— Paul Otchakovsky-Laurens

Jeanne Darc

Nathalie Quintane

Jeanne Darc a les yeux au ciel, et elle porte un costume de bergère. C’est une fille trop inquiète et trop rude pour s’y tenir.
Mais que faire, quand il faut qu’il se passe quelque chose ?
Ce pourrait être le récit bref d’une vie violente, ou l’histoire brutale d’une vie brève, c’est la coupe en règle de tout ce qu’on sait, de ce qu’on a un jour vu ou lu sur Jeanne Darc.
Ici, sa vie est repassée, il n’y manque pas un pli ; et voilà que Jeanne parle et qu’elle agit, presque comme on l’attendait.

 

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La presse

Tout récemment, l’annonce de la découverte, non loin de Domrémy, d’une peinture murale datant du XVe siècle et représentant possiblement Jeanne d’Arc, relançait l’intérêt pour cette grande et vieille question : quel était le vrai visage de la Pucelle d’Orléans ? Jamais portraiturée de visu, et cependant tant et tant représentée, Jeanne d’Arc est un mystère en pleine lumière, sa réalité et son existence originelle recouvertes par des images, des clichés, des mensonges qui disent peut-être la vérité. Jeanne d’Arc est un défi à la justesse du regard, des mots aussi, et c’est ce défi que relève Nathalie Quintane avec Jeanne d’Arc, petit livre étrange, à commencer par cette façon d’orthographier le fameux nom, comme s’il pouvait y avoir une erreur sur la personne (avec Jeanne il n’est d’ailleurs jamais interdit de le penser, des voix au bûcher).
Jeanne d’Arc est à la fois un poème et une évocation, un récit à la première personne et à la troisième, tantôt guidé par la sensibilité et l’intimité de Jeanne et tantôt raconté de l’extérieur, toujours dans un style qui prend en charge le mystère du personnage: "Je ne désespère pas d’ajouter au répertoire des ruses celle qui portera mon nom. Car la préparation à la guerre me donne le goût de l’invention. Il s’agit de rendre les choses concrètes par l’action. Plus les batailles s’accumulent, plus ma virginité s’étend."
Nathalie Quintane a l’art de nous décontenencer, et c’est justement par cette écriture sans repères (autoritaire et modeste, spirituelle et matérielle, en cela si proche de Jeanne) qu’elle fait apparaître des images là où on ne voyait plus rien, et fait passer des sensations dans cette histoire tellement ressassée qu’on n’y ressentait plus rien. Car ce sont bien les sens qui sont au coeur de ce livre, de la vue au toucher et jusqu’à ce sixième qui serait la parole, la pensée: "Plus je regarde ce qui est ici, quel que soit ce qui est ici, plus cela prend de poids: un fenouil que je regarde est bien plus ténébrant qu’une cathédrale que je ne vois pas." La Jeanne d’Arc de Nathalie Quintane parle et on l’entend, regarde et l’on voit : peut-être sainte pour cela, mais d’abord tout simplement bien là, singulière et vivante.


Frédéric Strauss, le Généraliste, juin 1998