— Paul Otchakovsky-Laurens

Quarantaine

Gérard Gavarry

Alors que partout ailleurs chasses à l’homme et coups d’Etat continuent d’avoir lieu, à Paris, rue Larrey, un homme d’action se trouve empêché d’agir. Auprès de lui, un garçonnet séparé des siens grandit, s’instruit, plonge en mer, lorgne les filles, gagne des courses de motos.
Sur le trottoir une grosse dame en pantoufles promène sa chienne. Un marchand de journaux cherche une place pour sa voiture et deux mécanos se préparent pour un tour du monde en 2CV.
La rue Larrey. Comme un point sur le globe et qui contiendrait le globe. Avec ses villes, ses forêts, ses océans. Avec aussi les remuements et les émois de ceux qui au jour le jour en...

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La presse

Éloge du rien


Tout un roman sur les humeurs d’un vieux quartier de Paris. Georges Perec aurait aimé Quarantaine, de Gérard Gavarry


Le Ve arrondissement de Paris, dont la célébrité littéraire souffrirait beaucoup d’être rapprochée des chants homériques que le XIVe doit à Henri Calet, ou le 15e à Jacques Réda, n’a semble-t-il inspiré que des écrivains en maraude, égarés là par mélancolie au bout d’un dimanche d’automne méandreux. Voué aux entrepôts de vin et aux abbayes, dont les silences homologues s’approfondissent à mesure que l’activité les déserte, défendu sur sa frontière orientale par les étagères du Muséum d’Histoire naturelle, où macèrent en bocaux d’antiques venins, c’est par excellence le quartier des ruminations paisibles où, notait Léon-Paul Fargue, « le voyou est rare, le comptable poli, le badaud respectueux ». En leur qualité de riverains – qui, de la rue Linné, qui, de la rue de la clef – Perec (Georges) et Perret (Jacques) ont certes œuvré pour la gloire de ces terres retirées. Mais les romanciers n’entament guère par ici le monopole des naturalistes, Geoffroy Saint-Hilaire, Cuvier, Buffon, Lacépède, Linné, Daubenton ou Jussieu, dont les noms ont vissé au coin de chaque rue une géographie acquise tout entière aux causes les plus lointaines, les plus tropicales, et que domine encore, au Jardin des Plantes, le souvenir de la girafe présentée en 1827 à Charles X.

C’est pourquoi il convient de féliciter Gérard Gavarry d’avoir situer, par une résolution dont la hardiesse étonne, son cinquième roman, Quarantaine, dans la seule longueur de la rue Larrey, Ve arrondissement. La rue Larrey existe, le plan de Paris la signale même en O 12, métro Monge. Mais il ne viendrait à l’esprit d’aucun homme d’action de venir se terrer dans le paysage sans avenir ni fantaisie qu’enferme la rue Larrey, à moins, bien entendu, de tenir pour romanesques les travaux de renouvellement des conduites de gaz. C’est pourtant l’infortune dont Gérard Gavarry n’a pas hésité à accabler son héros, Urbain Ferrier, personnage mystérieux de catégorie supposément barbouzienne, exerçant d’obscures missions pour le compte d’une république bananière indéterminée. Un non moins vague « conseiller » lui ayant demandé comme un service d’accompagner son fils, Toussaint, sept ans, sur les lieux de ses vacances à Paris, Urbain Ferrier débarque dans la capitale avec l’estimable progéniture pour apprendre qu’un coup d’État a renversé le ci-devant régime bananier. Et c’est ainsi que notre voltigeur aventureux se trouvera immobilisé pendant trois ans, deux cents pages et trente-deux chapitres, dans un deux-pièces cuisine de la rue Larrey.

