trompez pas.
L’imagination crée des fantômes.
Ceux-là ne se contrôlent pas.
Il existe une technique de l’incrustation.
Bientôt nos tragédies nous le diront.

Elle remet ses chaussures après avoir ôté ses bas.


LUI :
Alors éteignez tout.
Il est temps de signer.
C’est sans lendemain.
Nous avons tout vu.
Les monstres ne peuvent se passer de compagnie.
Nous sommes des hommes et des femmes de notre temps.

 

 

 

 

 

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