— Paul Otchakovsky-Laurens

Ma vie dans la CIA

Une chronique de l’année 1973
Roman traduit de l’anglais par l’auteur

Harry Mathews

À cause d’une étonnante série de quiproquos et malentendus, il était largement admis, au début des années soixante-dix, que Harry Mathews était un agent de la CIA. Même ses amis furent saisis d’un doute que ne cessaient de renforcer les véhémentes dénégations de l’intéressé.
De plus en plus frustré par sa propre incapacité à rétablir la vérité, Harry Mathews finit par se résigner à tenir le rôle qu’on lui attribuait mais, pour voir, pour s’amuser, par dandysme, il décida de le jouer à fond et en rajouta donc dans l’équivoque.
Ma vie dans la CIA raconte la vie...

Voir tout le résumé du livre ↓

Consulter les premières pages de l'ouvrage Ma vie dans la CIA

Feuilleter ce livre en ligne

 

Traductions

Allemagne : Engeler | Israël : Babel | Pologne : Dolnoslaskie Wydawnictwo

La presse

CIA, mode d’emploi


Cet écrivain américain et oulipien, ami d’Ashbery et de Perec, a-t-il été un agent de la CIA ? Réponse en 300 pages à couper le souffle et mourir de rire.


Un jour de 1973, Harry Mathews en eut marre qu’on le suspecte d’être un agent de la CIA au prétexte qu’il était américain, célibataire, fortuné, avait le physique de Sean Connery, vivait entre Paris (où il participa en Mai 68 à l’occupation de l’hôtel de Massa) et le Vercors (où il possédait une ferme isolée à flanc de colline) et il était membre de l’Oulipo, l’Ouvroir de Littérature potentielle, fondée en 1960 par Queneau et Le Lionnais. Conspirateur poétique, volontiers, mais barbouze, sûrement pas.


Romancier et poète, ami très proche de Georges Perec (dont il fut le traducteur aux États-Unis et qui fut son traducteur en France), l’auteur de Conversions (1969) avait bien tenté de plaider l’innocence et même d’en rire, mais c’était en vain. Plus il niait être un espion, moins on le croyait. Dans le Paris des lettres, où la guerre du Vietnam faisait des ravages, la rumeur, nourrie notamment par Philippe Sollers, avait donc établi que, sous son aimable couverture littéraire, Mathews travaillait en vérité pour les Américains.

Pour faire taire les soupçons, il décida d’aller dans leur sens. « Dites que vous êtes un agent, lui conseilla une amie, et on saura que vous ne l’êtes pas. L’agent secret est utile tant qu’il reste secret. » Dès lors, il endossa le costume de James Bond et fit de sa vie quotidienne un thriller en s’appliquant à ce que nul n’ignorât qu’il avait des activités douteuses. Au début, il s’amusa beaucoup à se mettre en scène. Il donnait de manière ostentatoire des boîtes de cigares au maître d’hôtel de la Brasserie Lipp, glissait de mystérieuses enveloppes dans sa propre voiture et gribouillait à la craie des signes énigmatiques sur les murs. Mieux, il fonda une agence de voyages fantôme qui préconisait aux Américains dyslexiques d’outre-mer de visiter la Sibérie sur les banquettes en bois d’un train de 2eclasse et de visiter la France profonde en passant par toutes les bourgades qui portaient des noms de saints. Il essaya aussi d’infiltrer le Parti communiste en leur exposant de pseudo-révélations sur les sociétés américaines qui trafiquaient de l’uranium en Indochine. (Mais son appartenance à l’Oulipo ayant été découverte, il fut condamné pour « formalisme cynique » et « idéalisme bourgeois ».)


Bref, Harry Mathews déploya une telle énergie pour laisser accroire qu’il était un espion qu’il finit par être interrogé par les services secrets de l’ambassade soviétique à Paris, accusé d’être lié à l’extrême-droite et même d’avoir tué une gauchiste à Milan. Mais le jeu cessa brutalement lorsqu’il apprit par les journaux le rôle de la CIA dans la chute d’Allende : « J’étouffais de honte patriotique. » Il préféra alors passer pour un idiot que pour un complice. Seulement voilà, il était allé trop loin dans la supercherie et le retour à la réalité allait être douloureux.


