— Paul Otchakovsky-Laurens

Ellis Island

Georges Perec

Ce livre reprend le texte de Georges Perec publié dans une précédente édition illustrée en octobre 1994. Description scrupuleuse de l’île par où transitèrent, de 1892 à 1924, tout près de la statue de la Liberté à New York, près de seize millions d’émigrants en provenance d’Europe, il permet, dans sa nudité, de comprendre l’importance qu’eut pour Georges Perec cette confrontation avec le lieu même de la dispersion, de la clôture, de l’errance et de l’espoir.


ce que moi, Georges Perec, je suis venu questionner ici,

c’est l’errance, la dispersion, la diaspora.

Ellis Island est pour...

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Traductions

Argentine : Del Zorzal | Brésil : Bresil Fosforo, Luna Parque | Croatie : Meandar Media | Espagne (catalan) : Planeta | Grèce : Ypsylon | Hongrie : Past and Future Publishing House | Italie: Archinto | Pologne : Lokator | Russie : Ivan Limbakh Publishing House | Suède: Modernista | Turquie : Sel Yayincilik | USA : New Directions

La presse

Ellis Island, une histoire du rêve américain Documentaire de Michael Prazan (France, 2013)


Combien d’émigrants partis d’Europe ont posé leur regard depuis le pont d’un transatlantique sur la lointaine Ellis Island ? Combien d’espoirs mêlés d’une sourde inquiétude se sont cristallisés sur la silhouette massive de cette porte d’entrée obligée de l’Amérique? Des millions d’hommes, de femmes et d’enfants encombrés de bagages qui, de la fin du XIXe au milieu du XXe siècle, sont passés du rêve américain à la réalité pas toujours reluisante de cet eldorado.


Sur Ellis Island, Georges Perce a écrit de belles pages et signé un beau film avec Robert Bober (Récits d’Ellis Island). Le documentaire de Michaël Prazan est plus modeste et plus fou. Plus modeste, parce qu’il écarte d’entrée de jeu la forme poétique au profit d’une approche factuelle, gagnant en teneur informative ce qu’il perd en force d’évocation. Plus fou, en cela qu’il ne traite pas tant d’Ellis Island (comme l’annonce son titre) que de l’immigration aux Etats-Unis.


S’attachant au destin d’immigrants d’origines diverses (du Sicilien Salvatore Lucania, qui deviendra Lucky Luciano, à l’Irlandais William O’Dwyer, futur maire de New York, en passant par la comédienne polonaise Pola Negri), Ellis Island vaut par ses qualités de réalisation et la richesse de son propos sur les fondements du communautarisme comme sur le racisme, l’antisémitisme et l’anticommunisme qui entachèrent la politique d’immigration états-unienne, et dont le centre, transformé en musée sous Reagan, ne garde aucune trace.


François Ekchajzer, Télérama, Août 2016



Ellis Island, l’utopie retrouvée


Ellis Island ou la dérive américaine de Georges Perec. L’île des immigrants à New York offre au maître de l’Oulipo une nouvelle possibilité de s’inventer une mémoire.


Ce n’est pas même une île, mais un « îlot » face à Manhattan, que Georges Perec aborde dans Ellis Island : « Cet étroit banc de sable à l’embouchure de l’Hudson.  » Pour des millions d’Européens, cet îlot a longtemps marqué la Golden Door d’une terre appartenant à tous. Dans ce texte écrit en 1979 pour accompagner un documentaire coréalisé avec Robert Bober, Perec nous emmène sur les lieux où, jusqu’en 1954, l’administration fédérale contrôlait les émigrés, les baptisait « Américains ». Qu’y cherche-t-il ? Ce que Perec cherchait dans W ou Je me souviens : capturer le hasard d’une identité. Mais dans ce livre, cette recherche acquiert une dimension vertigineuse : Ellis Island, avec ses bâtiments pillés, se présente comme un non-lieu, réduit à ses statistiques. Une utopie est-elle restituable, au-delà de « l’évidence trompeuse » du noir et blanc ? C’est l’une des questions qui sous-tend ce court et précieux Ellis Island. Le mythe, les chiffres, et les objets disparus. La classique triangulation de Perec organise le mouvement du livre. Sur les lieux de l’oubli et des rêves d’émigrés, l’auteur avance pas à pas, en dévoilant sa méthode : « Au début, on ne peut qu’essayer de nommer les choses, une à une, platement... »


