— Paul Otchakovsky-Laurens

Des objets

05 mai 2011, 16h40 par François Matton

Francis Ponge a clairement expliqué la raison pour laquelle il s'est tourné vers les objets et vers les choses : avant tout pour se détourner du monde humain qui occupe depuis toujours le premier plan (parce que l'homme, l'homme, toujours l'homme, ça va quoi).
C'est un projet révolutionnaire, au sens politique du terme — que Ponge assumait pleinement.
Considérer les objets ordinaires pour eux-mêmes, tenter de percevoir leur présence indépendamment de celle des hommes, les placer au-devant de la scène en bousculant l'ordre culturel du monde, tout cela, qui rend justice aux choses muettes, c'est faire la révolution.
Il me semble que cette voie ouverte par Ponge n'a pas connu une grande prospérité dans le monde des lettres. Peu d'écrivains — et même peu de poètes — se consacrent à explorer pour lui-même le monde des objets et des choses (bien sûr, je me verrais détrompé avec joie). J'ai cru remarquer que lorsque ça arrive, et ça arrive tout de même souvent, c'est en marge, sans qu'on s'y attarde plus que ça. Ainsi, par exemple, feuilletant hier le dernier livre de Pierre Jourde, j'ai eu le plaisir de tomber sur cette phrase : « Se réveille en moi ce vieux désir : voir les choses telles qu'elles sont lorsque nous n'y sommes plus, et qu'elles peuvent, en dehors de notre présence, vivre de cette vie que nous n'avons jamais observée. », mais le reste du livre parle de tout autre chose.
J'aime depuis toujours les objets qui nous entourent. J'aime les observer longuement. Leur présence silencieuse me livre tout ce que j'attends de la poésie. C'est une joie que je veux partager.
Mais les décrire avec des mots me paraît un peu laborieux, légèrement vain et presque absurde dans la mesure où les objets me plaisent en ceci justement qu'ils se tiennent hors du langage. Les y réintroduire aurait l'air d'une opération de récupération.
Les dessiner, par contre, est l'évidence même. Ça me procure un plaisir immense qui vient de ce que j'entre alors en complicité muette avec eux. Je les explore avec mon trait, j'en fais le tour, je les caresse au plus près, c'est une discrète opération amoureuse.
Et si des mots finissent par apparaître pour accompagner le dessin, le prolonger, le faire dériver ou simplement entrer en dialogue avec lui, je me dis qu'ils auront profité d'un bon bain de silence, et que dans cette mesure ils peuvent avoir droit au chapitre sans risquer d'ajouter un inutile bavardage au monde.
 

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