— Paul Otchakovsky-Laurens

Le Consul d’Islande

Emmanuel Hocquard

Ce pourrait être un roman d’espionnage, ou d’aventures, avec implications financières, commerciales et politiques. Tous les ingrédients y sont, héroïnes et héros, situations et lieux, y compris ceux qui ne devraient pas être là. Mais peut-être ne s’agit-il que d’un récit très décousu de maigres aventures ? Voire. L’approche est, certes, négative. En tout cas pour ce qui concerne métaphores et adjectifs (impossibles, les adjectifs), bientôt les mots et aussi les phrases que l’on compose avec. La faute en est au consul d’Islande dont le nom cache une machine ou une grammaire, conçue pour défaire et se dérégler...

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La presse

Le Consul d’Islande, Emmnauel Hocquard



Le Consul d’Islande est un livre composé de blocs de prose. Ceux-ci se succèdent en "chapitres" à la numérotation bousculée : comme si l’ordre numérique avait perdu de son évidence - à moins que le livre n’ait inventé une algèbre singulière. Une incertitude plane : s’agit-il donc dans les livres d’Hocquard de l’affirmation d’une grammaire singulière ou bien de la dissolution critique de toute grammaire ? Le fait est que la démarche aboutit à une entropie qui annule toute possibilité de signification et à la reconnaissance de tout élément du réel comme îlot de singularité absolue.
Par son format, ce livre répond à un autre, que Hocquard avait publié il y a quelques dix années : Le Cap de Bonne Espérance. Le programme était alors de dépasser "la modernité négative" et d’inventer une poésie grammaticale. Or Le Consul d’Islande part précisément de là : il nous présente la fiction d’un personnage, Pyr Geistenooc (feu et esprit, selon une étymologie possible), dont il est dit qu’"Il était négatif." La prose propose ainsi une personnification possible de l’énonciateur des recherches grammaticales faites depuis dix ans, en particulier dans La théorie des tables ou Un test de solitude. C’est un peu un bilan éthique. Cependant, toute identificationsimple serait erronnée. D’une manière générale, s’il y a bien une pluralité de personnages - dont le consul, des éléments de contexte narratif - une cité portuaire désoeuvrée, il serait vain de rechercher l’unité d’une intrigue. La prose flotte ainsi : entre figuration (roman ?) et proposition d’une grammaire (poésie ?). Hocquard maintient néanmoins une opposition entre vers et prose. Il faut ici indiquer la genèse du Consul d’Islande : ses éléments narratifs proviennent d’un feuilleton en vers, Allée de poivriers en Californie, que Hocquard avait principalement écrit en 1986 pour l’In-Plano, quotidien de poésie alors publié par Claude-Royet Journoud : dans ces vers, il s’agissait bien de raconter des histoires. Dans le feuilleton, les limites du vers étaient explorées, ici, toute histoire tendent à être effacée, ce sont celles de la prose et de sa grrammaire actantielle.
Car il n’y a pas d’action possible. Les livres d’Emmanuel Hocquard perpétuent une situation de seuil, mais sans pathos du franchissement, et je dirais, un messianisme paradoxal : sans attente d’aucune autre révélation que celle de ce qui est là, insignifiant - une expérience qu’énonce l’une des figures du sujet : "Je n’avais pas du tout sommeil à présent, je me sentais détendue, vide de conclusions, entre deux quelque chose."



Par Stéphane Baquey, Cahier Critique de Poésie, janvier 2000