— Paul Otchakovsky-Laurens

La Princesse de.

Emmanuelle Bayamack-Tam

Daniel a été adopté très jeune par une immigrée polonaise et son petit mari français. Fasciné par cette mère et sa plantureuse beauté rousse, il s’efforce à la fois de lui obéir et de lui ressembler : or si obéir à sa mère signifie être un homme, lui ressembler signifie être une vamp en guêpière. Pris entre ces exigences contradictoires, il renonce à la sincérité et relègue ses avatars féminins dans ses abysses personnels, ou encore, comme il le dit lui-même, dans une boîte de Pandore qu’il s’efforce de maintenir fermée. Avec l’entrée dans l’âge adulte, les choses...

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Traductions

Allemagne : Secession Verlag

La presse

La famille royalement déjantée d’Emmanuelle Bayamack-Tam


L’identité, le corps, la famille au coeur d’un roman où la danse, la musique et la sexualité donnent aux personnages l’énergie pour faire face. Un nouveau jalon dans la construction d’une œuvre singulière et forte.


Dans le bus qui conduit, au fond de la banlieue, les femmes de détenus vers leur parloir hebdomadaire, il en est deux qui se distinguent du groupe : Cindy, parce que sa beauté et le silence de ses pleurs la mettent radicalement à part, et Marie-Line, parce que c’est un homme. Comment Daniel en est-il venu à entamer par petites annonces, sous une identité féminine, une histoire d’amour avec un taulard dont elle ignore tout ? Cette question condense peut-être toutes les énigmes que nous propose le nouveau roman d’Emmanuelle Bayamack-Tam. Les lecteurs d’Une fille du feu avaient ressenti l’énergie d’une écriture fermement appuyée sur les corps et sur les mots, incarnée dans une héroïne en qui se ramassaient les thèmes forts de l’auteur. Ce qui, dans la façon de tenir, d’habiter son corps, fait qu’on est homme, femme. Les familles, amitiés, amours. On retrouve ce monde où sans cesse est remise en question la place d’un individu dans une communauté qu’il doit reconquérir.

Daniel est un enfant adopté. À l’orphelinat, il a été, il ne sait pourquoi, choisi par une mère à qui il ressemblait aussi peu que possible. Ce choix fit le désespoir de son père qui voulait une fille, modèle réduit de sa Barbara chérie, sa Polonaise rousse au corps laiteux, aux formes amples. Élu par l’une, rejeté in petto par l’autre, le garçon va vivre avec cette mère fusionnelle et ce père rétracté une étrange relation où tout passe par la nourriture et le corps. Daniel en sortira avec pour seul ancrage l’adoration, presque fétichiste, du corps de sa mère, jusqu’à vouloir tout faire pour lui ressembler.

À quinze ans, il va faire l’amour pour la première fois avec Arcady, un homme plus âgé. Il devient Marie-Line, se travestit dans la boîte de nuit de son mentor. Tout pourrait continuer comme ça, dans une sorte de quiétude où tout est assumé, au sein de cette seconde famille de la nuit. Qu’est-ce qui pousse Daniel à chercher autre chose en nouant, sous son identité de Marie-Line, une relation avec Armand, le prisonnier ? Peut-être la quête de la perturbation créatrice, qui bouscule les choses et relance les dés. Peut-être, mais rien dans le roman n’y pousse vraiment, le besoin de plonger à nouveau dans une institution coercitive comme l’avait été l’orphelinat. À partir de maintenant, la prison va peser sur tout ce qui se fera et se dira. Le livre, sans s’attarder, devient le roman des quolibets des gardiens face aux femmes de détenus, celui des parloirs où les corps se rapprochent sans intimité, des prisonniers qui se cousent les paupières, deviennent fous, se tuent. Mais aussi de ceux que l’énergie habite, jette sur une piste de danse pour un Michael Jackson ou une chanson égyptienne de Dalida.

Cette vitalité qui habite ses personnages, Emmanuelle Bayamack-Tam sait la faire circuler dans ces lignes électriques, par la grâce d’une écriture alliant hauteur et familiarité, avec un art consommé de la première personne. On sort de ces pages comme poussé par un grand vent. Sensation rare, à partager d’urgence.


Alain Nicolas, L’Humanité, 18 mars 2010.



« DE TOUTES LES FEMMES DU BUS, je suis la seule à être un homme. » La première phrase du nouveau – et excellent – roman d’Emmanuelle Bayamack-Tam, La Princesse de., donne tout de suite le ton. Qui est cette femme, ou plutôt cet homme ? Son état civil indique Daniel comme prénom, mais sur la scène de l’Arcadia, la boîte de nuit dirigée par son amant Arcady , il/elle s’appelle Marie-Line. «  Ce qui me domine de toute façon et quelles que soient mes tenues, c’est une telle impression d’étrangeté et de vanité que finalement, je ne me sens pas concerné par rien, ni par mon visage, ni par mon corps. » Enfant adopté, Daniel a vécu entre un père indifférent et une mère qu’il vénérait au point de vouloir… être femme. « Le désir de lui ressembler ne m’a pas quitté », dit-il. Pour autant, il ne peut avoir recours à la chirurgie et doit se résigner à être une femme dans un corps d’homme. Consommateur et dealer d’héroïne depuis l’âge de 15 ans, il visite tous les dimanches, en compagnie de son amie Cindy, un détenu, Armand. Que cherchent-ils dans ces visites ? En finir avec la vie de dissimulation qu’il mène depuis des années ?