Dans ce livre brillantissime, souvent hilarant, parfois torride, toujours passionnant, où l’on croise Perec, Barbara, Maurice Roche, la belle et « hautaine » Marie Chaix (future femme de l’auteur), quelques lambertistes et une poignée de lepénistes, Harry Mathews n’a jamais été plus oulipien. Que fait-il d’autre en effet dans Ma vie dans la CIA mode d’emploi, sinon expérimenter, en bannissant le lyrisme de l’aléatoire, toutes les potentialités ludiques que les mathématiques de l’espionnage peuvent apporter à la littérature noire mais aussi à l’autobiographie ? À la fin d’ailleurs, on ne sait plus démêler le vrai du faux. Qu’importe, à le lire, on a pris, sur l’échelle de Perec, un plaisir puissance 10.


Jérôme Garcin, Le Nouvel Observateur, 17 mars 2005


L’espion qui mimait


Parce qu’on le prenait pour un agent de la CIA, Harry Mathews a décidé de jouer le jeu. D’aventures burlesques en coïts interrompus, le roman hilarant d’une méprise.

En 1973, Harry Mathews commence à en avoir marre que ses proches le prennent pour un agent de la CIA depuis déjà quelques années. Il a beau nier, rien n’y fait, au contraire. Il est américain, rentier, dispose d’un appartement rue de Varenne et d’une maison dans le Vercors, écrivaille un peu, traîne beaucoup, de cafés en restaurants, en fringues élégantes : voici qui suffisait, semble-t-il, dans le Paris littéraro-mondain des seventies – hyper idéologisé, et donc qui voit tout et tout le monde par le filtre de l’idéologie et du complot politique –, à faire de vous un agent de la CIA… et un pur personnage de fiction.

Le roman commence alors vraiment quand Mathews accepte, sur les conseils d’une amie, de jouer le jeu et le rôle que les autres lui allouent dans le mauvais roman ultrapolitisé de la France de l’époque : « Niez être un agent, et on pensera sans doute que vous l’êtes. Dites que vous l’êtes et on saura que vous ne l’êtes pas : l’agent secret est utile tant qu’il reste secret. Se déclarer tel peut éventuellement faire taire les gens, même si en France il restera toujours des sceptiques pour soupçonner la ruse. » Le livre est hilarant, qui déroule, emboîte comme une multitude de poupées russes, les aventures rocambolesques que va vivre « l’agent » Mathews, pris à son propre piège, manipulé par des individus louches, par les groupes politiques qu’il tente d’infiltrer, de l’extrême gauche à l’extrême droite. Antihéros transmué en héros malgré lui d’un roman où l’absurde (politique) rivalise avec le burlesque, l’ironie, la poésie d’un individu aux prises avec un monde qui s’avère dangereusement, aveuglément divisé en groupes, en modes de pensée collectifs.

Moment signifiant quand un chef de cellule du PC bannira « Monsieur Matiouze » de leurs réunions parce qu’on n’est pas là pour s’amuser, mais pour soutenir la classe ouvrière française, alors que « Monsieur Matiouze n’est pas un ami de la classe ouvrière française et ainsi du Parti qui la représente. La vérité, c’est qu’il appartient à une organisation fondamentalement opposée à nos intérêts. » L’organisation en question, c’est l’OuLiPo (l’Ouvroir de Littérature Potentielle)…

La poésie et l’humour contre le dogme politique ? C’est la force explosive de ce roman, qui dynamite tout diktat collectif, tout système intellectuel rigide et excluant, au profit d’un vent de liberté d’une fraîcheur joyeuse et jouissive. Car la jouissance (ou du moins l’espoir de…) est au cœur du dispositif romanesque de Mathews : jouissance de l’art, de la cuisine, du vin et bien sûr du sexe, comme autant d’échappées belles hors de la rigidité cadavérique de toute doctrine.

