— Paul Otchakovsky-Laurens

Le retour de Twin Peaks

16 mai 2017, 12h54 par Pierric Bailly

Twin Peaks est de retour ? Mais Twin Peaks n’est jamais vraiment partie. Depuis que j’ai vu Twin Peaks, je la revois partout. Mon voisin d’en face, le Claude, se met un coup de tronçonneuse dans le pied en faisant son bois : Twin Peaks à domicile. La belle Marion, une amie d’enfance, engraisse chaque année deux cochons, une paire de porcs, pour les faire découper en une vingtaine de lots de dix kilos chacun qu’on lui achète à l’automne pour remplir le congélateur : Twin Pigs ! En décembre dernier, à dix bornes de chez moi, un cadavre retrouvé en forêt par deux bucherons, visage et corps lacérés et tailladés, six mois plus tard on ne connait toujours pas l’identité de la victime : un brin de True Detective là dedans, mais du Twin Peaks avant tout. La soirée fondue à la salle des fêtes de Cogna avec le Gilles et son orchestre et la grosse Murielle qui finit à poil complet : Twin Peaks à la française. Ma grand-mère qui lève les brûlures de tous les habitants du village. Le pauvre Didier, dit Didi, qui se fait assommer par un frêne en faisant son affouage. Marcel, à moitié fou, qui vit dans une caravane déglinguée à deux pas d’une usine de tuiles et d’une fromagerie. Des animaux le long de la route, quand je rentre tard du boulot, d’un chantier en Bourgogne ou dans l’Ain, des biches, des chevreuils, des blaireaux, des renards, tous les soirs, en toute saison ou presque. Une tête de sanglier empaillée dans le salon au-dessus de la télé. Des accidents de chasse en veux-tu en voilà. Même un accident de golf, pas plus tard qu’hier, une vieille qui se prend un club dans la carotide, elle y passe, couic. Les accidents de voiture, on n’en parle même pas. Les accidents de pêche, c’est moins courant. Une boîte de nuit implantée au milieu de nulle part, rien autour sinon de vastes champs et des forêts de sapins. A l’intérieur, je vous laisse imaginer, entre les dépucelages violents aux toilettes et les bastons de fin de soirée. Les fêtes du vin, de la pomme, de la châtaigne et des escargots. Les scieries qui mettent la clé sous la porte, les scieries qui brûlent, les scieries à l’abandon, tous les grands bâtiments désaffectés, toutes les usines oubliées, les vieux hôtels à vendre, les anciennes gares ferroviaires, les tunnels, les églises et les écoles fermés. Ici, c’est Twin Peaks en bas de chez vous. Bienvenue dans le trou du cul du monde, la France profonde, comme on appelle ça. Et ici, quand on a vu Twin Peaks, on vit un peu dedans. Dès qu’on ouvre les volets, dès qu’on met le nez dehors, Twin Peaks nous tend les bras. Et on s’y jette bien volontiers. Car Twin Peaks nous aide à aimer ce territoire reculé. Twin Peaks transforme la misère rurale en poésie universelle. Les mabouls, les cinglés, les éclopés, les rustres, tous les monstres de nos campagnes, Twin Peaks les valorise, les sublime. Twin Peaks les regarde un peu de biais, exactement comme il faut le faire pour ne pas les juger, pour ne pas les mépriser. Twin Peaks ne les prend pas de haut mais les invite à sa table, au banquet de la grande télévision mondiale. Alors, quand on nous dit que Twin Peaks est de retour, ça nous fait une belle jambe. Vous attendiez ça depuis vingt-cinq ans ? Fallait bouger votre cul. Fallait venir chez nous. Dans nos campagnes perdues. Ici, Twin Peaks est à portée de la main, partout, tout le temps.

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