Dans ce septième livre reprenant les personnages d’Une fille du feu, Emmanuelle Bayamack-Tam explore à nouveau la question de l’identité qui parcourt toute son œuvre. Plus que jamais, l’identité sexuelle – dont l’auteur affirme d’emblée qu’elle est « litigieuse chez à peu près tout le monde », devient relative et sujette à questionnements. Transformisme, transsexualité, travestissement : le roman rappelle les potentialités offertes à l’homme en ce début de XXIe siècle pour changer son appartenance, physique ou morale, mais aussi les douleurs et les interrogations qui les accompagnent.

Porté par une écriture énergique, l’univers de Bayamack-Tam est mâtiné d’un humour rageur et féroce, évoquant Cronenberg et Kafka. On ne sait jamais quel sera le résultat de la métamorphose, mais on devine qu’il sera exceptionnel.


Fabrice Ladreau, Transfuge, mai 2010,


Jeunes genres


Contrairement à celle de Clèves, la Princesse de.ne renonce pas à l’amour et ne semble pas faire débat politique, ce qui est dommage:  qu’un jeune danseur travesti prénommé Daniel, nom de scène Mari-Line, fils rachitique et abandonné d’un Kabyle, adopté, oint aux pommades œstrogènes, naturellement toxicomane et défloré avec jouissance réciproque par son patron, puisse être le sujet d’une émission à opinions ou, pourquoi pas, d’une intervention ministérielle, nous rassurerait sur la générosité (même stupide) du pays.

D’autant que Daniel passe également par la case prison : répondant à la petite annonce d’un taulard méprisant et méprisable, Armand, il s’amourache de lui et ne le vire que quand celui-ci finit par enculer sa mère (qui aime ça). La scène où Daniel la surprend hurlant de plaisir sous l’assaut d’Armand rappellera aux proustiens celle où le narrateur, dans La Recherche, entend Charlus et Jupien jouir derrière le magasin : des illusions tombent, mais des idées naissent.

Daniel est un fils de., mais, à sa façon, il est aussi raffiné que madame de Clèves. il est horrifié par la vulgarité des « K, » ces pouffiasses sans discrétion qui visitent leurs hommes en prison. Il s’aime peu et se voit, non pas en femelle indigne, mais comme « un macaque ». Sa morale amoureuse, prise chez Julio Iglesias, n’aurait pas déplu à madame de La Fayette : « Son léger zézaiement (celui de Julio) achève de me terrasser – mais par-dessus tout je retiens la leçon, je la retiens d’autant mieux que je la connaissais déjà vu qu’elle est inscrite dans le programme génétique des macaques : en amour, il faut toujours un perdant. » Daniel est un perdant qui lutte. Il recherche l’amour de sa mère adoptive, Barbara, la Princesse de., c’est elle, une femme qui ne pardonne pas. Les aventures initiatiques de Daniel pourraient être ennuyeuses si la plus extrême crudité, doublée d’une joie de raconter (la nuit, la scène, le sexe, la prison, les corps dans tous leurs états), n’était fixée par une prose dont les nuances, la vitesse et la précision font toute la délicatesse. Ainsi, quand Daniel, à 16 ans, attend d’être pénétré par son mentor Arcady : « Aussi chaque geste d’Arcady suscite-t-il une reconnaissance éperdue qui semble le mettre en colère. Il voudrait pêut-être moins d’humilité, plus de considération pour ce que je m’apprête à lui offrir avec une telle ingénuité : ce cul qui ignore sa propre perfection. » Il faut un solide artisanat de la langue pour retourner de plaisir, et sans poids, des clichés sentimentaux persistants (ici, la femme amoureuse donnant son cœur et son pur joyau à l’homme qui devrait les mériter).

Bayamack-tam est un réjouissant écrivain dégénéré. Elle défait les catégories et les meilleurs sentiments. elle le fait en écrivant des zones où les femmes sont aussi des hommes, les hommes des femmes, les Noirs des Blancs, les Blancs des Noirs, les enfants des adultes et vice-versa, les humains des animaux, bref, des lieux où ce qu’on prenait pour acquis, sous les termes génériques de nature ou de morale, est remis en cause par la vie, ce phénomène qui n’est le genre de personne. Daniel finit par dire : « Si je ne veux pas consacrer tout mon temps libre à m’occuper de mon corps, je dois absolument demeurer dans cet entre-deux, ni homme, ni femme, ni trans-trav à la rigueur, et seulement si je veux. » C’est la morale de l’écrivain.


Philippe Lançon, Libération, 27 mai 2010.

Agenda

Samedi 4 mai
Emmanuelle Bayamack-Tam à la librairie Le Jardin des lettres

Le Jardin des lettres
22 Avenue de Bordeaux
33510 Andernos-les-Bains
 
05 56 26 99 48
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