— Paul Otchakovsky-Laurens

Poser me va si bien

Aïcha Liviana Messina

« Mes notes de pose ». Tu as trouvé que c’était un bon titre, tu as reconnu… une écriture ? Plutôt un devenir. » Deviens l’écriture » : je crois que, tacitement, c’est ce que tu m’as dit. Je ne savais pas écrire mais je ne pouvais que devenir modèle ; et l’écriture a été le modèle de mon devenir.
Tu te souviens de cette dame qui disait que les modèles étaient « en chair et en os » ? J’ai fait une moue que tu sais bien faire aussi. Non, un modèle devient le silence d’une pose. Que cela fût hors langage, et ne soit pas non plus ni danse, ni...

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La presse

Penser poser


L’auteur de cet étrange « journal d’un modèle » est une jeune philosophe qui pose pour des ateliers de peinture et de sculpture – et tire de ses séances un vertige de concepts et d’intuitions puissantes.


« Je ne suis rien. Qu’une émotion instable. Mais qui sait poser. » Doctorante en philosophie, Aïcha Liviana Messina pose nue depuis plusieurs années pour des artistes et des étudiants en art, de l’école Penninghen aux Beaux-Arts. Les « notes » qu’elle en a tirées, aux confins de la théorie esthétique et de l’autobiographie philosophique, constituent pour les éditions P.O.L une double première – ni l’art ni la théologie, sauf rares exceptions (dont l’œuvre de Jean Louis Schefer), n’ayant trouvé jusqu’alors leur place au catalogue du grand éditeur littéraire. C’est qu’il s’agit ici, avant tout, d’écriture, et d’une expérience inédite : entrecroiser sans vergogne, sous la plume électrique (tantôt fulgurante tantôt télégraphique) de ce modèle-philosophe, les motifs de la pose, de la danse, du travail artistique et de l’énigme philosophique. « Comment tenir ? » s’inquiète le modèle. Sous les douleurs physiques et les poncifs pygmalionesques de la pose d’atelier, elle ouvre une véritable boîte de Pandore, tant les paradoxes qu’elle exhume plongent le lecteur dans un vertige théorique : il faut pouvoir bouger sans bouger, se libérer de l’immobilité par l’immobilité, découvrir la puissance de l’inertie, d’un sang « exposé », sans début ni fin, indifférence ni « innocence ». Plaisir même de la pose (une fois passé ce moment « effrayant » où l’on tombe le peignoir), la nudité du modèle n’est ni sexuelle ni commerciale, comme le répète l’auteure dans ces notes adressées à son maître en philosophie, qui sut susciter entre eux ce « rituel » – destinataire tutoyé derrière lequel, à tel titre ou tel thème, on reconnaît bientôt Jean-Luc Nancy. »Le plus vivant de moi est ma pause », martèle Aïcha Liviana Messina, qu’obsède ainsi, contre « l’humanisme » et les quêtes de « sens », l’opération de désubjectivation à l’œuvre dans la pose : s’effacer à mesure que l’œuvre avance, savourer l’inexistence, se désidentifier tout en offrant à chaque œuvre (restée dans l’histoire après avoir « tué » son modèle) son unicité irréductible, sa chair propre. Avec sa discrétion « criante », le modèle est l’envers du Sujet : « ce qu’ils copient c’est la pose, ce n’est pas moi », la pose comme âme, loin de tout esprit. A côté d’éclats lumineux, sur l’épreuve du temps (qui est « le reste de la pose ») ou la violence de la langue, et des nombreux auteurs convoqués ici dans une intimité crépusculaire (de Blanchot à Derrida, Artaud à Deleuze, et Duras bien sûr pour « l’attente »), le texte se fait volontiers opaque, elliptique, léger ou délirant, renvoyant derrière l’auteure à l’enfant qu’elle fut, « incapable de lire une histoire sans [se] perdre dans les détails de [sa] rêverie ». Déployant dans la pensée les tensions de la pose, ou l’équivalent philosophique du croquis en art, ce journal à nul autre pareil revendique aussi la portée politique de son geste – politique de la « futilité », de la « précarité », de la « nonchalance », éthique du corps exposé autour duquel, partout, « la mort est à l’œuvre ».


François Cusset, Livres Hebdo, 22 avril 2005


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