— Paul Otchakovsky-Laurens

Notre-Dame-des-Turcs

suivi de Autographie d’un portrait
traduit de l’italien et préfacé par Jean-Paul Manganaro

Carmelo Bene

Notre-Dame des Turcs (1964) est l’unique roman de Carmelo Bene qui donnera naissance en 1968 à son film le plus célèbre.
C’est la tentative de faire parler celui qui est étranger dans sa propre langue. C’est, écrite à la troisième personne, une parodie amusée et impitoyable de la vie intérieure. Souvenirs, visions d’un intellectuel originaire des Pouilles, catholique et petit bourgeois, de culture décadente et aux penchants verdiens... qui se met en scène et en images avec une forte charge d’ironie et d’auto-ironie, une délirante fureur baroque à travers les reconstitution et vision d’un sud du sud des saints (baroque « fait...

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La presse

Le roman Notre-Dame-des-Turcs est déjà exercice théâtral, comme le film allait l’être. Il met en jeu le corps réel et imaginaire d’un acteur, de Carmelo-Bene acteur. Il donne à vivre, à toucher, dans ses péripéties, ce corps qui est à la fois sujet et objet de l’écriture.

Les tentations du vol, de la chute, du départ et du retour apparaissent comme une ponctuation, nécessaire, pour repartir vers une nouvelle scène. Chaque pas claudiqué dans les paysages baroques de son enfance, dans l’histoire réelle et cauchemardée de l’assaut turc contre Otrante, chaque souffrance endurée paraît renforcer la détermination d’une ascèse, revendiquée, vers l’idiotie. […]

Jean-Paul Manganaro a eu la bonne idée de placer l’un des derniers textes de Carmelo Bene, Autographie d’un portrait (1995), à la suite de Notre-Dame-des-Turcs. Écrit essentiel, conçu comme introduction à ses Œuvres complètes (Bompiani), qui le replace là où il doit être, au plus haut niveau d’un Artaud. Bataille entre destin et dessein, convulsions pour tenter de s’extraire de l’œuf social, du rôle social, nécessité d’intégrer à l’art les données de la physiologie la plus triviale, Carmelo Bene parcourt une nouvelle fois les « nombreuses vies », les cicatrices, les maladies qui contribuent à le constituer comme œuvre, en poème de lui-même, en un auto-pamphlet.

Les deux textes forment les pendants d’un tombeau d’où il paraît continuer de tirer les ficelles de ses propres personnages, comme de son vivant, en laissant filtrer, comme sa très chère « vieille taupe » shakespearienne, sa voix de rocaille pour lancer son ultime témoignage, de plus profond que le bas : « Hors de l’œuvre, on est chef-d’œuvre. »


Jean-Louis Perrier, Le Monde, 11 juillet 2003



Notre-Dame-des-Turcs ressemble à un corridor sans fin avec des portes entrouvertes sur des bribes de réalité ou d’histoire – le massacre de la population d’Otrante par les Turcs –, et sur des visions dont les spectateurs du film retrouveront la matrice. Dans cette galerie des glaces se reflète sans cesse la figure de l’auteur-acteur face à lui-même : « Il s’approcha comme un pyope du miroir. Et, de même qu’en scène où il avait toujours abusé d’accidents pareils, il dessina sur le miroir, avec l’extrémité de son doigt ensanglanté, les traits essentiels du reflet de son image. » Le doigt sanglant qui signe le pacte sur le miroir est l’instrument d’une écriture conçue, à la suite d’Artaud, comme un « Pèse-nerfs ». Où l’on retrouve, de façon explicite et parfois poignante, le traces d’une extrême angoisse, entre l’alcool et l’insomnie, où l’acteur finit par rêver de son masque mortuaire : « Dès qu’il fit réveillé, trois heures après, il ne parvint pas à enchaîner et il eut des sueurs froides à la pensée qu’il se trouvait dans une tombe. Le plâtre, désormais sec sur son visage, avait tendu ses traits. »

Sauf que le plâtre utilisé par Carmelo Bene est de ceux qui ne sèchent pas : même mort, son corps bouge encore. »


René Solis, Libération, 10 juin 2003



Ce texte précède de deux ans la première des deux versions que Bene allait donner pour la scène et de quatre ans la version cinématographique. Il avait l’habitude d’affirmer que l’écrit n’était que de l’oral mort. En traduction française, à distance donc de l’incomparable voix et élocution de Bene, cet oral mort vocifère. Il est de l’immense littérature burlesque et théologique. Autographie d’un portrait, de son côté, dans un tout autre style, est une sorte de manifeste pour un théâtre anti-humaniste, donc anti-strehlerien, où Carmelo Bene dispense quelques gifles violentes à la culture et à ses dévots et insiste sur les fondements de sa pratique théâtrale : la machine actoriale, la dés-écriture scénique, la re-conversion de la voix, etc. Une pensée unique de la scène. Une pensée insurrectionnelle. Solitaire. Aristocratique.


Christian Longchamp, Mouvement, juillet-août 2003