— Paul Otchakovsky-Laurens

Thierry

Marc Cholodenko

En écrivant ces deux textes et en les proposant dans un ordre de lecture aléatoire, j’ai cherché à illustrer ce qu’à mon sens le nom propre d’un autre comprend du nom commun de monde et inversement, ou encore, tenté de montrer que c’est sur un tel nom que s’épanouit en première instance et se referme en bout de course, sans pour autant qu’il le contienne cependant qu’il en esquisse chaque fois, dans son déploiement, une forme dynamique – selon laquelle il semblerait aller d’une origine à une fin –, ce que nous évoquons, consciemment ou non et à des degrés divers de clarté et de distinction, lorsque nous invoquons, en y...

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La presse

Mort à deux voix


Deux voix duelles pour faire le double portrait d’un ami disparu : c’est la concept original de ce livre, entre élégance et humour.


Qui donc est le « Thierry » du nouveau livre de Marc Cholodenko, drôle d’objet double qui peut se lire à l’endroit comme à l’envers, avec ses couvertures tête-bêche et ses récits jumeaux ? Il n’est pas facile de répondre, pas plus qu’il n’est aisé de dire qui est vraiment Cholodenko, cet immense méconnu, brouilleur de pistes à plusieurs vies…

On peut se souvenir seulement que l’homme fut d’abord, et très jeune, un poète posant en voisin d’Holderlin et Rimbaud, dédiant son premier texte – Monkees ! – à Mick Jagger, puis raflant à 26 ans le prix Médicis pour Les États du désert, juste après le scandale du Roi fées, livre obscène et magnifique qui fit forte impression. C’était dans les années 70, et Cholodenko n’allait pas s’arrêter là : il y aurait encore le succès SM d’un petit roman parfait, Histoire de Vivant Lindon, l’admirable Bela Jai, toujours la poésie, pas mal d’autres livres, des traductions de l’anglais (des Gaddis, Eugenides, Thirlwell…) et, depuis les années 90, l’écriture de films avec Philippe Garrel…

Mais qui s’en soucie ? Si l’on rappelle ces quelques faits, c’est parce qu’ils nourrissent d’une certaine façon le livre d’aujourd’hui, Thierry. Car Thierry est un tombeau, presque un bilan : l’hommage à un ami mort, rencontré à l’âge de 15 ans, dont il importe peu, au fond de savoir s’il fut un être réel, caché seulement sous l’énigme d’un prénom-titre, ou un double inventé qui sert à dire le travail du temps, de la vie qui file mais peut magiquement recommencer, puisque le livre doit être repris « de l’autre côté ». Il y a deux entrées : l’une où un "« je » rapporte ses souvenirs numérotés sur un compagnon d’enfance et qui est devenu comme lui écrivain ; l’autre, plus trouble, plus féminine, où le glissement érotique des métaphores permet de pénétrer au plus près de ce que fut Thierry, en suivant peut-être le précepte d’Une saison en enfer : « posséder la vérité dans une âme et un corps ». D’un côté Proust et de l’autre Rimbaud, pourrait-on dire, pour le même Cholodenko : tantôt le moraliste du temps passé, disposant dans le labyrinthe de ses séquences-souvenirs quelques aphorismes moqueurs sur le devenir de la littérature ou les dérives de l’amitié, tantôt l’aventurier d’une écriture-fleuve, dont le mouvement enfle à force de mots crus, et dont la crue éclate enfin en une sorte de chant sexuel proprement vertigineux.

Les deux textes, convergeant vers le centre du livre, vont ensemble vers l’âme fuyante de « Thierry », et les voies qu’ils empruntent pour illustrer « ce que le nom propre d’un autre comprend du nom commun du monde » correspondent aux voies duelles de Cholodenko, telles que ses autres livres les donnaient déjà à entendre : modulation classique, équilibre de la phrase, élégance du récit d’analyse à peine subverti, puis éclatement de la syntaxe, hardiesse typographique, surgissement de l’obscène.

Et si Thierry peut se lire, en dépit de son peu de pages, comme une sorte de somme qui résumeraient le génie duplice de son auteur, c’est aussi parce qu’on y retrouve une manière de distance et même d’humour, absolument originale : avec sa coutumière élégance, Cholodenko sourit de son tombeau.


