Un rêve. Il est impossible de faire parler la langue. Il est impossible de tenter de faire parler la langue. Cette tentative ne peut même pas s’assumer soi-même, a fortiori s’avouer. C’est donc en rêve que s’anime l’inertie essentielle et fondamentale de cette impossibilité.
Un cénotaphe se définit soi-même : un tombeau qui s’érige dans l’attente de son corps.
Une page est le lieu où le vertical et l’horizontal se rencontrent sur le même plan, celui du trou.
Et encore :
Ce qu’on ne peut déjà comprendre, il est possible de le décrire.
Ce qu’on ne peut encore réfléchir il est nécessaire de le...

Un rêve. Il est impossible de faire parler la langue. Il est impossible de tenter de faire parler la langue. Cette tentative ne peut même pas s’assumer soi-même, a fortiori s’avouer. C’est donc en rêve que s’anime l’inertie essentielle et fondamentale de cette impossibilité.
Un cénotaphe se définit soi-même : un tombeau qui s’érige dans l’attente de son corps.
Une page est le lieu où le vertical et l’horizontal se rencontrent sur le même plan, celui du trou.
Et encore :
Ce qu’on ne peut déjà comprendre, il est possible de le décrire.
Ce qu’on ne peut encore réfléchir il est nécessaire de le montrer.
Mais ce qui ne sera jamais pensé il est donné d’y veiller toujours en dire.
... Car il connaît, l’homme,
Sa maison, et pour la bête il y eut
Place où bâtir, cependant à ceux-là est
Le manque, qu’ils ne sachent où aller,
Donné dans l’âme inexperte.
Le Rhin.
Puis bien loin sur le chemin :
Écrire sur le chemin de Être comme différant de dire et penser.

Vérité aimant songe

Le nouveau livre de Cholodenko, un auteur secret, plonge au coeur même du langage et du tourment. Soliloque d’un esprit égaré ou quête d’une indicible vérité ? Ce poète n’apporte que des questions au fil d’une prose incandescente.

Marc Cholodenko, né en 1950, fit une entrée remarquée en poésie avec Parcs (1972). Des commentateurs lui cherchèrent une encombrante parent é avec Rimbaud, qu’il interrogeau, plus tard, avec La tentation du trajet Rimbaud (1980). Une oeuvre exigeante commençait à se construire, à l’écart des modes médiatiques...
Un large public fut au rendez-vous lorsque parut Le roi des fées (1975), un roman érotique qui avait d’abord effarouché Flammarion. Les Etats du désert (1976) obtinrent un prix Médicis et les éclairs de flashs qui allaient avec. Hormis ces titres à la notoriété particulière, les livres de Cholodenko - presque une vingtaine- se méritent. En comparaison, leur auteur ferait passer le discret Le Clézio pour une bête de télévision...
Traducteur d’auteurs américains comme Edmund White et William Gaddis, fidèle scénariste de Philippe Garrel (qui occupe une place du même ordre dans le cinéma français), Cholodenko ne cherche nullement à faire parler de lui, tout occupé qu’il est à faire parler la langue. Un labeur de poète, épuisant et impossible.

Par commodité, on définira Un rêve ou un rêve comme un « poème en prose ». Ce nouveau texte, aussi mince qu’étrange, s’articule en trois parties : "Un rêve" dans lequel, autour de rares objets - la main, la bouche, la statue-, une pensée inquiète tourne jusqu’à la folie comme un insecte prisonnier, chaque nouvelle assertion contestant la précédente autant qu’elle la complète ; « Un cénotaphe », ce « tombeau vide » que délimite la page et que viennent emplir des interrogations lancinantes : « Une page » enfin, où de pures sensations (de solitude ? d’amour ?) se confondent en un fragment qui verrouille toute cette énigme : « Tu me dis nous ne nous aimons pas. Non je te dis. Tu me dis nous ne nous connaissons pas. Non je te dis. Tu me dis est-ce que tu me dis non ou oui. Je te dis je dis oui à ton oui et non à ton non. »
En admirant le caractère unique de ce livre, dont toute anecdote est évacuée, construction de mots qui -selon l’idéal flaubertien- demeure « suspendue au-dessus du vide », on peut aussi y entendre des échos. Ceux, assourdis, des Ecritures Saintes quand la voix se fait implorante, mais aussi de pages des plus grands auteurs de notre siècle (Joyce, Duras, etc.).
Dans Un rêve ou un rêve, souvent la phrase se tord comme un métal en fusion : « Dans le rêve où la peur qui met fin au rêve n’est que la fin de la peur il n’est de matière que de mots de mots que de matière il n’y a pas de place où s’abriter de la peur de la fin. »Un torsion qu’on observait déjà dans les pages ultimes de Beckett : « Puis long silence long tout court ou si long que peut-être plus rien et puis à nouveau depuis ses tréfonds à peine un murmure » (Soubresauts de Samuel Beckett, Editions de Minuit, 1989)

Au risque de balbutier, de ressasser, bref de délirer, Cholodenko se hisse sur des cimes où ne l’ont précédé qye quelques grands aînés : le souffle s’y fait court et il n’y a d’autre âme qui vive que celle de l’auteur. Un voyage sans retour, comme la vie elle-même.

Francis Donovan, Témoignage chrétien, 29 avril 1999