— Paul Otchakovsky-Laurens

Quel ange n’est terrible ?

Marc Le Bot

Pendant l’été torride, ils marchent sur le sable. Ils se couchent sur les herbes sèches. Quand ils sont étendus à terre, au-dessus d’eux le ciel surplombe. Sous eux, c’est l’insensibilité minérale des cailloux.
Leur peau se couvre de sueurs plus odorantes que le sang. Quand elle sèche, il s’y forme des dépôts de sel, qu’ils lèchent.
Le vide entre leurs lèvres est un plein d’effluves. Ils s’inventent des bouches végétales, d’un bleu vif comme les fleurs bleues. Dans leur chambre embuée de l’odeur nauséeuse du soir, leur nudité est parfumée comme celle des fruits dont on a tranché la chair au...

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La presse

L’ombre d’un double


En quelques lignes, quelques mots d’une poésie sèche, nous voilà au coeur du drame. Une falaise, deux amants, le vent violent chargé « d’odeurs de résine et de menthe »... En contrebas, les rochers et la mer. « Avec nos jeux de mains, je ne l’ai pas poussée ni ne l’ai retenue quand elle fit le faux pas et tombas dans le vide. » Ainsi commence Quel ange n’est terrible ?, troisième roman de Marc Le Bot, écrivain et historien d’art. Le drame qui se joue n’est pourtant pas celui qu’on pourrait croire, celui d’une jalousie ordinaire, d’un quasi-meurtre dont l’auteur anayserait ensuite la genèse. Ici, l’homme et la femme sont amants et frères jumeaux : deux corps distincts et amoureux qui se réfléchissent en miroir. Narcisse et Echo. Quelle peut-être l’identité de celui qui reste après le drame ? Un homme amputé de lui-même, un visage dont le reflet est à jamais figé derrière le masque de la mort ?

D’interrogation en incertitude, Marc Le Bot remonte avec une troublante sensualité le cours d’une histoire qui se perd dans celle de la création du monde. Au commencement étaient la paix, le bonheur. Les jumeaux, peau contre peau dans le ventre maternel, vivaient la plénitude. Ils ignoraient encore que la naissance signifierait le drame, le déchirement. Que leur vie désormais ne serait plus qu’une quête. Celle d’une identité qui ne répond pas à la question « qui suis-je ? », mais à « qui es-tu, toi qui me ressemble et qui pourtant vit dans un corps semblable et différent ? »


Apaisante certitude que celle de se voir dans l’autre. Marc Le Bot écrit : « Si la vie suffisait, il n’y aurait pas de miroirs pour les visages, pas de pierres levées pour les morts, pas de fantômes, de démons ni d’anges, aucune des figures du Double que les hommes se donnent depuis toujours, comme l’attestent les plus anciennes légendes. » Ce sont justement ces légendes et ces mythes que le narrateur explore, à la recherche d’une impossible vérité. En contrepoint à ces histoires savantes et aux images que les peintres nous en ont données, il déroule le fil sensible de la mémoire, le fil d’une histoire d’inceste dans des paysages d’enfance, sous les bombardements tout proches de la guerre de 40.


Par Michèle Gazier, Télérama, le 24 mai 1995.




« Car le Beau n’est rien d’autre que le commencement du terrible (...). Tout Ange est terrible...» C’est à Rilke que Marc Le Bot emprunte l’exergue de ce livre, son titre. Y plane effectivement l’ombre d’un ange, une jeune fille, la soeur du narrateur. L’homme se souvient d’un lointain été durant lequel, séparés depuis l’enfance, les deux adolescents jumeaux s’étaient retrouvés. Une brève rencontre, close par la disparition de la jeune fille qui trouva la mort en tombant d’une falaise.


« Le corps s’est disloqué comme les blocs rocheux quand ils s’éboulent. Le rouge du sang a teinté le blanc du calcaire et l’eau de la mer dans le contrebas. Le sang marque de son sceau le cours entier de cette histoire. Il s’y imprime comme un cachet de cire rouge à la pliure d’un papier blanc qu’il renferme sur le secret d’une écriture. » Le sang, mais aussi la sève, la boue, l’eau, la chair, la pierre, telles sont les sensations qui demeurent de cette saison lointaine ; à travers elles, l’appréhension de l’ardent et de l’inanimé, de la vie et de la mort.


Sensations, émotions, voilà de quoi se nourrissent les récits de Le Bot. Qu’on ne lui réclame pas l’anecdote, la linéarité, quand il ne s’agit pour lui que d’explorer les ressoures du langage pour approcher, exprimer au plus juste ces intuitions, ces fulgurances.


Dire aussi la découverte de cette altérité confuse qu’est la gemellité, le trouble accru par la différence des sexes, la mort venue mettre un terme abrupt à cette ébauche de rencontre. Dire encore l’image de sa propre fin qui se lit dans le corps déchu et l’absence de l’autre. En appeler, enfin, à l’art et au mythe, pour que l’aventure intime trouve un écho, se confonde peut-être, avec l’expérience universelle.


Parce qu’ils relèvent bien plus de la poésie que du roman, parce que le sens n’y cherche pas un retranchement confortable derrière le récit, les livres de Marc Le Bot ne sont pas des lectures faciles. Des condensés d’angoisse formidables, des blocs compacts d’inquiétude, des élans tendus de lucidité.


Par Nathalie Crom, La Croix, 11 juin 1995.