— Paul Otchakovsky-Laurens

Chez l’oto-rhino

Raphaël Majan

Ce n’est même pas que le commissaire « Liberty » Wallance est distrait, c’est que ça ne l’intéresse pas. Lavraut, fidèle adjoint, croit que son supérieur devient sourd et l’envoie chez son oto-rhino laryngologiste préféré. Grossière erreur qui coûtera cher au spécialiste de la villa Amélie tout en permettant à Lavraut de reconquérir d’une façon inattendue Martine, sa femme qui avait un amant et qui est rapidement contrainte d’en changer. Car Liberty mène les affaires matrimoniales et criminelles avec la même efficacité – et la même méthode.

 

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La presse

Commissaire briseur


De même que le commissaire Liberty Wallance dit que « dans injustice, il y a justice », on remarque que dans polar il y a pol, ce qui crée déjà un lien entre les éditions P.O.L, qui font avec ce flic parisien au surnom fordien une incursion dans le roman policier. Wallance (on ne connaît pas son vrai prénom) « a cinquante ans et pas d’ami dans le métier, on ne sait pas pourquoi il est entré dans la police vingt-sept ans plus tôt. De taille moyenne, il a un certain embonpoint. […] Il est cultivé, assez brillant, et ponctue souvent ses enquêtes de références littéraires ou artistiques que ses collègues et les suspects ne décryptent pas toujours. » Or, le fin limier se double aussi d’un redoutable serial killer. Par exemple, pour conserver le coupable qu’il a trouvé pour un crime, Wallance est capable de balancer par la fenêtre le vrai meurtrier – de toute façon, « plutôt cent innocents en prison qu’un crime impuni ». Autour de ce héros sans foi ni loi, Raphaël Majan (43 ans, « fonctionnaire, il a travaillé au ministère de l’intérieur » d’après la couverture) distille un humour très noir avec une élégance dandy, mais sait aussi procéder aux scènes d’assassinat avec une précision et une vitesse d’exécution qui font froid dans le dos.


Sabrina Champenois, Libération, 6 mai 2004



[…] Majan s’amuse avec les codes du polar, les poussant à l’extrême pour mieux les détourner. Son héros est un serial killer de la pire espèce, froid, efficace et intelligent. Pire encore, il est cultivé. Son créateur aussi. Quelle jubilation !


Christine Ferniot, Lire, mai 2004



Les antipolars de P.O.L


Les éditions P.O.L lancent une collection de policiers. Ce n’est pas une blague, ou alors c’en est une excellente, puisque les « Contre-enquêtes du commissaire Liberty » sont les livres les plus désopilants qu’on ait lus depuis longtemps. Tout est arrivé par la poste. Un certain Raphaël Majan envoie un manuscrit chez P.O.L, confie qu’il a plein d’autres aventures de Liberty dans ses tiroirs, et voilà comment naît une nouvelle collection entièrement dédiée à Majan et à son dingo de commissaire. L’Apprentissage et Chez l’oto-rhino, les deux premiers volumes, sont de sortie le 6 mai, les deux suivants arriveront en octobre. Côté auteur, mystère. Il est fonctionnaire au ministère de l’Intérieur et ne souhaite pas en dire plus. Côté œuvre, c’est un régal. D’un même élan irrésistible, Majan renouvelle et décale le genre. Les habitués des commissariats y retrouveront leurs petits. Les codes du polar sont respectés en la personne d’un liberty bougon et allergique à la paperasse – « On dirait que Columbo, Derrick et Navarro sont des esclaves chargés de la bureaucratie (comme si Columbo avait aussi une femme au bureau, ironise-t-il) » –, un adjoint débordé par les charges de la famille, un patron qui le convoque pour savoir où il en est quand justement il piétine… Là où Majan pratique une sévère entorse au genre, c’est que son commissaire est aussi un serial killer. Pas un serial killer avec une morale à trois balles, non, Liberty est un homme de principes et de devoir : « si on veut vraiment l’impunité zéro, plutôt un innocent en prison qu’un crime sans coupable. » Tel un chevalier blanc de la justice, il a mis au point sa petite entreprise personnelle : « Le crime idéal serait celui qu’il effectuerait lui-même en en faisant porter la chapeau à des êtres objectivement antipathiques dont la culpabilité proclamée ne ferait de peine à personne. » Bref, Liberty est un assassin qui ne choisit pas tant ses victimes que ses coupables, les premières étant expédiées sans états d’âme au cimetière, les seconds en prison, ce qui n’est pas forcément mieux. Et ça marche, tant la méthode Liberty – il fait dire qu’il se donne un mal de chien pour améliorer le monde – que ses aventures bourrées de mauvaises actions, d’aphorismes et de syllogismes croustillants. « Dans injustice », il y a “justice”… » Évidemment, là où le bât blesse, c’est pour les malheureux innocents, mais Liberty n’a guère plus de considération pour l’être humain que pour les poupées Barbie sur les excellentes et roboratives couvertures d’Antonin Louchard. Parodique et réaliste, tordant et glaçant, lisez « Liberty ».


