— Paul Otchakovsky-Laurens

La...parition

04 février 2018, 16h15 par Jean-Luc Bayard

 – La ...parition ?

La lecture recommençait ; j’y revenais, sachant bien qu’elle signifierait l’entrée dans la nouvelle réalité. J’avais rouvert Le Jumeau solitaire, dernier livre de Harry Mathews (novembre 2017). Le prénom résonnait, dès le début du livre :

« – Et Paul ? J’ai cru comprendre que tu l’avais trouvé ? ».

À la dernière page on comprend qu’il a rejoint son jumeau :

« Il a disparu, sans laisser la moindre trace, comme on dit. »

« Il a disparu. » : c’était par ces mêmes mots que s’ouvrait le Livre de Roger Laporte au pronom indéfini, Une vie (février 1986) sous-titré « Biographie ».

L’ouvrage nous conduit vers la « silencieuse injonction » qui traverse la toute dernière partie intitulée Moriendo : « Pousuivre. » Moriendo, dédié à Paul Otchakovsky-Laurens, avait paru en 1983 : c’était la première année de la maison « P.O.L. »

Poursuivre ? Nous poursuivons ici avec Le Monologue du nous, dernier volet de La Comédie intime, Livre de Bernard Noël (octobre 2015), qui fait sortir un groupe de l’ombre, un « Nous-Quatre » lié par l’amitié, la solidarité, la détermination. La révélation résulte d’un tirage au sort qui, peut-être, nous avait échappé :

« Nous ouvrons le premier billet et lisons B, le second et lisons P, car le reste des prénoms est écrit en lettres minuscules. Nous vivons tous dans un temps compté, dit B, mais nous n’avons conscience que de loin en loin. »

De quoi s’agit-il ? D’un duo, d’un quatuor (Il-deux puis « Nous-quatre ») et finalement de la constitution d’une communauté.

Un groupe ? Mais quels en sont les signes ? Et les mots ?

Le signe a été clairement repéré, à la page 566 de La Vie mode d’emploi.

La Vie mode d’emploi a paru dans la collection Hachette/POL. L’achevé d’imprimer, daté du 10 octobre 1978, fête aussi l’anniversaire de Paul Otchakovsky-Laurens. Dans moins de cinq ans le signe, localisé au centre exact de la vue en coupe de l’immeuble du 11, rue Simon-Crubellier rejoindrait la plaque qui indique le siège des éditions P.O.L, d’abord au numéro 8, villa d’Alésia puis, à partir du milieu des années 90, au 33, rue Saint-André-des-Arts. 

Mais comment le go devient-il logo ? Comment le signe passe-t-il de la maison qui est dans le livre aux livres qui sont de la maison ? Par quel « mystère » qui semble aujourd’hui une évidence ? Et quels livres l’accompagnent et le racontent ?

Il semble que le récit commence avec Le Voyage d’hiver. (C’était un voyage d’hiver.)

Le Voyage d’hiver est une brève nouvelle que Georges Perec écrit en 1979 (juste après La Vie mode d’emploi). Avant de devenir un volume de « La librairie du XXe siècle » (1993), le texte paraît dans Le Magazine littéraire, en mars… 1983, c’est-à-dire l’année même où commence l’aventure des éditions P.O.L. Cette coïncidence ne rend que plus sensible la convergence des projets : d’un côté une maison d’édition, de l’autre un ouvrage (« Le Voyage d’hiver », œuvre unique, en 1864, de Hugo Vernier) ouvert à toutes les potentialités de l’écriture, tracé comme un seuil qui appelle une « configuration confuse » que viendront réaliser à suite, Mallarmé, Verlaine, Rimbaud, Lautréamont, Corbière et Banville, Villiers et Huysmans, Verhaeren et Catulle Mendès, mais aussi Léon Bloy, Germain Nouveau, Gustave Kahn, Richepin, Léon Valade, Charles Cros et beaucoup d’autres… D’un côté une maison, de l’autre un live, et les deux s’ouvrent pareillement. Aux livres, à l’avenir…

Mais d’où a-t-il surgi, ce Voyage ? Comment est-il préparé ? Quel autre livre de Perec l’anticipe, et l’annonce ?

Dans la galaxie de l’oeuvre, un petit volume, soudain, s’est mis à scintiller : un opuscule collectif (commis avec la complicité de Jacques Roubaud et Pierre Lusson), paru en 1969 chez Christian Bourgois, où Paul Otchakovsky-Laurens était entré comme stagiaire, en février : Petit traité invitant à la découverte de l’art subtil du go. Le titre doit alors être entendu dans sa version implicite, en 7 fois 7 lettres : Petit traité invitant à la découverte de l’art subtil… d’Hugo.

A partir de là le temps se met en espace, il se déplie selon les deux axes des successivités et des simultanéités.

Des successivités, le Petit traité avait précisé les étapes, nommant le « mystère du Ko qu’il faut, dit-on, quatre ans pour percevoir, huit ans pour affiner ». Et c’est donc huit ans après, à peine plus, que le « mystère »,  affiné, avait fait son entrée dans La Vie mode d’emploi.

Sur l’axe des simultanéités, c’est en exact contemporain du Petit traité que revenait maintenant ce livre : La Disparition, qui dans sa fin avoua aussi un goût pour « l’art subtil du Go ».

Il y a deux sortes d’ouvrages : ceux qui contiennent le mot « disparition », et ceux desquels il a disparu. Force est de constater que toute la production P.O.L le confirme.

– « disparition. Nous attachions beaucoup d’importance à ce dernier mot » précise le Monologue du Nous. Est-ce LE mot ?

« Il n’existe qu’une seule activité à laquelle se puisse raisonnablement comparer le GO. On aura compris que c’est l’écriture » écrivent Lusson, Perec et Roubaud à la fin de leur célébration. On peut considérer que réciproquement.

Il faut donc revenir au jeu de go, à l’affrontement des pions blancs et des pions noirs, au dénouement qui intègre le retournement. Disparaître ? Vraiment ?

Tout le groupe du Monologue du nous se mobilise sur un projet de publication : un journal militant, qui devient un mensuel tiré à quinze, puis vingt-cinq milles exemplaires. Et Le Jumeau solitaire accompagne le projet d’Andréas, de publier l’histoire de ce jumeau – c’est-à-dire le livre, qui, finalement, s’écrit sous nos yeux.

– Paraître ! Le dernier mot, c’est lui.

Jean-Luc Bayard

2-4 février 2018

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