Frédéric Gabriel Les Inrockuptibles



Tous les garçons s’appellent Thierry


Marc Cholodenko, traducteur notamment de Middlesex et de Virgin Suicides, signe avec Thierryune bouleversante déclaration d’amour d’un homme à un autre. Un roman à lire dans les deux sens…


Lorsque l’on reçoit le livre de Marc Cholodenko, on croit d’abord à une erreur de manipulation de l’imprimeur. Avant même de l’ouvrir, on découvre une couverture classique P.O.L avec le nom de l’auteur et le titre de l’objet, simple comme un prénom ordinaire : Thierry. Puis on le retourne, et consternation ! Pas de résumé ou de présentation, mais la même chose, à l’envers. Quelques heures plus tard, on aura lu cet opuscule « upside down » autour de ce nom aimé, Thierry. Deux écrits jumeaux, complémentaires mais tellement différents. Deux textes "« amants », qui n’ont rien de réguliers, et signés du collaborateur attitré du cinéaste Philippe Garrel depuis 20 ans.Le monde des lettres connaît également Marc Cholodenko pour ses romans poétiques très atypiques, et ses nombreuses traductions de qualité – dont Virgin Suicides et Middlesex, de Jeffrey Eugenides, Écorché Vif, d’Edmund White ou Mr Schmidt, de Louis Begley. Revenons à Thierry. D’un côté, l’histoire passionnée, en 70 points numérotés entre le narrateur et le héros titre, qui a vécu avec une prostituée, est devenu père de famille, avant de mourir. De l’autre, une cinquantaine de pages d’une prose splendide, en totale liberté, comme un flux de désir envers cet homme. « Pour “bien faire”, précise Marc Cholodenko, il aurait fallu écrire trois, quatre, cinq, six textes ! Et même plus ! Autant de textes qu’il y a de consciences. Un n’eût pas suffi, deux , c’est en quelque sorte une ouverture sur l’entre-deux textes, sorte d’espace, de gouffre résonnant et, je l’espère, signifiant, ou du moins plein ou plutôt emplissant. Un signe vers l’infini.  »


Cholodenko avance alors d’autres idées théoriques, à coups de « T1 » et « T2 » pour spécifier la nature des textes, disserter sur leurs différences et leur union. « Il ne faut pas chercher à les confronter mais les laisser résonner. » Le lecteur peut prendre avant tout Thierry comme une simple déclaration amoureuse. Un livre d’amour en tout cas, comme le sont tous les livres, de manière plus ou moins évidente, pour l’auteur tant que pour les lecteur » Un requiem ? « Élégie, requiem, déploration, tout ce que vous voudrez. Il y a évidemment dans la répétition du prénom une volonté incantatoire, invocatrice, évocatrice. » Précision : le Thierry en question a bel et bien existé, de l’aveu de quelques proches de Cholodenko. Pourtant il se défend bien – pour se protéger ? – d’avoir signé une œuvre plus autobiographique que d’habitude. « Il n’y a de différence que dans la spécification des éléments biographiques. Ma biographie c’est ma bibliographie , et l’inverse ».Puis, malin, il brouille davantage les pistes, avec quelques remarques sur le chois du prénom. S’agirait-il d’un pseudonyme ? « Je me suis longuement interrogé sur le choix du prénom. Il fallait qu’il fût de deux syllabes et qu’il finisse bien net, qu’il casse, en quelque sorte. Si Thierry l’a emporté, c’est que ce prénom a un côté banal, commun, mais pas trop, bref particulièrement universel ou universellement particulier. C’est une façon de dire : “Tous les hommes, et les femmes, tant qu’on y est, s’appellent Thierry.” Comme Godard le disait de Patrick dans Tous les garçons s’appellent Patrick. » Même si l’écrivain refuse de l’entendre, de le dire ou de l’écrire, le livre reste violemment masculin, sent les hormones et le désir d’un homme pour un autre. Bref, l’érotisme homo dans ce qu’il a de plus fort. « À vrai dire, je ne sais pas ce qu’est l’homosexualité et je crois que c’est un des thèmes qui parcourent Thierry. “Parce que c’était lui, parce que c’était moi, c’est tout.” Si j’ai été, ou suis homosexuel, alors c’est comme M. Jourdain qui est prosateur sans le savoir. Il s’agit avant tout d’aimer.“No se puede vivir sin amor”. Et quand à aimer, pour moi, on aime avant tout une âme – quant à savoir ce que cela signifie, et bien peut-être peut-on trouver sinon une définition, du moins une illustration dans la lecture de ce livre. »


Baptiste Liger,Têtu , juillet-août 2006