— Paul Otchakovsky-Laurens

Doublures

Marie Redonnet

Douze contes sur le thème du double avec en alternance six personnages féminins et six personnages masculins. Dans chaque conte, tout un jeu de dédoublements : du personnage qui devient la doublure d’un autre, mais aussi des doublures qui se multiplient dans un engendrement infernal, jeu vertigineux dans lequel les personnages sont pris, et dont ils cherchent inlassablement à se déprendre, nœuds où viennent se jouer les impasses de la filiation. Tous ces contes sont de petites machines infernales, au montage rigoureux, implacable, et dont l’issue, souvent fatale, témoigne en même temps de la quasi impossibilité de la transmission, du passage, et des tentatives faites pour y parvenir.

 

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Traductions

Croatie : Profil (texte "Gil") | USA : Leaping Dog Press

La presse

Histoires minuscules


Voilà plusieurs années que le conte hante nombre d’écrivains. Son laconisme, l’étrange équilibre qu’il réalise entre fantaisie et rigueur, sa puissance incantatoire fascinent même ceux pour qui la littérature est encore dans « l’ère du soupçon ».


Car ce n’est pas exactement de la littérature. On y sent la trace d’une parole vive devant laquelle l’écriture parâit intimidée : elle la mime, elle cède à son sens paradoxal du temps et de l’espace. L’erreur a sans doute été de croire le conte lié à une certaine forme de société : féodale et rurale. Les tentatives récentes de « modernisation » n’ont contribué qu’à entériner cette idée. Le fait d’ajouter quelques allusions à la vie moderne ou des clins d’oeil au lecteur nourri de « sciences humaines » ne renouvelait en rien le genre.


C’est pourquoi l’ensemble publié aujourd’hui par Marie Redonnet devrait être considéré comme un événement : douze contes dont la forme ne laisse pas de troubler parce qu’elle n’est ni nouvelle, ni archaïque, mais comme « immémoriale » : gardienne d’une mémoire n’appartenant à personne en propre et pouvant néanmoins convenir à qui la désire.


Chaque texte repose sur un jeu très subtil de permutations de noms. Un certain Nil se trouve par exemple en relation d’affaires avec Nis et Nir, puis avec Niv. Ici, comme dans les autres contes, le lien entre les personnages est le mouvement même, répétitif, du récit : un tel imite un tel qui excelle dans un métier jusqu’à pouvoir l’exercer à sa place. D’autres rivaliseront peut-être avec lui, ou il perdra son habileté et disparaîtra. Plusieurs variations demeurent encore possible.


Histoires minuscules d’échecs, de gloire, de mort, de doubles. C’est drôle, émouvant obsédant. Le lecteur se croit tout à fait en dehors de cet univers de lilliputiens affairés et interchangeables. Et le livre fermé il est dedans. Il cherche goguenard puis inquiet la sortie. Essayez.


Jean-Marie Le Sidaner, Le Magazine Littéraire, 1986



Quelques pages (il y a douze histoires dans ce petit volume !) pour relater toute une vie... Un record de concision. Pourtant ces sinopsis squelettiques consacrés à la « biographie » imaginaire de Lia, Lil, Gil, Gem, Gim, Sil, Sim, Lam, Lim, Nel, Nil, ne sont pas simples - et fascinants - exercices de styles. Ces personnages pantins dont M. Redonnet conte en quelques lignes la réussite et l’échec sont des figures symboliques dont le parcours n’est pas aussi incohérent qu’il peut paraître. C’est du bonheur et du malheur de l’homme en société qu’il est ici question, et la fable, en les « précipitant » ne fait que osuligner l’absurdité du passage hasardeux de l’un à l’autre. De surcroît, chaque « destin » se dédouble, se fragmente, se prolonge en d’autres mêmes destins, ainsi associés dans un emboîtage qui éclaire un peu mieux le sens de cette prolifération de ratages successifs. La plume avare de M. Redonnet dessine avec précision et humour ses esquisses de tragédie.


J. Chevallier, Les livres, 1986