— Paul Otchakovsky-Laurens

Patchinko

Jean-Jacques Viton

Sur un flipper occidental ordinaire, le joueur peut plus ou moins diriger la bille engagée, sinon la conduire, sur le parcours horizontal de l’appareil. Sur le flipper japonais patchinko (ancienne appellation de lance-pierres), vertical et automatique, le joueur ne peut qu’assister, passif, aux rapides dégringolades des billes projetées du haut de la machine sur un parcours troué où seul le hasard intervient. Dans cette absence de pouvoir, le joueur, ici dans le billard-poème-patchinko, se met à supposer que ses billes remontent la pente raide parsemée d’obstacles (erreurs de dates, réminiscences, associations d’idées, confusions, souvenirs…), creusent dans le passé...

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Turbulences


Dans le même esprit que L’Assiette (P.O.L, 1996), Jean-Jacques Viton reprend avec Patchinko un procédé qui place l’objet au centre du livre et délimite le territoire du poème. Patchinko, mot valise ici, est dans la réalité un flipper japonais différent dans son fonctionnement à celui que nous connaissons. Jeu de pur hasard, le patchinko se présente en position verticale. Les billes une fois lancées retombent prestement ou se positionnent de-ci de-là dans les orifices placés sur leur chemin. Ce flipper dont s’empare le poète est une vision ou comme il l’écrit "un objet fantôme/ on y joue en jouant à l’absent/ à l’aide d’une mémoire qui a perdu son sang".


Dans le jeu qui consiste à écrire le poème, il faut dans le même temps prendre en compte le réel, le temps de l’écriture et la mémoire, la difficulté consistant dans la construction aléatoire de ces forces conjuguées : "Comment remonter un cours de temps/ navigation aléatoire fiction mince/ du réel faudrait savoir ce que c’est/ ce réel il calfeutre écharpe vraie/ ça enroule et ça déroule des billes/ des bribes des bouts on enfile tout/ remonte et descend pas de conduite".


Ainsi dans le poème-patchinko, souvenirs, notes, lieux, pensées, visages, tableaux entrent en turbulences. Le tout étant de s’y retrouver ou tout simplement d’approcher ce que l’on cherche, un début, une trajectoire. Tenir compte des "descentes obligatoires" : "Je ne peux pas dérober les sites mayas/ pyramides géantes murailles féroces/ il faut les transformer les faire entrer/ sous les ailes fluo des dragons réclames" ou des "trous pièges" : "ou le malheur qui trempe comme une averse/ lorsqu’il part très loin plusieurs semaines".

Contrairement au flipper occidental où le joueur zélé prend peu à peu possession de la machine, au patchinko quand "tout est fini le plus dur reste à faire". Ne pas s’arrêter. "Observer le premier traqueur inuit/ le regarder suivre la forme blanche" et recommencer...

Jean-Jacques Viton réussit là où beaucoup échouent : risquer le poème sur une piste étroite où viennent se percuter différentes temporalités sans vriller la machine.


Marie-Laure Picot, Le Matricule des anges, décembre 2001 - février 2002

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La mort de Jean-Jacques Viton

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Jean-Jacques Viton, Patchinko, Jean-Jacques Viton lit "Patchinko". Extrait.