— Paul Otchakovsky-Laurens

L’ Aurore

Tout l’Univers, II

P.N.A. Handschin

À l’instar de Déserts, le premier livre de P.N.A. Handschin, on peut dire que L’Aurore est l’envers d’un décor, est inhabitable ou aussi que c’est une machine-outil à creuser des abîmes. Mais, à la différence de Déserts, il s’agit moins ici de la remise en jeu de toute identité que d’une course effrénée à travers l’Histoire, au milieu de ses acteurs et de ses figurants, de ses victimes et de ses bourreaux, d’une glissade radicale qu’organise une syntaxe poussée à son extrême logique grâce à quoi les temps et les lieux s’échangent à une vitesse telle que le sens en...

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La presse

Tout l’univers dans le « non livre » d’un jeune auteur ambitieux


Son premier livre, Déserts, en 2003, nous avait frappés : un vrai faux « roman-fleuve » où toutes les phrases communiquaient les unes à la suite des autres à la faveur d’un mot commun. Et la phrase (souvent cocasse grâce à la rencontre incongrue de deux thèmes, personnes, univers, dans la même construction) finissait par balayer tout sujet. Son deuxième texte, L’Aurore, procure une impression de déjà-vu : mêmes structures circulaires, même éclatement du sens, même goût de l’absurde. Et un sujet de plus en plus manquant, ou alors à l’identité sémantique réversible, sujet et complément d’objet : « […] Jean d’Ormesson abdiqua en faveur de son fils Hugues Capet raccompagna chez elle Rhéa qui errait devant le musée d’Orsay fut assiégé par les anarchistes de Bakounine provoquèrent l’écroulement de la IIIe République et son remplacement par le Directoire déclencha la guerre du Golfe devait normalement s’étendre à la Mongolie […] ». Sous-titré « Tout l’univers II », L’Aurore réfute les codes fondamentaux du livre : si l’écrivain se doit de sélectionner ses mots, ses thèmes, pour faire sens, Handschin préfère sacrifier la raison au profit d’un livre idéal : le contenant total. Dès lors ouvert à tout ce qui est nommable dans l’univers (de Jean d’Ormesson à Dagobert), tous temps confondus, comme s’il lui fallait recenser tous les mots existants, et que sa structure grammaticale n’était qu’un prétexte, de la poudre de perlimpinpin jetée aux yeux des esprits rationnels, chagrins, terre à terre ; le livre, qui porte en lui son propre suicide, nous plonge avec bonheur dans le chaos du monde.


Nelly Kaprièlian, Les Inrockuptibles, 6 juin 2005.



L’histoire du monde selon P.N.A. Handschin


Le titre. L’aurore.

L’auteur : P.N.A. Handschin est né le 7 octobre 1971 à Besançon. Il a déjà fait paraître chez P.O.L un autre livre, Déserts.

Le genre : Zapping historique et poétique.

Le sujet : En vingt-sept chapitres (de quatre pages environ chacun), l’auteur colle des événements et des personnages historiques les plus variés et sans rapport direct. Quoique...

La phrase (extrait).« Pierre Curie futur historien et critique de cinéma français naquit à l’hôpital Lariboisière fut pris d’assaut par les Araucans déclenchèrent la 4e croisade devait normalement mettre fin aux exactions napolitaines en Somalie le GECM interpella Dick Fosbury était habillé en uniforme de la guerre de Sécession faisait rage à Khartoum et à Syracuse. »

Le verdict : Avec son intitulé qui rappelle un célèbre quotidien et un film de Murnau (œuvre qui, à sa sortie, se voulait être un film « définitif »), le deuxième un livre de P.N.A. Handschin trouve sa meilleure explication dans son sous-titre, Tout l’univers (souvenez-vous de l’encyclopédie de votre enfance...). En tentant de synthétiser l’Histoire jusqu’à l’absurde, l’auteur crée un jeu de marabout-bout-de-ficelle déconcertant, dont l’humour ressortit à l’oralité.


Baptiste Liger, Lire, été 2005






Traquer dans la joie la métaphore guerrière invisible.




Publié en 2005 chez P.O.L., L’Aurore est le deuxième volume du grand oeuvre au long cours entrepris par P.N.A. Handschin, intitulé Tout l’univers, dont j’ai découvert et follement apprécié auparavant le septième volume (Traité de technique opératoire, 2014), le cinquième (Ma vie, 2010) et le sixième (Abrégé de l’histoire de ma vie, 2011).


Il y avait un petit risque - en tout cas je le craignais vaguement - à saisir ainsi à rebours un projet aussi ambitieux - de décapage par l’absurde des ressorts du storytelling contemporain - que Tout l’univers, même si je n’avais pas ressenti de déception, loin de là, en lisant le tome VII avant les V et VI. Soyons rassurés : si ce tome II est certainement un peu plus « brut de fonderie » que les trois tomes ultérieurs que je connais, il est bien loin de n’en représenter qu’une ébauche.


Des troupes allemandes motorisées traversèrent la frontière polonaise fut pilonnée par le PSU attendait des renforts pour attaquer la montagne Pelée tomba aux mains de l’UNEF et des carabiniers interpellèrent Zénobe Gramme mit sa main en visière et dit « Le dieu bienveillant et protecteur s’est suicidé à Auschwitz. » en dévisageant Guimard avait inventé la pénicilline en collaboration avec Champollion atterrit en Arkansas la boue et la vapeur brûlantes expulsées par le Taal saccagèrent treize villes dont São Paulo fut prise d’assaut par les Peuls liquidèrent une quinzaine de chercheurs anglais du Cemagref s’affairaient pour retrouver le corps de Leonid Brejnev (...)

