— Paul Otchakovsky-Laurens

La Gym de tous les dangers

Raphaël Majan

À l’en croire, le commissaire Liberty ne souffre d’aucune surcharge pondérale, mais telle n’est pas l’opinion de la médecine du travail qui estime qu’un peu de sport lui fera le plus grand bien. Mais ça risque de faire le plus grand mal aux autres adhérents de Top Gym Plus Club, et la doctoresse qui lui a prescrit cet amaigrissement est justement membre. On verra Liberty, sans perdre un gramme, faire de son ventre l’arme d’un crime, et aussi apparaître entièrement nu devant des collègues de quartier, ce dont plusieurs d’entre eux n’auront pas l’occasion de garder de bons souvenirs.

 

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La presse

Le docteur Gnan tué par une pédale


Le roman policier aura rendu un grand service à la littérature : l’anti-roman policier que voici. Ça s’appelle Les Contres-Enquêtes du commissaire Liberty ; c’est signé Raphaël Majan, je ne me souviens même pas quand je me suis autant marré en lisant un livre.


Qui est Raphaël Majan ? Certainement quelqu’un d’autre. Certainement pas « un fonctionnaire du ministère de l’intérieur », comme il est écrit au dos du livre. Les meilleures fonctionnaires du ministère de l’intérieur sont arbitres de foot, pas écrivains.


Alors qui est vraiment Raphaël Majan ?


J’ai ma petite idée, mais il faut d’abord que je lance ma contre-enquête. Simenon, Frédéric Dard, Bruce, à force d’écrire des centaines de livres, on a fini par les considérer comme des auteurs remarquables. La différence avec la vraie littérature, c’est que ce sont d’abord les livres qu’on remarque.
Tout ce qu’il y a de bien dans un polar, j’ai déjà failli me faire descendre pour ça, c’est tout ce qui ne relève pas du polar.


Les défenseurs du polar parlent toujours de Crimes et châtiment comme du roman fondateur du polar. Quelle bourde ! Dans le livre de Dostoïevski, tout ce qui est bien relève de la littérature pure et dure, et c’est pourquoi ce chef-d’œuvre n’a jamais été publié dans la « Noire » ou au Masque. C’est un livre beaucoup trop fatiguant, pour des lecteurs de polar.


Mais n’est-il pas vain de s’attaquer au polar comme je le fais depuis tant d’années ? J’ai même oublié pourquoi je n’aimais pas le polar. J’ai dû essayer d’en écrire un, un soir, et je n’y suis pas arrivé, alors depuis j’ai une dent contre.
En lisant La Gym de tous les dangers, les genoux pliés, dépliés, repliés de rire, je me suis rendu compte que la seule arme vraiment fatale contre ce genre mineur qui ne m’a rien fait, c’était la rigolade.


Raphaël Majan s’attaque au polar sans prendre la peine de le dénigrer. Il a inventé un truc : le commissaire qui tue. Comme d’autres n’ont pas encore inventé la pince à ne pas accrocher le linge, et ils cherchent encore.
L’écriture de Majan, bâclée à souhait, se dandine, à la fois humble et carnassière. Quand je dis humble, c’est que Majan ne se prend pas pour un virtuose de la blablague, comme San Antonio. Il n’a pas non plus cette moralité pesante à la Maigret. Son style est une sorte de titubation de gros mec éméché, abject, et sans souci de son époque. Est-ce pour cette raison que nous le soupçonnons de ne pas exister ?


Il a écrit dix livres en deux ans. Mais ça n’impressionne pas, tellement c’est facile : n’importe qui peut en faire autant, du moment qu’il décide de prendre le temps de se marrer.
Je résume le début du dixième volume : le commissaire Liberty Wallace passe la visite médicale annuelle. La docteur Gnan lui dit qu’il et trop gros. Liberty se rend donc au Top Gym Plus Club pour faire du vélo et maigrir. La pédale casse. Le commissaire poltron glisse l’objet dans se serviette. Arrivé aux toilettes, tiens justement, il croise le docteur Gnan. Il la tue en lui faisant bouffer la pédale cassée. Et il va se doucher.


« Véronique a été assassinée par une pédale », s’exclame le premier témoin.
Pour le commissaire commence une contre-enquête qui le mènera tout droit à un innocent qu’il mettra en prison. C’est simple, il suffisait d’y penser, et c’est irrésistible.
Si vous ne trouvez pas ça drôle, essayer une trottinette. Et je vous rembourse la différence.


Christophe Donner, Le Monde 2