Avant tout, c’est le système d’Ellis Island qu’il met à plat. L’arrivée des émigrés, la succession des contrôles médicaux et psychologiques... On retient les vingt-neuf questions posées en deux minutes par l’inspecteur fédéral à émigré : « Êtes-vous anarchiste? » ; « Quelqu’un peut-il se porter garant de vous ? » Ces rares paroles n’obtiennent aucune réponse. Ellis Island est un livre sans dialogues, il expose une machinerie. Son récit est très peu incarné sinon dans une parenthèse où il nous est dit que le maire de New York, Fiorello La Guardia, était au début du siècle dernier interprète d’italien et de yiddish. I es phrases rituelles ont droit à ce même placement en parenthèses: « (Welcome to America). » C’est le Perec de W que l’on retrouve ici. Celui qui place dans des phrases apparemment neutres les rouages d’une utopie.


Mais c’est un mythe, et non l’horreur des camps de concentration de W, qu’alimente cette machinerie, celui de l’Amérique, terre d’accueil : « Cinq millions d’émigrants en provenance d’Italie / Quatre millions d’émigrants en provenance d’Irlande. » Ces chiffres se succèdent sur la page comme les vers d’un poème. Ou d’une épopée, celle des» émigrés vers le pays de la liberté. Le poème se poursuit, dans la seconde partie du livre, par les résonances des villes d’où viennent les émigrés : « Ils partaient de Rotterdam, de Brème, de Goteborg, de Palerme, d’Istanbul... » Perec s’amuse à singer la poésie épique, emprunte les accents d’un Camôes, le grand poète de la découverte du Nouveau Monde, pour faire entendre les illusions des émigrés arrivant à Ellis Island. Pour nourrir la légende, il ne se prive pas non plus d’anecdotes. Un émigré juif qui voulait s’appeler Rockefeller mais, oubliant ce nom face à l’inspecteur d’Ellis Island, s’explique en yiddish « Schon vergessen », devient John Ferguson. Il nous précise que cette île a été surnommée « l’île des larmes »...


Il raconte tout ça parce que de cette utopie, Perec a choisi de se saouler. Même s’il en reste peu de traces. Peut-être justement parce qu’elle se résume à des « entassements hétéroclites, amas de grilles, fragments d’échafaudages, tas de vieux projecteurs »...


À Ellis Island, il ne s’agit pas de reconstituer un passé réel, mais de trouver « une mémoire potentielle ». Après W, Perec s’interroge une nouvelle fois sur le vide creusé par l’exil des siens. La famille de Perec n’est pas passée par Ellis Island, mais ce ne fut qu’un hasard. La part de hasard que Perec traque dans chacun de ses livres. Le hasard de l’empilement des objets, des lieux de vie, des lieux de disparition. « Le lieu de l’absence de lieu » l’obsède.


Ellis Island, sous la plume de Perec, n’est pas un bout de terre, n’est même pas la porte de New York. Non, cel îlot, c’est ce qu’il pourrait appeler son « être juif » : un hasard de naissance devenu une mémoire. Un destin (Perec n’aimerait pas ce mot-là) lié à « quelque chose [qu’il peut] nommer clôture, ou scission, ou coupure et qui est pour [lui] très intimement et très confusément lié au fait même d’être juif ». Ce récit d’une utopie est une splendide manière pour Perec de s’exclamer : je suis Ellis Island.


Oriane Jeancourt Galignani, Transfuge, novembre 2013


Vidéolecture


Georges Perec, Ellis Island, Georges Perec et Robert Bober 1980

Son

Georges Perec, Ellis Island , Sami Frey lit Ellis Island "ce que c'est qu'être juif"