Deux hommes – un jeune homme d’une vingtaine d’années et son oncle – entreprennent une randonnée en haute montagne, dans les Pyrénées Centrales. Mais leur projet est remis en cause par la survenue d’une embolie cérébrale qui terrasse l’oncle quelques jours avant la date prévue pour leur ballade. L’oncle quelque peu remis in extremis (bien que demeurant aphasique), ils décident de partir quand-même, à l’insu du reste de la famille.
C’est à la fois un fardeau et un trésor inestimable que le jeune homme se traîne en montagne. Car son oncle est le dépositaire d’un secret qui alimente sa « vie...
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Deux hommes – un jeune homme d’une vingtaine d’années et son oncle – entreprennent une randonnée en haute montagne, dans les Pyrénées Centrales. Mais leur projet est remis en cause par la survenue d’une embolie cérébrale qui terrasse l’oncle quelques jours avant la date prévue pour leur ballade. L’oncle quelque peu remis in extremis (bien que demeurant aphasique), ils décident de partir quand-même, à l’insu du reste de la famille.
C’est à la fois un fardeau et un trésor inestimable que le jeune homme se traîne en montagne. Car son oncle est le dépositaire d’un secret qui alimente sa « vie intérieure ». En effet, le père de cet oncle, Michel Gelès – récemment décédé, il était haï par l’ensemble de la famille qui le décrivait comme un vieil acariâtre – a été un héros durant la guerre d’Espagne, s’étant notamment illustré comme un initiateur des Brigades Internationales.
Le jeune homme, aigri et frustré par une vie décevante (il est vendeur de chaussures), idéalise ce parent qu’il n’a pas connu, qu’il « invente » petit à petit en se nourrissant de livres retraçant cette période de l’Histoire. Il compte bien, de manière naïve et irréaliste, que l’intimité avec son oncle (qui connaît sans doute la « vérité » biographique de son père) parachève cet idéal.
Mais la réalité rattrape bien vite nos « fuyards ». D’une part le dépucelage un peu particulier du jeune homme, au cours d’une nuit dantesque, avec une campeuse-randonneuse allemande, puis la perte apparemment définitive du message familial, contredisent ses projets.
Un legs écrit de l’oncle excite son imagination et ce double hospice du témoignage et de la fiction ressuscite la mémoire de Michel Gelès, un alter ego idéal pour le jeune protagoniste.
Le destin tragique de son héros confine le jeune homme (déjà acculé par les éléments naturels), resté seul, à une lecture « objectiviste » de la guerre d’Espagne. S’en suit une restitution des énoncés accumulés à des fins épiques, rendus ici dans toutes leur nudité et leur force. Dans un final en forme de bouffée extatique, il se fond dans la voix lyrique de l’Histoire abhorrée.
Ce texte est le plus« calme », typographiquement parlant, de ceux que nous a confiés Frédéric Léal. Cela, sans doute, le rend moins intimidant pour le lecteur non averti. Mais on y retrouve cette énergie, cet humour, la drôlerie caractéristiques de l’auteur. Et la « scène érotique » est un morceau d’anthologie.
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L’écriture de Frédéric Léal dans Un trou sous la brèche est légère, trouée - justement -, tissée de failles, de raccourcis. Une écriture digressive qui effleure la page au rythme de dialogues enlevés. Il fallait une telle chorégraphie, avec godillots bon marché et plan égaré, pour aborder le sujet-massue du livre : la réappropriation de l’histoire familiale sur fond d’initiation sexuelle. Ue famille du sud-ouest divisée par la question de l’engagement au moment de la guerre d’Espagne, entre un grand-oncle héros ambivalent et des parents frileux. Quant au héros, il affiche dix-neuf ans sérieusement pucelés, ressassant de fraîches et cuisantes déconvenues. L’auteur évite avec brio la panoplie des tartes à la crème du genre, de la mièvrerie du flan nature aux aigreurs de divorcés sans oublier la fadeur écoeurante des cochons ou le brillant surfait des babas rassis... Nulle glorification confite du moi ici. Au contraire. L’antihéros Fréd, le narrateur, nous entraîne dans une série de mésaventures d’un comique irrésistible désaffublant la moindre once de pompe romanesque. Au volant d’un véhicule piteux, celui-ci - du haut de sa jeunesse hésitante, sans direction sociale ni passion fulgurante - embarque le prétexte de l’aventure, le pivot familial, porteur de la parole et de la mémoire : son oncle... qui s’avère aphasique. Ca commence bien. Surtout pour s’attaquer à l’ascension d’un mont ne portant pas d’autre nom que « Perdido ». Dans cet univers hurlant de signes, d’indices et de symboles, Frédéric Léal recompose le puzzle de son ascendance et d’une séquence historique majeure. Evidemment, la jolie blonde solitaire rencontrée sera allemande, l’histoire de ses parents pendant la guerre étant évoquée. (On ne dévoilera pas ici l’épilogue charnel de l’échange, un moment de bravoure à lire absolument.) Quant à l’oncle, outrepassant la parole, il trouvera le moyen de révéler l’histoire rocambolesque de son père à travers l’écriture, justement, l’inscription tremblée de lettres, la mention des ratures, des hésitations, des digressions... l’hétérogénéité d’un roman terriblement réussi dans son projet d’annihiler la distance temporelle pour laisser subsister les frasques de l’histoire.
Laure Limongi, CCP
Entre farce et émotion, le livre le plus sage d’un poète du bizarre et du bazar.
Drôle de zig, ce Frédéric Léal, dont le nom invite aux aléas des plus aventureux contrepets : entre « hélas ! » et « allez ! », voilà un auteur, se dit-on, bien peu avare d’exclamations... Ses titres déjà parus le montrent : de Selva ! à Let’s Let’s Go, il y a vraiment de l’allant, du bizarre et du bazar chez ce poète trentenaire qui descend en droite ligne - ou en zigzag - d’Arno Schmidt, le génial auteur allemand de Roses et Poireau, avec lequel il partage une fantaisie typographique proche parfois de la manie.
De ce point de vue, Un trou sous la brèche est peut-être le livre le plus sage de Léal : pas d’explosions de signes sur la page cette fois, ni de salves de lettres en vrac, mais un « roman » presque linéaire et quasi familial, avec seulement quelques « Biiiiii », « rôôôôÔ » et autres « vroum vroum »...
Il y a même ici une histoire, certes déconstruite par les facéties de l’auteur, mais qu’on suit sans guère se fatiguer : un jeune homme entreprend une randonnée dans les Pyrénées en compagnie de son oncle, qu’une récente embolie pulmonaire a laissé aphasique. Cet improbable duo de marcheurs - de travers - ne se contente pas d’affronter la montagne : c’est le passé mythique de l’Espagne républicaine qui se devine bientôt dans les brèches d’un récit à surprises, en même temps que le narrateur découvre les plaisirs inédits du sexe « à l’allemande », dans une scène de dépucelage assez désopilante. Tout cela n’est pas toujours d’une extrême finesse, mais on finit par glisser de la farce à l’émotion, tandis que le jeune homme réinvente son destin de vendeur de chaussures en rêvant au passé héroïque de son aïeul républicain... Ce rêve se dit pourtant sans emphase : Léal revisite de vieux paysages épiques avec une ironie un peu étrange, qui donne à son livre un attrait très singulier.
Fabrice Gabriel, Les Inrockuptibles, 2006