Olivia de Lamberterie, Elle, 3 mai 2004



[…] Mais, à la lecture des deux premiers tomes, L’Apprentissage et Chez l’oto-rhino, on comprend que, comme souvent, leur choix d’éditer « Les Contre-enquêtes du commissaire Liberty » de Raphaël Majan est amplement justifié, et dicté par des exigences toutes littéraires.
On ne sait pas encore, avec ces deux premiers opus, pourquoi l’auteur est tombé sur les carnets du commissaire Wallance, surnommé Liberty (vive John Ford ! ). La seule certitude, c’est que, s’appuyant sur ces notes du flic, Raphaël Majan a décidé de révéler la nature et les agissements de cet homme « qui apparaît, par l’originalité et la simplicité de sa méthode, comme un des grands de l’histoire du crime. » Car pour faire régner la justice, Wallance a conçu une théorie bien à lui ; « Si, après chaque meurtre, on arrêtait immédiatement le premier ou le deuxième venu, il n’y aurait plus de crime impuni, et la police gagnerait un temps fou qu’elle pourrait consacrer à des opérations de sécurité pour rassurer la population. »


Thèse que son sens très personnel de la justice l’a poussé à élargir, en devenant un assassin au palmarès impressionnant. Persuadé que « ses actes ne sont que la plus épurée des quêtes de justice », il se met à liquider des innocents à tour de bras, et à coller le meurtrier sur le dos d’autres innocents.
Seul point commun à toutes ces victimes, leur appartenance à la très large catégorie des individus qui portent sur les nerfs fragiles du commissaire : plombiers en retard, médecins trop chers, avocats empressés à assurer la défense, c’est selon l’humeur de Liberty qui « développe l’idée selon laquelle on n’est pas dans un roman policier et que, dans l’existence, contrairement aux règles littéraires, le coupable n’est pas forcément l’assassin ». Nous y voilà, à ces principes du genre (policier) que Raphaël Majan s’efforce à faire éclater, qu’il n’utilise que pour les retourner contre leur objet initial.


Si son écriture mime la froideur et le détachement habituels du polar, elle ne le fait que pour se jouer d’eux et les éroder. Comme Liberty mine les usages d’une justice qu’il est censé servir, l’auteur sape les conventions : pas d’attente du dénouement, de la dernière page qui fait renter l’incompréhensible dans le naturel, on connaît dès le départ l’identité de celui que Wallance a choisi pour être tué, et qui endossera le crime. Fin de l’arrangement narratif qui met en son centre soit le criminel, soit le détective : ici, ils ne font qu’un. Enfin, abolition de l’attention captive du lecteur, habitué à ce qu’on lui relève au détour d’une phrase ou d’une hésitation un indice qui lui échappe le plus souvent – de toute façon, Liberty n’écoute jamais ce qu’on lui raconte.


Confronté à cet éclatement des catégories, à cette annihilation du pacte de lecture, on rit franchement. Avec une mention spéciale aux mobiles absurdes que Liberty s’acharne à attribuer aux présumés coupables, véritables morceaux de bravoure : « Je vois que (la victime), pauvre de lui, est né à Marseille, où il a vécu jeune homme jusqu’à trois ans. (Le présumé assassin) est parisien. Qui ne connaît pas la rivalité entre les supporters du PSG et ceux de l’OM ? Il n’y a que trop longtemps qu’elle dure, et elle n’a fait que trop d’innocentes victimes. »
Intelligents, mauvais esprit, jouissifs, ces deux livres finissent quand même par créer, sinon un suspense, du moins une attente : l’arrivée des prochaines livraisons de Raphaël Majan, prévues pour l’automne.