Partout où il passe, ce Buster Keaton ubuesque n’a de cesse de draguer, une femme en Mercedes chez les communistes, une lilliputienne lubrique côté droite dure. Coïts interrompus en rencontres inabouties, Mathews reste ce qui fait sa beauté : un parfait dilettante, qui fait du dilettantisme un art de vivre résistant pour une éthique de liberté individuelle et intellectuelle. Son roman est ainsi un roman dilettante, libre, drôle et sensuel, trop rompu aux mots, aux jeux et à l’écriture (c’est son quatorzièmz ouvrage) pour ne pas s’amuser d’en bousculer les règles sans en avoir l’air.


Entre-temps, on aura croisé quelques figures du Paris 70, comme dans un film d’Eustache dont Mathews est souvent si proche : Régine ; Maurice Roche, Tinguely, Sollers, mais surtout Perec, son seul véritable ami, magnifique, parfaite incarnation de tout ce qui anime le geste romanesque de Mathews. Plus qu’un espion ; Harry Mathews est bien un observateur hors pair des petites faiblesses déguisées en pompes politiques d’une certaine France. La CIA ne fut qu’une couverture pour cacher le regard acéré et faussement candide d’un personnage moderne, un écrivain dilettante – les seuls, peut-être – à prendre vraiment au sérieux.


Nelly Kaprièlian, Les Inrockuptibles, mars 2005


Un dandy aux services secrets

Harry Mathews a fait un thriller où la frontière entre le réel et la fiction est implacablement brouillée. Bien sûr, les règles du roman d’espionnage sont respectées ; bien sûr, elles sont aussi détournées grâce à un humour toujours présent, tandis que de temps à autre de superbes accélérations verbales nous rappellent que tout est ici concerté, machiné, maîtrisé pour un immense bonheur de lecture.

Epok, avril 2005


L’agent des autres

Mathews racontes son « aventure » avec un tel sérieux drolatique – des épisodes sont à mourir de rire – que son livre est comme une grenade qui explose en libérant une pluie de joyeux confettis.


André Rolin, Le Canard enchaîné, 6 avril 2005


Un agent très spécial

Ce vrai-faux polar, qui allie fantaisie, intelligence et sensations fortes, est un délice pour la lecture.


Patrick Williams, Elle, avril 2005


Les révélations de l’agent Harry

Harry Mathews partage sa vie entre les États-Unis, où il est né en 1930, et la France, qu’il a rejointe en 1952 afin de poursuivre des études musicales, délaissées pour l’écriture. Durant l’année 1973, cet auteur n’a pas seulement joué avec les mots, mais aussi avec le feu en se déguisant en agent secret. Il chronique cette mésaventure singulière dans Ma vie dans la CIA, délicieux roman tragi-loufoque, où il fait des infidélités à sa mémoire en jonglant avec la langue et le réel sur le terrain de la fiction.



Longtemps, Harry Mathews a vécu entouré d’on-dit. Beaucoup de Parisiens « savaient » qu’il était gay et millionnaire. Ces bruits ont couru autour de lui sans entraver sa marche, au contraire de cette rumeur le disant « de la CIA », qui s’est répandue tel un feu de forêt, même chez ses proches. Après s’être terré chez lui, avoir traîné dans les coulisses en se lamentant, l’écrivain « entre en scène et joue l’histoire à fond ». Il se glisse avec malice dans la peau d’un agent secret et tient si bien son rôle que le KGB le convoque. Au cours de ces péripéties farfelues, grinçantes ou cocasses, on apprend que le Parti communiste se méfiait comme de la peste yankee de l’Oulipo, ce « gang de formalistes cyniques ».

Après le putsch de Pinochet au Chili, le faux barbouze n’a plus envie de jouer, mais le piège s’est refermé sur lui. Le voilà obligé de disparaître dans la nature. C’est ainsi sur la tombe de l’agent Harry que le romancier dépose Ma vie dans la CIA, où il transforme une page de sa vie joyeusement inquiétante en un brillant roman d’espionnage.