On n’en croit pas ses yeux, et cependant on marche : il ne se passe rien dans Quarantaine, la triple fracture ouverte du héros, page 217, n’émargeant pas à sa position fâcheuse, sauf à inscrire la réparation d’un lustre défaillant à la rubrique des périls politiques. Mais il y a tout, dans ce rien, et c’est le monde entier qui s’engouffre dans le néant, dans l’attente, dans le vide des jours. Comment ? Par l’imagination exacerbée du gamin et de son tuteur occasionnel, des deux mécanos de la rue Larrey qui rêvent de faire le tour de la planète en 2 CV, et même de la concierge, mais qui finira bien par épousseter son globe terrestre. Et par le faire tourner, jusqu’au vertige, jusqu’au délire où s’emballe alors la rumeur tranquille des bistrots, des loges et des ateliers. On n’a pas souvenir d’une séduction opérant par des voies si étroites, où, conformément aux usages du quartier, le voyou reste rare, le comptable poli et le badaud respectueux. C’est à peine si Gérard Gavarry fait appel aux kangourous du Jardin des Plantes et aux vapeurs échappées du hammam de la mosquée proche. Il n’y a que la magie d’un quartier perdu, où dans l’ombre frémissent les mûriers, quand toutefois un écrivain a le talent, le goût ou l’humour, peut-être en hommage aux naturalistes d’antan, de ne pas les appeler des ronces.


Jean-Louis Ézine, Le Nouvel Observateur, 13-19 septembre1990


Chemins croisés


Minutieusement, et subtilement, Gérard Gavarry prend le lecteur au piège de son quatrième roman, Quarantaine, dont le titre demeure son secret. Le piège : celui des gestes, des lieux, des comportements, observés et décrits avec une attention et une vigilance extrêmes, à la fois dans la proximité de la vie quotidienne, la vie immédiate, et dans l’ouverture vers l’imaginaire. Fasciné, ou alerté, retenu par une main qui tient une clef ou s’appuie sur un meuble ou dessine une courbe dans l’espace, par les plissements révélateurs d’un visage penché sur une lettre impatiemment décachetée,un haussement de sourcils, le bref éclair d’un regard, mais également attiré par les beaux horizons illimités, vers les fantasmes du voyage et de l’évasion, Gavarry tente d’unir ces contraires, de combiner ces mouvements précis ou aléatoires en une vision romanesque originale, humoristique et rêveuse. […]


Georges Anex, La Tribune de Lausanne, septembre1990


La chambre vide de Pascal


[…] Rapide, amusé, précis avec désinvolture, le livre de Gérard Gavarry est écrit dans une couleur proche des romans de Queneau ou d’Echenoz. Cet auteur a parfaitement réussi ce que Gide aurait appelé une sotie : un récit qui, mettant le monde à l’envers, montre que celui-ci est gouverné par la folie et que ceux qui pensent à rebours ont les plus grandes chances de se rapprocher de la sagesse. […]


Pierre Lepape, Le Monde, 16 novembre1990


Voyage au bout d’un deux-pièces cuisine


[…] Gavarry a superbement gagné son pari. Sa séduction a opéré à huis clos. Au plus près du manège ordinaire, un vieux fauteuil en cuir, le glouglou des tuyauteries, la brosse à cheveux posée sur le stratifié, un flacon, un décapsuleur sont les héros de cette sotie sous chloroforme ; depuis les minutieuses descriptions de Georges Perec, nous savions que nous pouvions nous émerveiller du proche, maintenant nous avons l’assurance que le safari est sur la porte palière.

Dans un style heurté, immédiat, physique, Gavarry parle santé, cause météo, les paroles de ses créatures immobiles volent entre les murs crépis comme la monnaie laissée en pourboire dans la soucoupe en bakélite de l’addition. On boit comme d’habitude, on se ressert pas plus haut que le bord, le temps coule à regret, dehors une bruyante envolée de pigeons prélude à l’apparition du marchand de journaux, une grosse dame en pantoufles attend le renouvellement des conduites de gaz, le ciel pâlit à l’est, la vie voilà, chapeau l’artiste en lisière du vide !


