— Paul Otchakovsky-Laurens

Auto mobile fiction

Eric Meunié

L’argument est simple, très « film français » : un homme qui est séparé, provisoirement espère-t-il, de la mère de sa fille, loue une voiture et vient passer quelques jours dans la villa de location, du côté de Saint-Raphaël, qu’ils auraient dû en principe occuper tous les trois. Il s’auto-analyse. Il déprime.

Mais voilà, la dépression selon Éric Meunié est un formidable moteur de fiction et d’humour.

Notre héros n’est pas arrivé depuis quelques heures qu’il se met en tête d’assouvir, cependant qu’il ressasse sans fin son désarroi amoureux, une irrésistible...

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La presse

La photographie de l’automobile prise par son conducteur même


Dans le grand concert autofictionnel contemporain, l’auto d’Éric Meunié klaxonne « coin !coin ! », claudiquant son statut d’amplification du moi vers une nappe de bonheur littéraire que ne renieraient de concert, ni le tube de l’été ni la littérature prix – et encore moins les expériences hors champ : expérimentales ou poétiques.


Un mono road-movie (road-movie sans passagers, juste, parfois, en rétroviseur mental = Auto mobile fiction) avec écriture baroque en injections – d’humour – et négociation de virages sans direction assistée… L’argument du voyage est simple,très film français de première partie de soirée : un homme part seul, malgré lui, en vacances à Saint-Raphaël, sans femme ni sa fille, alors qu’il avait organisé le séjour avec elles. Cette retraite forcée sous le soleil est l’occasion d’un auto-analyse dont seule la docile automobile de location semble être le témoin, surinterprétation narcissique vertigineuse embrayant rapidement sur une série d’aventures aussi drôles que piteuses, menée par un désir de satisfaction libidinale bien compréhensible quand on songe à la chaleur régnant dans un habitacle surchauffé, en plein été, dans le Var… Ainsi, le conducteur et ses lecteurs, voyeurs accrochés au pare-chocs, croisent-ils un garçon recruté sur une petite annonce régionale pour étreinte homosexuelle, coup d’essai-coup de maître, mais qui, dans la logique du récit, n’aboutira pas…, le souvenir d’une prostituée poète qui semble avoir changé de domicile depuis la dernière consultation, un masseur transsexuel végétarien en liaison avec de puissantes forces cosmiques…

Éric Meunié nous entraîne dans le rythme de ce roman si personnel, d’un humour irrésistible – car toujours en demi-teintes – intégrant également, dans un jeu de polysémie parfaitement maîtrisé, un dispositif à plusieurs voix ouvrant le champ interprétatif sans jamais entraîner de panne du récit. Ainsi le « mobile » se fait-il aussi artistique, en tant qu’installation de souvenirs assemblés à la Calder, balancés par le vent de l’introspection un brin paranoïaque.

Autre « mobile », celui d’un enquête policière. On imagine l’auteur relevant son col d’imperméable à la Maigret, fouillant le motif du crime du soi que pourrait représenter l’autofiction : pourquoi, à quel moment de sa vie, se mettre à dérouler les circonstances de sa déambulation dans le monde et de ses rencontres ? « Aujourd’hui, je préfère la fiction et particulièrement les moments de fiction surgis de l’existence elle-même, le travail de l’identité se situant moins dans un destin d’exception que dans la faculté de transparence sur des secrets bien communs. L’autofiction préfigure un temps où la vanité serait le laboratoire de l’universel, me plais-je à le croire. »

Woody Allen mâtiné de Francis Ponge, alternant poses avec calvitie en short trop large et dépouillage consciencieux des éléments du quotidien, Éric Meunié lave son linge sale en solo avant de l’étendre bien consciencieusement à sa fenêtre – pour éviter d’avoir à le repasser, c’est bien connu. Mais ce n’est pas la seule raison. L’exposition du « moi » est non seulement exemplaire, mais ambiguë, entre effets de réel et références littéraires et artistiques en discrète surimpression. Et le lecteur de découvrir, au détour d’un rond-point traversé, une généalogie complexe, une famille pesante comme un sarcophage, une androgynie de principe, contaminant les genres roman et poésie, le roman s’entichant de tours formels…


Laure Limongi, L’Humanité, 31 janvier 2006




Quand Weyergans glose sur la panne d’écriture et l’ultra moderne solitude qui s’ensuit, Meunié fait de la dépression un étonnant moteur de fiction et d’humour. Dans le sillage des poètes maudits et autres promeneurs solitaires, l’écrivain en vacances médite au volant d’une automobile de location. Ainsi « livré au pilotage de son automystification », le vacancier esseulé découvre une définition inédite de l’amour (« le premier venu »).

L’exagération mentale et affective imprime à la phrase de Meunié un lyrisme potache. Autodérision et paranoïa provoquent alors une inversion comique qui détourne la classique (en)quête d’identité. « Pèlerin de Prisunic », aurait sans doutes dit Desproges. « Semeur aux bourses pleines », suggère le narrateur guettant dans les petites annonces, « sports et détente », la jouissance future et certaine qui ouvrira ce que le héros migrateur appelle « tout un monde rénové ». On s’assoit sans hésiter côté passager.


Epok, 3 février au 9 février 2006




À bribes abattues


Éric Meunié a l’art d’agencer les bouts et de faire des séries une loi.


[…] Auto Mobile Fiction dont l’auteur, on le suppose, fait lui-même la publicité sur le dos du volume : « Mobile d’une petite autofiction et fiction d’une petite automobile de location, avec accélération vers la jouissance sexuelle en fin de contrat, puisque telle est la vocation du texte.» Et, pour l’avoir lu, on peut dire qu’il n’y à là aucune publicité mensongère, le mobile est apparent : passer quelques jours de vacances avec sa famille qui ne viendra pas et on la comprend. L’autofiction nous à tout l’air d’une Peugeot rouge à quatre portes avec un siège bébé et pas de bébé derrière, et l’art de dépenser une bourse du Centre national des lettres qui ne l’a pas volé. La jouissance sexuelle, c’est comme la bandaison, la bandaison, papa, ça ne se commande pas, même dans la main pleine d’ambre d’une putain dévoyée et couillue comme un homme. Comme il est dit page 96, si Meunier est un infinitif, Meunié a tout l’air d’un participe passé, mais c’est un leurre, Meunié participe aujourd’hui et l’essentiel n’est-il pas de participer ? Surtout que huit pages plus loin on sait ce qu’il en est de ce manque d’R : « J’éprouvais la circoncision de mon nom comme une pointe brûlante. […] L’accent aigu m’avait privé de la volupté du prépuce, frissons d’écharpe d’une mondaine à l’opéra. » on se doutait bien qu’il était drôle, et lorsqu’il parle d’alopécie et de carolomacérien, ce n’est pas que Rimbaud était chauve, c’est de la poésie complète.


Jean-Baptiste Harang, Libération, 23 février 2006