— Paul Otchakovsky-Laurens

Terminal Frigo

Jean Rolin

Ayant largement passé le cap de la cinquantaine, un homme qui aurait pu devenir capitaine au long cours, jadis, s’il avait été moins paresseux, entreprend un voyage de plusieurs mois sur le littoral français. Apparemment guidé par sa fantaisie, il séjourne dans la plupart des villes présentant une activité industrielle et portuaire conséquente.
À Saint-Nazaire, c’est l’époque où s’achève la construction du Queen Mary 2, à laquelle ont contribué des hommes venus des quatre coins de la planète.
À Calais, les immigrants vivent clandestinement dans l’attente d’un hypothétique passage vers...

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La presse

Jean Rolin à pas de loup



Dans Terminal Frigo, l’écrivain arpente le littoral français. Un somptueux crépuscule pour marcheur solitaire à l’écoute des incertitudes de l’existence.



C’est comme ça dans tous ses livres. La réalité est mouvante. Frontières floues, hommes et femmes en perpétuel mouvement, passé revisité par la petite porte, monuments au laisser-aller évident, propos chahutés de tous côtés ? Aucun message. Aucune leçon. Tout est éclaté. Morceaux d’existences bourrés jusqu’à plus soif d’une multitude de ses ennemis. C’est quoi, une vie ?
On ne sait justement pas trop. Il y a seulement de vagues petites esquisses de réponses, rendant tout ça à la fois insupportable et magnifique.
Jean Rolin, dans Terminal Frigo, arpente à nouveaux les territoires de l’entre-deux. Il se rend là où l’époque ne se rend plus. Lieux abandonnés ; êtres délaissés. On est dans l’inconfort. On est dans l’indécis. Le style remplis de “peut-être”, de “ou”, de “sans doute”, de “à tort ou à raison”, avance à pas de loup. Les rencontres sont brèves et pleines. Un homme de 78 ans, croisé par hasard dans un quartier populaire du Havre, parle de son père. Il souligne, dans un même discours aux contradictions non apparentes pour lui, combien son père était quelqu’un de bien (moral et sévère) et quelqu’un de moche (instable et gueulard). On peut tordre ses paroles dans tous les sens mais rien n’y fait. Son père était quelqu’un de bien et quelqu’un de moche. Il va falloir faire avec.
Un homme d’une cinquantaine d’années, sans plan de conduite particulier, visite le littoral français. Il s’arrête, à intervalles réguliers, dans des villes industrielles et portuaires. Hôtels bon marché, bistrots remplis d’habitués, conversation à la louche. On retrouve, dans Terminal Frigo, tout l’univers de Jean Rolin. On y marche beaucoup et on y parle peu. C’est un monde à la dérive lente maintenu par un art de la débrouille. Portraits fugitifs et forts d’hommes rencontrés au hasard des pérégrinations. L’indien Sunny Paul, ingénieur à Saint- Nazaire dans une entreprise chargée de la climatisation du Queen Mary 2, sait ce qu’il veut. Trouver une femme, immigrer aux États-Unis, repousser le spectre de la pauvreté. Miloud, marginal croisé à plusieurs reprises à Calais, où nombre d’immigrants clandestins attendent de pouvoir passer en Angleterre, ressemble à un voyageur anonyme. Il arrive à force d’observations pénétrantes, à éviter maints dangers. Il y a les tracas mais il y a aussi les drames. Le narrateur se retrouve le samedi 15 novembre 2003, lors de l’effondrement de la passerelle d’accès sur le chantier du Queen Mary 2, dans un bistrot enfumé. La patronne s’exclame : “Pourtant on était heureux ! Et la reine d’Angleterre aussi, elle était heureuse !”
Le style, fait de phrases précises écrites d’une encre poétique et ironique, manie une sorte de distance tendre. Pluie discontinue, oiseau en tout genre, chats errants, levée du jour, peur de ne pas être salué en poussant la porte d’un café, arbre incongru, bâtiment condamné à mort, légende autour d’une maison, surveillante enfermée dans une guérite. C’est une petite humanité en rang rompu dont les paroles sont desséchées par l’âpreté du quotidien. On vit, et on voit après. Les grandes et les petites histoires se mêlent dans un semblant capharnaüm. Jean Rolin reprend sa thématique des traîtres et des héros. On ne sait, d’un ingénieur tchèque, s’il fut traître puis héros : ça se discute. On ne sait de deux capitaines de remorqueurs, qui fut traître ou héros : ça se discute. On ne sait, d’un syndicaliste de dockers, s’il fut héros puis traître : ça se discute. La figure du père, ancien médecin militaire, hante tout le récit de Jean Rolin. Elle en fait un somptueux crépuscule pour marcheur solitaire. On sent son poids et son ombre rôdant autour des pas du narrateur. Magnifique épisode d’un hommage posthume rendu au père en plein désert. Peut-être que nombre de vies se déterminent par rapport à une figure du père-héros (comme ici) ou du père-traître (comme là-bas). Ou, comme dirait Jean Rolin, peut-être pas, et la vie serait alors tout autre chose. Mais on ne voit pas vraiment quoi.


