— Paul Otchakovsky-Laurens

Placer des cartes postales là, là et là.

29 mars 2011, 08h16 par Édith Msika

Je mets des cartes postales à droite à gauche. Je suis tellement triste que je place des cartes postales là, là et là. C'est un geste assez stupide, je ne suis pas perdue au point de ne pas voir que c'est idiot. Certaines de ces cartes, trop longtemps exposées au soleil, ont perdu leur encre. Elles s'adressent toutes à moi, mais je me sens à peine concernée. Ainsi on peut naître et recevoir des cartes postales que plus tard on utilise pour mettre là et là, ou là. On ne les jette pas, on ne sait qu'en faire, surtout celles qui n'ont pas été écrites, il y en a aussi, on les cache. On les garde au cas où. Au cas où quoi, personne ne sait.
A midi, je pleurai en mangeant, enfin juste après manger, ou en mangeant, ou à la fin du repas, si toutefois c'était un repas, je ne sais plus bien ce que sont les choses et les moments. Tout est vieux, rien n'est rangé, la poussière s'accumule sur la chaise que je veux occuper, il y a de l'espace et tout est étriqué. Je me dis c'est quand même bizarre tout cet espace et pourquoi les meubles sont disposés de telle sorte que je me sente embarrassée pour m'asseoir et travailler. Je dis les meubles sont disposés parce que je n'ai pas l'impression d'avoir disposé quoi que ce soit, je suis arrivée ici il y a quatre ans, j'ai dit aux déménageurs mettez ça là, là et là, et puis rien n'a bougé depuis.
Je devrais chercher un compagnon, puisque ça semble être une sorte de loi commune, mais il faudrait qu'il soit comme ci comme ça, autant renoncer, rien ne m'attire dans l'amour. En outre, je m'inquièterais dès qu'il ne serait pas là. Je me demanderais où il est, je serais tentée de l'appeler, ça ferait des tas d'histoires, ça fait toujours des tas d'histoires. Et s'il meurt, je serais triste de l'avoir perdu. Non, ça ne va pas. Je plie un tee-shirt et je pense : est-ce que l'amour est obligatoire ? Faut-il en passer par là pour supporter l'existence (ou manger des olives noires trop salées pour sentir que ça ne va pas et pouvoir râler, oh ces olives, ça ne va pas du tout du tout, sont beaucoup trop salées; diverger en quelque sorte) ? Que faire avec l'amour ou pas l'amour ?? Je ne comprends même pas de quoi il s'agit, de quoi il retourne, je ne suis pas retournée, je ne me retourne sur personne, je ne m'en fous pas mais je ne sais quoi penser. Les autres humains avec leurs nez, leurs bouches, leurs yeux, sont comme moi, on est tous dans la même merde à vieillir, à sentir, on se sourit aimablement, mais rien ne se déclenche. L'autre humain ne me déclenche pas. Et inversement.
Enfin la tristesse, ça commence à bien faire, là, c'est trop. On me dit écrivez, écris, si tu écrivais, tiens ? Mais pour quoi faire ? Ça enlève la tristesse ? Non, ça la colle, ça la glue sur le papier (l'écran). Ça risque de faire resurgir les pleurs, ceux qu'on ne sait pas vers quoi évacuer, sauf dans ses propres bras, à se mouiller les manches le dimanche quand on n'a que ça à s'occuper. On voit les mots, on lit les phrases, et les yeux sont susceptibles de réagir. On ne sait pas.
Placer des cartes postales à gauche et à droite, je sens que ça sert à quelque chose, un peu comme laver la salade (et la rougette en particulier, en regardant le ciel); ce sont des activités qui durent peu de temps mais qui sont assez troublantes.
 

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