Raphaëlle Leyris, Les Inrockuptibles, 5 mai 2004



Des polars chez P.O.L


L’initiative peut surprendre, encore que, si l’on regarde attentivement le catalogue de la maison, on y trouve certains livres qui s’apparentent au roman policier, comme ceux de René Belletto. Il ne s’agit pas, pour Paul Otchakovsky-Laurens, d’ouvrir dans sa maison d’édition un nouveau département consacré au genre policier, mais de publier sous l’effet d’un coup de cœur les romans de Raphaël Majan, et exclusivement ceux-là. Avec leur format (12x18,5), leur prix proche d’une collection de poche (12 euros) et leur couverture à rabat superbement illustrée par Antonin Louchard, les contre-enquêtes du commissaire Liberty se démarquent franchement de la présentation sobre des autres ouvrages de la maison.


Le commissaire Wallance, que tout le monde surnomme Liberty en référence au film de John Ford, vient de faire une importante découverte Après vingt-sept ans Je services que l’on suppose bons et loyaux, ce Don Quichotte des temps modernes se sent investi d’une mission : assurer la sécurité publique et combattre par tous les moyens l’impunité des assassins. Rien que de très normal dans la profession qu’il exerce, encore faut-il s’entendre sur la question des moyens. Sa méthode repose sur un principe simple : « Si l’on veut vraiment l’impunité zéro : plutôt un innocent en prison qu’un crime sans coupable. » Ainsi, au cours de l’enquête sur un assassinat, le commissaire interroge les voisins de la victime. L’un d’entre eux, un vieillard acariâtre, lui paraît odieux : ce sera donc lui l’assassin. Le commissaire forge quelques preuves et fait inculper le voisin, mais voici que le fils de la victime vient avouer le meurtre. Qu’à cela ne tienne, il suffit de pousser le jeune homme au suicide, et tout rentre dans l’ordre à la satisfaction générale.



Délire sécuritaire


Au départ, Paul Otchakovsky-Laurens a été séduit par le manuscrit de L’Apprentissage arrivé par la poste, par cette fable déjantée sur le délire sécuritaire, mais aussi par la manière dont l’auteur triture la langue. « C’est avant tout de la littérature qui a choisi le polar. C’est le premier polar qui me plaise parmi ceux que je reçois depuis ceux de Belletto, ce qui ne m’empêche pas d’en trouver chez mes confrères que j’apprécie. » Apprenant que Raphaël Majan avait écrit une suite à ce premier épisode – Chez l’oto-rhino –, Paul Otchakovsky lui a proposé l’idée de cette série où le suspense consiste à fabriquer le coupable. Le commissaire est à l’investigation ce que le docteur Knock était à la médecine. De même que les gens en bonne santé sont des malades qui s’ignorent, les innocents sont des coupables en puissance, Liberty, qui a des lettres, ne manque pas d’étayer sa théorie par des références puisées chez les meilleurs auteurs.
Qu’arrivera-t-il si POL se met à recevoir d’autres polars ?« La série n’est pas destinée à accueillir d’autres auteurs. Si je reçois des manuscrits qui me plaisent, je trouverai un autre cadre. » En tout cas, le commissaire-tueur a de beaux jours devant : lui. Deux nouveaux titres sont annoncés pour l’automne, Le Collège du crime et Les Japonais, quatre autres pour l’année prochaine, et le neuvième épisode est en cours d’écriture. Il n’est pas encore né l’homme qui tuera Liberty Wallance.


Gérard Meudal, Le Monde, 27 mai 2004



Raphaël Majan lance une nouvelle série policière : les « contre enquêtes » du commissaire Wallance, divertissements cyniques et enlevés. […] la phrase se déploie d’expansions en expansions, de manière assez lâche, sans ainsi paraître courir après le beau style; mais elle s’avère assez finaude, nous menant insidieusement jusqu’au tir groupé des adjectifs. L’injustement accusé : ahuri-bête-antipathique. Tout le monde est coupable, surtout les innocents. On tire de ce genre d’axiome un plaisir transgressif qui libère des polars aux prétentions métaphysico-sociales.


Gilles Magnionti, Le Matricule des anges, mai 2004