— Paul Otchakovsky-Laurens

Le Champ

Judith Elbaz

 Je fais Trouville-Pompéi.

La nuit nous fixe sur l’art mural, même à l’hôtel. Des lionceaux sont pris dans l’ombre de jeeps. Le corps est nu comme un orphelin sans paupières, ou bien il vous habille. Pascal m’encourage. Il y a un pont sur un canal où l’on bascule. Vous êtes le gâteau et le couteau.

There is a bridge on the canal where once we rocked.

 

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La presse

Jeune, avant même d’avoir lu L’Âge d’homme de Michel Leiris, un tableau représentait pour moi « le dénouement sanglant de la tragédie du désir », « le désastre, brusque et effroyable » de l’événement le plus lourd de conséquences pour un homme : perdre la tête.

Ce tableau est Judith tenant la tête d’Holopherne de Cranach l’Ancien (1472-1553).

[…] Je lis Le Champ de Judith Elbaz. L’écrivain qui s’appelle Judith rend sensible à ma vue l’« écart absolu » entre La Loi et la Grâce, autre tableau de Cranach.

Les moments constitutifs de la matière d’une vie rejoignent le sens de l’histoire. Le Champ est un « champ de bataille ». La narratrice marche dans les ruines de Pompéi avec Pascal Q ; Judith, seule, vue à mi-corps, se détache sur un fond sombre. La Frontière entre Judith et Judith est inframince quand l’ombre de l’épée brandie est du même bleu que les « azulejos » du Palais Fronteira à Lisbonne. « Vraiment, l’âme c’est le corps » « Je crois qu’on désire la beauté parce qu’on la confond à cause de l’harmonie des parties avec le bonheur. »


Catherine Pomparat, Remue.net 25 février 2011



Ce roman trouve du grain à moudre dans les ressources et les sollicitations les plus diverses. Il n’hésite pas à ouvrir plusieurs tiroirs à la fois et d’en sortir tous les ingrédients d’un remue-ménage vivifiant où se croisent et se bousculent l’art pariétal, des fresques de Pompéi, le papier peint d’une chambre d’hôtel à Trouville, la visite d’une installation contemporaine, des rêves, la vieille âme du frère, l’air grec d’Hélène Cixous et la culture fiable de Pascal Quignard. À peine croit-on saisir un propos, s’engager dans une piste, que de nouveaux élans nous en écartent et nous déconcertent.

Judith Elbaz n’est pas du genre à poser des verrous, préciser une méthode, fixer une procédure, décider d’un protocole, bref à chercher à épingler un savoir-faire rassurant à peu de frais. Elle greffe, disjoint et rapièce. Elle manie le fil et l’aiguille avec une agilité déconcertante, mais le fil n’est réglé par aucun contrat et l’aiguille accumule les chutes, les rappels, les reprises et les retours. Son champ n’est jamais fixe et définitif, mais fluctuant et provisoire. Il oscille entre la tentation d’agrandir ou de combler les vides, et celle de creuser ou d’augmenter les pleins. Cette mobilité éclectique n’est pourtant pas un programme. La question du vertige est récurrente. Celui dont souffre la narratrice, provoqué par des cristaux qui, on ne sait pourquoi, voyagent dans le labyrinthe de l’oreille interne. Celui lié au désir de faire la photo d’une amie et, entre candeur et violence, de l’interdépendance des dimensions amicales et amoureuses qui en découle. Celui enfin convoqué par l’écriture qui mêle continuité et rupture, s’implique dans une constellation d’échos et progresse comme une course à obstacles, faite de bondissements en avant, en arrière ou de côté.


Didier Arnaudet,Artpressavril 2011


Il y a indiqué « roman » parce qu’il y a un récit d’enfance et de la romance (Pascal Quignard met la langue dans l’oreille de la narratrice, c’est en rêve ou en métaphore), mais c’est un texte à manger, donc poétique, « le visage de l’enfant est la seule partie qu’on est continûment autorisé à lui caresser, à lui embrasser à pleine bouche. Tu touches le livre». Tout est construit en sensations et sur un déséquilibre entre l’œil et l’oreille, de musées en lits et dans le champ d’une photo : « On peut prendre un animal en pleine course de profil. »


Éric Loret, Libération, avril 2011