— Paul Otchakovsky-Laurens

Jeanne Dielman

28 avril 2020, 13h17 par Nathalie Azoulai

2.
Un morceau de savon posé dans sa coupelle,  une table nettoyée de près, un sol étincelant, du produit de vaisselle qui mousse sous l’eau chaude, une machine à laver qui tourne. A tous ces avatars de l’hygiène, je confère une sagesse absurde, une modestie émouvante, comme s’ils me ramenaient à la découverte décisive de l’asepsie et, comme Jeanne Dielman en son royaume, moi qui suis, comme Delphine Seyrig, à contre-emploi dans ce rôle de ménagère, je m’assois et je contemple ce qui s’offre de propre à ma vue, puis, plus avidement, ce qui ne l’est pas encore et qui pourrait le devenir, comme les poignées, les recoins, les interrupteurs, les plinthes etc.
Ainsi le virus, en se déposant partout et tout le temps, a-t-il agrandi le territoire sur lequel exercer mon nouveau sacerdoce moral. Car plus je frotte et plus je me demande ce que je frotte, et surtout, en quoi se transforme l’acharnement maniaque de la ménagère lorsqu’elle ne s’y consacre plus, cette drôle d’énergie opiniâtre, volontariste, plaintive, puriste, intégriste, itérative, intime, névrotique. De Jeanne Dielman, Chantal Akerman disait : « C'est un film sur l'espace et le temps et sur la façon d'organiser sa vie pour n'avoir aucun temps libre, pour ne pas se laisser submerger par l'angoisse et l'obsession de la mort. »

Billet précédent | Tous les billets | Billet suivant |

Les billets récents

Auteurs