Marie-Laure Delorme, Le Journal du Dimanche, 23 janvier 2005





Jean Rolin Quai des brumes



Récit entre docks et conteneurs, Jean Rolin flâne dans les plus grands ports français. A mi-chemin de l’enquête, du rêve romantique et de la promenade solitaire, un récit dans la lignée de Julien Gracq.



Jean Rolin ou la solitude. Depuis 1982, avec " Journal de Gand aux Aléoutiennes ", ce quinquagénaire publie des récits de voyages. Ses titres disent tout : " La ligne de front ", " la frontière belge ", " Zones ", " Traverses ", " Campagnes ". Il peut aussi bien rencontrer les chrétiens qui vivent à Bethléem que les habitants de Sarajevo. Ancien grand reporter, il s’installe assez longtemps dans un lieu, écoute, note, consulte des archives et s’intéresse à des détails qu’un autre aurait laissés de côté. Cette fois, il a visité quelques grands ports du littoral français.
Le livre s’ouvre sur une magique description de l’estuaire de la Loire et du bassin de Saint-Nazaire, " vide à l’exception d’un remorqueur. Il décrit tout : les pluies, le transit d’une barge et de son pousseur, les quais d’armement, le pont suspendu " dont le tablier est ponctué horizontalement de feux blancs ". Il plonge aussi volontiers dans le passé de l’endroit. Il évoque l’assaut de soldats britanniques donné sur la jetée du 27 au 28 mars 1942. Quand il séjourne dans le quartier Le petit Maroc, il ressuscite une querelle entre deux capitaines de remorqueur. Il faut dire que, assez souvent, la défaite de 1940 revient, en filigrane, et la figure de son oncle, marin, qui mourut en Indochine, et qui joue aussi un rôle dans les romans de son frère, notamment dans " Tigre en papier " . Donc, semblable à un curieux flâneur, Rolin visite les ports : le Havre et ses métamorphoses, Dunkerque, La Pallice ou l’estuaire de la Gironde. Il s’installe dans des hôtels de troisième catégorie. Il interroge des dockers, des marins philippins. Il y a l’ingénieur Sunny Paul, qui travaille sur le " Queen Mary 2 ", qui partira pour les Etats-Unis , Miloud, Parka, Luis, aux réponses évasives et farfelues, ou floues. Il embarque sur certains navires pour un déjeuner. Parfois, il se fait raconter en détail une homérique bataille de dockers par la génération d’après. Ou il embarque sur un ferry pour l’Angleterre un jour de visibilité exceptionnelle, dans un navire spacieux et presque vide.
Il marche énormément, par tous les temps, vers des lieux délabrés, abandonnés, laissés aux chats et aux mouettes comme s’il cherchait un endroit sauvage définitif, un paysage-révélation. Il aime les quais où les rueurs s’éteignent, les bus vides, le dernier verre, la cape noire du ciel, le sommeil qui commence sur des môles.
Une flaque de lumière
Tout au long de cette lecture, on se demande : qui est ce passager froid, baudelairien ? Que veut-il ? Que cherche-t-il ? Pourquoi, depuis dix livres, voyage-t-il dans les lieux les plus ingrats, improbables, aux larges horizons ? Cherche-t-il des êtres ? des paysages ? des évènements ? Oui et non. Il cause un peu mais pas trop. Il écoute un moment et repart. IL semble avoir le cerveau empli par un rêve et que ce rêve, parfois, coïncide avec ce qu’il voit. Mais la déception n’est jamais loin de l’illumination.
Une liberté grande traverse cette prose. Rolin le solitaire fuit-il quelque chose ? Pas sûr. Ses errances et ses marches longues relient la mémoire collective à des petits faits vrais stendhaliens, et puis tout ça disparaît dans une flaque de lumière. Tout devient onirique, désœuvré, dissocié, retapé, bricolé, discontinu, assez formidable. Il y a chez lui du témoin hautain et raffiné, du moine copiste qui regarde notre époque par de curieuses brèches. Il rapporte des bords de mer, imprégné d’émanations humides, ces choses vues que seuls les grands écrivains décrivent, comme si, en dessinant ainsi des paysages ouverts, il ornait sa tombe de hiéroglyphes.
Jean Rolin est exemplaire et escarpé. Heureux éditeur qui compte un auteur de cette dimension dans son catalogue…



