— Paul Otchakovsky-Laurens

Divagation des chiens

Liliane Giraudon

La divagation n’est pas limitée aux bestiaux. C’est aussi un genre littéraire. Ici alternent : poèmes polaroïd, poèmes d’ameublement, poèmes illisibles, proses lentes et, puisque ce qui est privé est public (c’est ainsi que nous nous comportons publiquement), fragments de lettres reçues et de carnets. Ces Mélanges Adultères, ou morceaux d’une longue histoire sans action mais à usage quotidien, pourraient n’être que le spectre « d’un livre du moi abondamment découpé ou déchiré ».

Si la langue est un muscle, l’os, à furieusement enterrer-déterrer-ronger, semblerait être,...

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La presse

La fidélité dans l’adultère


Il paraît que l’on peut adultérer un texte. C’est l’exemple même que donne le dictionnaire pour expliquer le sens du verbe : falsifier, altérer. Liliane Giraudon non seulement adultère ses textes, mais elle va plus loin encore : elle propose des mélanges adultères de tout. Cela donne de courts et beaux poèmes étoilés qui explosent comme des fleurs de nèfle. Ou qui grésillent comme de lpâte de coing sur un petit poêle à bois. Ou qui glissent comme du savon en paillettes. Ou qui tremblent comme quelque chose qui sur le mur « se dessine et bouge ». C’est très simple, mais une ligne nous avertit que le soleil lui-même est « très banal ».


En fait, si c’est très simple, c’est aussi miraculeusement précis. La précision ou l’imprécision du dire ? Voilà un problème aigu de notre temps et de notre littérature. Il est résolu ici par une manière de toucher à tout et à rien sans y toucher justement, mais avec une extrême exactitude et retenue de propos qui me fait penser à ce que Sade appelle quelque part le « principe de délicatesse ». C’est en fait la seule voie possible pour la poésie aujourd’hui, après tant de charretées, de tombereaux de paroles déversées sur nous par le bavardage des siècles, et ce livre le montre bien. Il ne le montre pas seulement par les mélanges adultères déjà cités, mais aussi par d’autres textes qui s’appellent, concrètement et brièvement, « Poèmes d’ameublement » ou « Durance » ou, dans un sursaut un peu agressif qui fait songer à Char, « Porc frais de mes pensées », tous traversés par des signes, des messages, des citations, des fragments du code relationnel de nos vies quotidiennes, et même de longs extraits de correspondances vraies qui sont comme les collages de l’existence réelle sur les figures du poème. Sans parler de ces « poèmes illisibles » qui se lisent avec les yeux, parce qu’ils sont dessin et trace.


Tout cela sous le signe de la divagation des chiens. Les chiens divaguent, c’est vrai, et le Code rural comme le Code des communes (autres codes !) prévoient des dispositions très contraignantes pour les en empêcher. On sait qu’ils les transgressent et que cela ne leur a jamais fait perdre l’habitude de vagabonder ni de s’unir quand ils en ont envie. C’est que les chiens sont comme les poètes. Ils peuvent tout faire. Même « le coup d’Hérodiade ». Ils peuvent, mieux encore, « bouquiner » (qui, en 1549, nous rappelle Liliane, voulait dire couvrir la femelle). Il leur suffit d’être des artistes. L’art moderne se résumerait-il en ces mots de la page 164 : le poème comme objet sonore/art rétinien ou fils de pute.


En tout cas, Liliane Giraudon excelle dans la broderie rétinienne et auditive. Et sa fidélité à un art moderne dont elle n’a cessé, de livre en livre, de texte en texte, de se donner toujours plus « économiquement » et « précisément » les moyens, ne fait ici aucun doute. Le plus étrange est que dans cette fine architecture étoilée se prenne à tout moment ce que Breton appelait les « mouvements déchirants du coeur ».


Raymond Jean, Impressions du sud, 1989

Agenda

Mercredi 5 juin
Rencontre autour de Liliane Giraudon au Invisible Dog (Brooklyn)

The Invisible Dog
51 Bergen Street
Brooklyn

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