— Paul Otchakovsky-Laurens

Un trou sous la brèche

Frédéric Léal

Deux hommes – un jeune homme d’une vingtaine d’années et son oncle – entreprennent une randonnée en haute montagne, dans les Pyrénées Centrales. Mais leur projet est remis en cause par la survenue d’une embolie cérébrale qui terrasse l’oncle quelques jours avant la date prévue pour leur ballade. L’oncle quelque peu remis in extremis (bien que demeurant aphasique), ils décident de partir quand-même, à l’insu du reste de la famille.
C’est à la fois un fardeau et un trésor inestimable que le jeune homme se traîne en montagne. Car son oncle est le dépositaire d’un secret qui alimente sa « vie...

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La presse

L’écriture de Frédéric Léal dans Un trou sous la brèche est légère, trouée - justement -, tissée de failles, de raccourcis. Une écriture digressive qui effleure la page au rythme de dialogues enlevés. Il fallait une telle chorégraphie, avec godillots bon marché et plan égaré, pour aborder le sujet-massue du livre : la réappropriation de l’histoire familiale sur fond d’initiation sexuelle. Ue famille du sud-ouest divisée par la question de l’engagement au moment de la guerre d’Espagne, entre un grand-oncle héros ambivalent et des parents frileux. Quant au héros, il affiche dix-neuf ans sérieusement pucelés, ressassant de fraîches et cuisantes déconvenues. L’auteur évite avec brio la panoplie des tartes à la crème du genre, de la mièvrerie du flan nature aux aigreurs de divorcés sans oublier la fadeur écoeurante des cochons ou le brillant surfait des babas rassis... Nulle glorification confite du moi ici. Au contraire. L’antihéros Fréd, le narrateur, nous entraîne dans une série de mésaventures d’un comique irrésistible désaffublant la moindre once de pompe romanesque. Au volant d’un véhicule piteux, celui-ci - du haut de sa jeunesse hésitante, sans direction sociale ni passion fulgurante - embarque le prétexte de l’aventure, le pivot familial, porteur de la parole et de la mémoire : son oncle... qui s’avère aphasique. Ca commence bien. Surtout pour s’attaquer à l’ascension d’un mont ne portant pas d’autre nom que « Perdido ». Dans cet univers hurlant de signes, d’indices et de symboles, Frédéric Léal recompose le puzzle de son ascendance et d’une séquence historique majeure. Evidemment, la jolie blonde solitaire rencontrée sera allemande, l’histoire de ses parents pendant la guerre étant évoquée. (On ne dévoilera pas ici l’épilogue charnel de l’échange, un moment de bravoure à lire absolument.) Quant à l’oncle, outrepassant la parole, il trouvera le moyen de révéler l’histoire rocambolesque de son père à travers l’écriture, justement, l’inscription tremblée de lettres, la mention des ratures, des hésitations, des digressions... l’hétérogénéité d’un roman terriblement réussi dans son projet d’annihiler la distance temporelle pour laisser subsister les frasques de l’histoire.


Laure Limongi, CCP



Entre farce et émotion, le livre le plus sage d’un poète du bizarre et du bazar.


Drôle de zig, ce Frédéric Léal, dont le nom invite aux aléas des plus aventureux contrepets : entre « hélas ! » et « allez ! », voilà un auteur, se dit-on, bien peu avare d’exclamations... Ses titres déjà parus le montrent : de Selva ! à Let’s Let’s Go, il y a vraiment de l’allant, du bizarre et du bazar chez ce poète trentenaire qui descend en droite ligne - ou en zigzag - d’Arno Schmidt, le génial auteur allemand de Roses et Poireau, avec lequel il partage une fantaisie typographique proche parfois de la manie.


De ce point de vue, Un trou sous la brèche est peut-être le livre le plus sage de Léal : pas d’explosions de signes sur la page cette fois, ni de salves de lettres en vrac, mais un « roman » presque linéaire et quasi familial, avec seulement quelques « Biiiiii », « rôôôôÔ » et autres « vroum vroum »...


Il y a même ici une histoire, certes déconstruite par les facéties de l’auteur, mais qu’on suit sans guère se fatiguer : un jeune homme entreprend une randonnée dans les Pyrénées en compagnie de son oncle, qu’une récente embolie pulmonaire a laissé aphasique. Cet improbable duo de marcheurs - de travers - ne se contente pas d’affronter la montagne : c’est le passé mythique de l’Espagne républicaine qui se devine bientôt dans les brèches d’un récit à surprises, en même temps que le narrateur découvre les plaisirs inédits du sexe « à l’allemande », dans une scène de dépucelage assez désopilante. Tout cela n’est pas toujours d’une extrême finesse, mais on finit par glisser de la farce à l’émotion, tandis que le jeune homme réinvente son destin de vendeur de chaussures en rêvant au passé héroïque de son aïeul républicain... Ce rêve se dit pourtant sans emphase : Léal revisite de vieux paysages épiques avec une ironie un peu étrange, qui donne à son livre un attrait très singulier.


Fabrice Gabriel, Les Inrockuptibles, 2006

Et aussi

En juin 2018 aux éditions P.O.L et en librairie

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