Au long de ces 108 pages, la formule d’abrasion du langage utilisée est identique : de courts chapitres sont introduits et conclus par deux brèves propositions qui semblent, un instant, faire sens. Entre les deux se déploie implacablement une création par association de phrases simples, dans lesquels les liens de subordination et d’enchaînement ont été impitoyablement éliminés, créant une gigantesque ribambelle dans un esprit malicieux d’abord pas si éloigné de celui du révélateur enfantin « marabout - bout d’cigare - gare à toi ».

Pierre Curie futur historien et critique de cinéma français naquit à l’hôpital Lariboisière fut pris d’assaut par les Araucans déclenchèrent la 4e croisade devait normalement mettre fin aux exactions napolitaines en Somalie le GECM interpella Dick Fosbury était habillé en uniforme de la guerre de Sécession faisait rage à Khartoum et à Syracuse les Perses massacrèrent les Méos incendièrent la Maison-Blanche tomba aux mains de l’OSCE fit pression pour que Taiwan renonce à exercer une influence sur le chef de l’Église orthodoxe ordonna la crucifixion de onze membres d’Interpol (...)

C’est dans l’interconnexion des registres sémantiques utilisés, puisés pour partie au vivier journalistique des clichés en service commandé - qui apparaissent toujours en cible profonde et jouissive de la mise en scène de P.N.A. Handschin, que la puissance du procédé apparaît : vocabulaire de la diplomatie et de la grande stratégie, compte-rendus de vastes guerres historiques et de ténues guerres civiles locales, conflits sociaux et politiques côtoient ainsi en détail d’autres affrontements, considérés en général comme davantage métaphoriques, que sont les combats artistiques, les commentaires économiques, les joutes sportives, les grands (et petits) récits bibliques et mythologiques. S’y ajoutent encore, fugitivement, les notations géographiques ou météorologiques, apparaissant ici comme autant de prises de positions. Déjà, l’auteur démontre insidieusement la puissance de l’affirmation sans ambages par la puissance des données (« tout cela est vrai puisque je le dis et documente ») et par le sérieux affiché en surplomb de tout doute raisonnable.

...la ville royale de Cincinatti fut envahie par les Fatimides et les Barbares excommunièrent Louis II le Bègue se tourna vers la fée Viviane tomba immédiatement amoureuse de Lovecraft contemplait huit plâtres superbes de Hans Arp refusa l’offre de l’avocat Guibert qui lui proposait de liquider Ronsard et Pythagore avait reçu la Croix de Fer pour sa conduite exemplaire sur le front letton les Dravidiens assaillirent la montagne Sainte-Geneviève surplombait la montagne Sainte-Victoire fut rayée de la carte par l’INC entreprit d’envahir la Chine lança une escadre de B-52 contre le Tyrol du Sud réclama que Madagascar passe outre sa neutralité et bombarde la France-Comté


Pour notre ravissement de lectrice ou de lecteur, P.N.A. Handschin joue sérieusement. L’ampleur mécanique et obsessionnelle de la mise à nu des automatismes que chaque formule met en oeuvre sidère, tandis que le bonheur des associations pas si libres que cela - par lesquelles les sigles anodins et réputés plutôt pacifiques (DATAR, ISBN, URSAAF, ORSEC,...) se muent en mystérieuses forces combattantes, les sites touristiques deviennent lignes de front, les ouvrages d’art retrouvent subrepticement leur essence militaire - réjouit, amuse, et engendre le songe conscient. Traquant mine de rien, dans l’accumulation, la métaphore guerrière qu’il est si aisé de glisser - subrepticement ou non - dans quasiment n’importe quel discours, il met sur la table ce qui reste le plus souvent dessous : le singulier pouvoir des mots - et ce d’autant plus qu’il ne se présente guère ici comme tel - de la bouillie médiatique qui déferle en permanence, usant du cliché automatisé comme d’une arme de guerre, en effet.


Des cavaliers putschistes se mirent en route pour sauver l’explorateur polaire norvégien Amundsen remonta le col de son duffle-coat et dit « La vérité sur la Terre ça s’appelle le fascisme » en dévisageant Goebbels gifla Marine Le Pen qui attrapa alors un revolver et logea une balle dans la poitrine de son amant était de connivence avec Schwarzenegger arriva par les airs à Woodstock le KGB détrôna Rainier III ignorait ce qu’étaient les droits de l’homme restaient mystérieux à Vercingétorix se laissa enfermer dans Alésia (...)

Il y a quarante-cinq ans, Leopoldo María Panero construisait une poésie mettant en évidence le rapt de nos rêves d’enfant par une marchandisation industrielle et détendue de notre culture (Ainsi fut fondée Carnaby Street, 1970). P.N.A. Handschin élabore maintenant pour nous, depuis douze ans, une prose souvent irrésistiblement drôle, singulière et salutaire de dessillement, de confrontation à la profonde pollution du langage même qui est à l’oeuvre autour de nous.

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Blog de la librairie Charybde
, Paris, mars 2016.