La Vraie Nature des ombres
Jean Frémon
Ce sont des fictions, des fables, des randonnées, des apologues, des tableaux, des rêveries, des souvenirs, des propos rapportés. On y croise des personnages qui portent des noms connus : Giotto, Novalis, Pierre Jean Jouve, Marcel Duchamp, Robert Walser, Marcel Proust, Arakawa, Caspar David Friedrich, Edgar Varèse, Tadeusz Kantor, Charles Darwin, Emmanuel Hocquard, Barnett Newman, Caravage, Copernic, Roger Laporte, Ludwig Wittgenstein, J.L. Borgès, Fra Angelico, Michel Leiris, Hermann Broch, Hokusaï et son poulet, Roger Caillois, Saenredam, Yves Klein, André Hardellet, Oblomov, Elias Canetti, Hans Henny Jahnn, Pierre Klossowski, Lucio Fontana, Mendéléiev, Bram van Velde, Jacques Roubaud, Khlebnikov et son chien, E.M....
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Ce sont des fictions, des fables, des randonnées, des apologues, des tableaux, des rêveries, des souvenirs, des propos rapportés. On y croise des personnages qui portent des noms connus : Giotto, Novalis, Pierre Jean Jouve, Marcel Duchamp, Robert Walser, Marcel Proust, Arakawa, Caspar David Friedrich, Edgar Varèse, Tadeusz Kantor, Charles Darwin, Emmanuel Hocquard, Barnett Newman, Caravage, Copernic, Roger Laporte, Ludwig Wittgenstein, J.L. Borgès, Fra Angelico, Michel Leiris, Hermann Broch, Hokusaï et son poulet, Roger Caillois, Saenredam, Yves Klein, André Hardellet, Oblomov, Elias Canetti, Hans Henny Jahnn, Pierre Klossowski, Lucio Fontana, Mendéléiev, Bram van Velde, Jacques Roubaud, Khlebnikov et son chien, E.M. Cioran, Roger Lewinter, James Boswell, Jean-Luc Godard, Claude Royet-Journoud, Saul Steinberg et son chat, Ruben Dario, Philip Guston, Yves Bonnefoy, Paul Auster, Sigmund Freud, Harry Mathews, Peter Handke, Jens Peter Jacobsen, Saint-Simon, Jacques Dupin et son singe nommé Boubou, Eugène Fromentin et ses chameaux peints, Pablo Picasso, Joseph Roth, Hans Holbein, Carl von Linné, Edmond Jabès, Robert Musil, Mario Merz et son visiteur vespéral, Ralph Waldo Emerson, Louis Soutter, Samuel Beckett, Hiroshige, Sandro Penna, Piet Mondrian, Jean Jacques Audubon, Pierre Morhange, Leibniz, et d’autres qui sont anonymes. Il y a aussi un flamant rose, un hérisson, des grenouilles, un ourson bien léché, quelques échiquiers.
« The Traveller’s joy » disent les anglais de la viorne grimpante parce que sa présence sur les haies qui bordent les chemins indique qu’on s’approche d’un hameau. Dans les récits, dans les rêves, dans les livres, dans les pièces de musique, dans les peintures, chez les êtres que nous aimons, comme sur les chemins de randonnée, il y a parfois, épars, cachés, de tels signes de reconnaisance qui font la joie des voyageurs. Ils sont fugaces, comme le sable, innombrables... Ils attestent la présence d’autre chose comme les ombres désignent ce qui est sous la lumière ou les efforts de ceux qui furent pour hanter le séjour des vivants.
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Traductions
USA : Post Apollo Press pour Vraie nature des ombres et La Presse Poetry pour "Proustiennes" in Vraie nature des ombres
La presse
Ce livre tient à la fois du récit, de la réflexion, des mémoires, composé d’une série de textes qui mêlent fiction et autobiographie, sans jamais que le « je » ne devienne dogmatique ou bavard comme dans maint ouvrage reposant sur une écriture de l’intime. Dédié à la littérature, à la peinture et à des artistes aimés à travers le temps, il juxtapose divers courts moments, tantôt relation d’imagination, aux confins du rêve, tantôt narration d’événements passés, vécus ou transposés, à partir d’anecdotes personnelles ou liées à des personnages connus. Les ombres, ce sont les morts, qui se promènent dans les toiles accrochés au Musée ou sur l’écran de nos songes, ce sont les ombres aux tableaux de notre existence, impalpables et si présentes, parfois décelables dans telle coïncidence ou tel hasard. De Giotto à Giacometti, d’Elias Canetti à Robert Walser, en passant par Paul Auster et John J. Audubon, les méandres de la rêverie tracent un chemin sinueux qui n’est pas sans charme, tissant des fils invisibles entre les oeuvres admirées et les étapes de la vie de l’auteur. De nombreux passages ouvrent sur l’émotion du lecteur, sur ses parcours intérieurs, qu’il s’agisse de méditations (sur Proust et les aubépines) ou d’événements rapportés (le saisisant souvenir d’enfance de Jacques Dupin avec les folles de l’asile de Privas). A travers le modèle pictural ou littéraire, Jean Frémon réfléchit sur l’éthique et l’esthétique qui ont guidé son avancée, jusqu’au choix de la littérature et à la volonté de faire coïncider l’homme et l’oeuvre dans le temps, à l’instar du visage de Samuel Beckett, d’une beauté austère, miroir parfait d’une oeuvre ascétique, rigoureuse, sans une page de trop. Le récit fragmentaire prend l’allure d’un dialogue imaginaire, avec soi-même ou des êtres de rencontre, quelquefois il emprunte le détour des listes de Sei Shônagon ou de la fable, celle que narrait Pline, avec l’ourse et le bébé ours qui conduisent à comprendre que « le réel est un ourson non encore léché », merveilleuse parabole ! Des préférences sont dites, des amitiés (clins d’oeil à Emmanuel Hocquard, à Jacques Roubaud...), et ainsi se dessine un portrait « en trente-trois morceaux » selon un titre de Char, autre poète essentiel dont la parole sous-tend ce cheminement en quête de réalité. Un livre lumineux qui fait la part belle à la respiration, avec ses zones de silence, que chacun emplira de ses propres chuchotements, avec ses blancs sur la page qui sont la matière d’une réflexion stimulante sur le langage et sur l’art, en perpétuel devenir.
Par Corinne Bayle, Le Nouveau Recueil, décembre 2000.