Patrice Delbourg, L’Événement du jeudi, 1er novembre 1990


[…] Juché sur sa nacelle, Gérard Gavarry relève la topographie d’une « terra incognita », avec ses fleuves, ses passes, ses jungles et ses îlots de peuplement… De toute évidence, il s’amuse. Un génie de la dérision, un rien cynique, brocarde les clichés et court-circuite les dialogues à coups de phrases tiroir ficelées comme des pochettes-surprises. Et de surprises, Quarantaine n’en réserve que de bonnes.


Nicolas Chaudun, Le Quotidien de Paris, novembre 1990


[…] On remarquera surtout la tension étonnante qui plane sans cesse, introduisant une atmosphère de roman d’espionnage de première catégorie dans un livre où l’action est absente.


La Libre Belgique, 10 janvier 1991


[…] L’humour narquois qui fait penser à Queneau, à Perec, à Roubaud, prend ici une saveur singulière, une tonalité à part, faite à la fois de désinvolture et d’une attention soutenue à la vie quotidienne : « Puis la 2CV s’était garée. Le moteur s’était tu. Et le silence une fois revenu avait duré, aggravé par le grincement d’un volet qui battait et par les effleurements d’un balai sur l’asphalte comme, sous d’autres cieux, il aurait pu l’être par le grondement sourd d’une lointaine cataracte, par les cris intermittents des singes ou par le fracas d’une branche morte tombant du haut d’un arbre et ricochant de liane en liane ». L’exotisme est remis à sa place. Démystifié. Au profit de la tendresse, à l’égard des enfants, des gens ordinaires, de l’existence de chaque jour. Une tendresse sans attendrissement : le style reste « cool » et la vision aiguë. Gérard Gavarry a un œil exercé, je dirais presque qu’il « est » un œil. Qui cligne souvent, appelant la connivence.


Claude Prévost, L’Humanité, 28 novembre 1990


[…] Avec le quatrième roman de Gérard Gavarry on entre dans un livre à plusieurs dimensions sans jamais savoir tout à fait quelle est celle où se déroule véritablement l’histoire. Et peut-être que le tournis, le vertige que l’on ressent est la véritable aventure de ce bouquin étrange. Mais une chose est sûre : sortie de cette quarantaine, la rue Larrey est le lieu le plus magique du monde.


André Rollin, Le Canard enchaîné, 7 novembre 1990


[…] Un livre peuplé d’événements minuscules qui prennent soudain un relief insoupçonné : les préparatifs d’un tour du monde en 2CV, les conversations de madame Lisette, la concierge de l’immeuble, les potins familiers du marché Monge… Le monde entier est enfermé dans les mots. Toutes les aventures sont inscrites dans les courbes mystérieuses d’un globe terrestre… Tout est aventure, nous dit ce livre d’une rare liberté d’écriture.


Télérama, 12 décembre1990


[…] On aura compris toute la gaieté de ce livre, sa fraîcheur et sa fantaisie. L’humour narquois d’une situation improbable n’échappera pas ; on appréciera l’écriture légère, fine, précise, ludique. Cette espiègle Quarantaine offre un vrai plaisir de lecture et de mots.


Bibliothèque pour tous, janvier 1991


[…] Tout autour de la rue Larrey, le tracé de la ville se colore en bleu, en vert ou en blanc comme sur un globe terrestre. Au fil des pages, l’auteur parsème son livre d’évocations de voyage ; des points cardinaux, une valise ouverte, une 2CV préparée pour un grand départ, des personnages aux noms d’aventuriers… Mais Paris reste le terrain d’aventure. Un « héros » venu d’ailleurs se conforme aux usages locaux, la baguette et les croissants beurre. Sur le trottoir, la concierge s’inquiète de l’installation des interphones, les boulevards annoncent les grands dangers de la jungle automobile et les rencontres se font au tabac du coin. À l’ouest, le minaret de la mosquée invite à de grands voyages. Mais pourquoi quitter la rue Larrey, avec ses odeurs de lagune ? Passé le coin de l’avenue Monge, et la première page de Quarantaine, les parfums enivrants des grandes expéditions nous tiennent jusqu’au mot « Fin ».


Christine Bahari, Aujourd’hui Paris, décembre 1990