Élisabeth Vust, 24 heures, avril 2005

Harry Mathews, Ma vie dans la CIA

Que sait-on de Harry Mathews? Que c’est un Américain très français. Qu’il est poète, mais surtout romancier. Qu’il était très lié avec Georges Perec et que ce dernier lui a ouvert les portes de l’Ouvroir de Littérature Potentielle. En écrivant Ma vie dans la CIA - Une chronique de l’année 1973, année fertile en événements politiques très soigneusement explorés, il joue les mystificateurs ou du moins on l’espère pour lui: « Je me dis: ça ressemble à un film où j’aimerais mieux être spectateur qu’acteur ». En effet, à part son auteur et ses petits camarades oulipiens, Ma vie dans la CIA va en amuser plus d’un ! Quand Harry Mathews débarqua en France, il était nanti de quelque argent. Il s’en explique à la page 15 de la chronique en question. Et c’est là que l’affaire commence : que fait cet Américain à Paris ? Est-ce un milliardaire ? La rumeur germanopratine se jette sur l’aubaine : « J’ai vite appris que protester que je n’étais ni agent de la CIA, ni gay, ni très riche était une pure perte de temps. Cela ne faisait qu’entretenir ces probabilités-là. J’étais fou d’en être si perturbé ; mais c’était ainsi. » L’autofiction est à la mode et ainsi commence ce qu’il serait prudent de considérer comme une parodie oulipienne branchée. Dans un premier temps, cet homme honnête - qui est également un honnête homme dont la culture impressionne - ce brave garçon, tente vainement de se justifier. Le deuxième acte s’élabore sur un constat d’échec. Heureusement, devant une première bouteille de champagne « bien entamée », une amie lui donne un bon conseil : « Écoute, répondit Sylvia, on t’a donné tout ce qu’il faut pour monter une comédie fabuleuse. Tu ne dois plus te traîner dans les coulisses en te lamentant. Entre en scène et joue l’histoire à fond. » Un éventuel amateur peut maintenant se documenter sur la manière de faire l’espion. Il y a une abondante littérature pour apprendre quelle apparence se donner, la photo de l’auteur ainsi travesti est elle-même assez convaincante. Ajoutons à cela la manière de se comporter, de se déplacer, de se fabriquer une « couverture », de placer au bon endroit des bobards à l’attention des gens que ça pourrait intéresser.Mathews se déchaîne ! Les noms, il les donne, entre autres ceux de ses copains, mais : « Afin de ne pas les gêner inutilement, les noms de certaines personnes figurant dans le récit ont été changés. » Il dévoile ses contacts qui iront de l’extrême droite au Parti Communiste et au KGB. Le jeu est dangereux, mais suprêmement excitant et le lecteur « marche », s’il a toutefois la sagesse de ne pas chercher à démêler le vrai du faux. Seuls, les inités s’en chargeront pour leur convenance personnelle... Dans un troisième temps, l’auteur nous embarque dans des aventures rocambolesques. La moindre n’est pas un certain passage à l’église Saint-Sulpice à Paris, afin de récupérer un mystérieux paquet: « Après avoir passé quelques minutes comme prévu dans la chapelle devant les tableaux de Delacroix, je m’assis sur un banc au milieu de l’église pour m’orienter. » Sans commentaires ! Avec une habileté, une érudition, une minutie jubilatoires, l’histoire se charge de suspens et le héros qui s’est réfugié dans sa maison du Vercors se trouve menacé d’une fin effroyable : « Depuis quinze ans, j’avais conservé le mécanisme d’une horloge comtoise que j’avais trouvé dans la maison en l’achetant (...) En dessous, par terre, se trouvait un petit sac en plastique transparent contenant deux noix ; un morceau de fil de cuisine le rattachait au balancier. Une longueur de grosse ficelle était nouée autour de la tige du balancier. » Une redoutable machine infernale, quoi ! Un vrai faux thriller très divertissant, donc, mais pas seulement. On y retrouve, romancée, la dimension de mystère que chacun de nous habite et souvent développe. Le masque de notre « personne ». L’apparence que nous amène à prendre, pour nous en protéger, nous cacher d’elle, lui donner le change, la société qui nous entoure.

Agnès Vaquin, La Quinzaine littéraire, 6 juin 2005

Et aussi

Harry Mathews est mort.

voir plus →

Vidéolecture


Harry Mathews, Ma vie dans la CIA, Ma vie dans la CIA - juillet 2013