Jacques-Pierre Amette, Le Point, jeudi 3 février 2005 n°1690





Chaleureux Frigo



Jean Rolin est un écrivain vagabond épris de zones incertaines et de régions frontières, où les hommes semblent toujours un peu détachés d’eux-mêmes, jamais loin de la dérive. Il installe sa vigie de préférence dans les lieux les plus anonymes de nos cités modernes, au sommet de tours en béton, près des nuages et des oiseaux, ou au contraire au plus près du pavé de la rue, dans des bars populaires, où les hommes se réchauffent le coeur et se donnent à eux-mêmes le spectacle d’un théâtre qui est celui des choses de leur vie, c’est-à-dire bien souvent de leurs souffrances.
Tous ses récits sont des promenades où l’observation des humbles (parias, déjantés, exilés en tout genre) se mêle à une mélancolie sans âge, et Terminal Frigo ne déroge pas à cette règle. En fait, Jean Rolin ne conclut jamais, et c’est le même livre qui continue, toujours tournant autour d’un point fixe (Saint-Nazaire), seulement plus ou moins dosé de notations cocasses et de brèves méditations sur l’Histoire, auxquelles il ne s’abandonne pourtant jamais.
Sa matière chaude, c’est l’instant, les choses vues ou entendues. Dès qu’un épisode du passé prend corps, il est négligé, presque oublié. L’Histoire est là seulement comme preuve à charge des métamorphoses du temps et source de discrets regrets. Elle entre aussi, de façon quasi homéopathique, dans la composition de cette étrange féerie poétique qui fait le charme de chacun de ses textes. Il suffit de lire sa description d’un conteneur de vingt pieds (page 192) pour prendre la mesure de son dandysme et de son talent.
Pèlerinant d’un port à l’autre, sans jamais s’écarter trop souvent du rivage, il avance comme un funambule entre une réalité qu’il décortique avec un soin méticuleux et ses propres rêveries, qu’il nous livre avec discrétion. Qu’il évoque les stigmates sur le visage d’un compagnon de rencontre, les ruines d’un bâtiment vandalisé, un reflet d’huile dans un bassin de radoub, une fin de nuit avinée dans une boîte à matelots ou sa propre solitude un soir de Noël, ses phrases ne tanguent jamais. Leur franchise est bercée d’une ironique tendresse qui tient l’amertume et le mépris à égale distance de sa plume.
Ses amis de rencontre, dockers, marins français, philippins, polonais ou croates, chômeurs et sans-logis de Calais, immigrants africains, irakiens, indiens ou afghans attendant de passer au Royaume-Uni, peuplent les courts chapitres de Terminal Frigo. Tous ont un destin. Jean Rolin nous fait entrer avec délicatesse dans le roman de leurs vies. Les années ont passé sur lui et ses multiples errances sans le priver de sa curiosité pour ses frères les hommes.



Daniel Rondeau, L’Express, 7 février 2005






Aux sombres héros de la mer



Jean Rolin aurait souhaité naviguer. Au lieu de cela, il fut docker, livreur, travailla au Bazar de l’hôtel de Ville avant de devenir un journaliste-écrivain tout à fait singulier, un Livingstone des zones limitrophes, un envoyé spécial dans les trous du paysage. De livre en livre, ce démobilisé de la Gauche prolétarienne nous rapporte des croquis désabusés, griffonnés sur le vif dadns les marges du monde : portes de Paris, boulevard des maréchaux, ZAC, décharges, bretelles autoroutières, mais aussi peuples déshérités de Bosnie ou chrétiens de Palestine. Ce nouveau livre montre comment sa nostalgie océanique a conduit Rolin à partir en maraude sur ces confins, ces bords béants que sont les ports : Saint-Nazaire, Le Havre, calais, Dunkerque … Syndicalistes, clandestins, travailleurs sur le "Queen Mary 2" et tribuns de bistrots : Rolin les écoute tous sans jamais s’impliquer lui-même… Dans cette apparente placidité, ce détachement somnambulique et désenchanté, il y a du Modiano, un Modiano des lisières sidérurgiques, qui ferait son miel de ces lieux de rebut dont personne ne veut, et surtout pas nos romanciers de salons : usines à gaz empanachées de torchères, darses, hauts-fourneaux, incinérateurs d’ordures, conteneurs, empilés, entrepôts désertés sous un violent éclairage au néon. Terminal Frigo délimite l’univers rude, sans pittoresque, sans intrigue et sans amour d’un explorateur, solitaire et détaché ,des aubes industrielles, des friches, des no man’s land. Au sommet d’une tour dévastée qui lui servait d’hôtel à Calais, l’auteur se souvient qu’il observait la Manche à la jumelle : "Je contrôlais tout le littoral […] sans bouger de mon lit…" Qu’attendait-il au juste de cette vigilance ? comme le lieutenant Drogo du Désert des Tartares, Jean Rolin, guetteur d’ombres, semble rêver, avec une mélancolie d’espoir et de crainte, d’un miracle qui se produirait soudain et viendrait éclairer notre monde absurde et abandonné.



Elle, 14 février 2005, Gérard Pussey,











Agenda

Lundi 6 mai à 19h
Jean Rolin à la Maison de la poésie (Paris)

Maison de la poésie

Passage Molière
157, rue Saint-Martin
75003 Paris

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Et aussi

Jean Rolin Prix de la Langue Française

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Jean Rolin prix Joseph Kessel 2021

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