— Paul Otchakovsky-Laurens

La fonte des glaces

Joël Baqué

Louis, un retraité taciturne, ancien charcutier, veuf à la vie tranquille et ordonnée,  devient malgré lui une icône planétaire de l’écologie au terme d’un parcours commencé dans une brocante – où il découvre un manchot empereur pour lequel il va éprouver un irrésistible coup de foudre – qui se poursuit en Antarctique, puis dans le grand Nord et se termine dans le port de Toulon où Louis, juché sur un iceberg transporté là à grands frais par un fabricant de boissons à base de glace polaire fondue, devient un plaidoyer vivant, et contradictoire, contre la fonte de la banquise.
Dans ce roman, la fonte des glaces est celle de la...

Voir tout le résumé du livre ↓

Consulter les premières pages de l'ouvrage La fonte des glaces

Feuilleter ce livre en ligne

 

Traductions

Suède : Sekwa

La presse

Le bataillon de la rentrée littéraire compte beaucoup de délinquants, mais un seul officier de police en activité. Il s’appelle Joël Baqué. On le salue respectueusement. Que cet auteur ait été le plus jeune gendarme de France et que, sur une plage du sud de la France où un vieux bouquin ensablé de Francis Ponge décida de son destin (lire, de lui, l’excellent La mer c’est rien du tout), qu’il soit ensuite devenu maître-nageur-sauveteur des CRS, ajoute au plaisir qu’on prend à lire ce roman délirant et, pour tout dire, très peu réglementaire. La Fonte des glaces est en effet le roman d’un fondu. On y suit les aventures réfrigérantes de Louis, un charcutier toulonnais, veuf et retraité, qui fut rappeur sous le nom de Fuck Dog Louis. Après avoir acheté, chez un brocanteur, un manchot empereur qui dormait, empaillé, dans une armoire flamande, Louis l’installe, avec onze autres de ses congénères commandes sur internet, dans son grenier réfrigéré à la température de la banquise. Mais le spectacle domestique de cette « dream team » ne lui suffit pas. Il décide alors d’aller, en motoneige et avec l’aide d’un Inuit ricaneur, à la rencontre des vrais manchots de l’Antarctique, où il découvre la triple satisfaction d’admirer un animal qui « incarne une exigence dont l’absence rend toute chose fatiguée d’elle-même », de se faire draguer par une femelle en chaleur et de déguster de vieux biscuits soviétiques (aux vertus hallucinogènes) revenus dans la graisse de phoque. Après quoi, l’ancien roi de la rillette, dont j’oublie de préciser qu’il fut conçu en Afrique noire par un comptable de bananeraie mort sous un éléphant, s’envole pour le Grand Nord canadien avec des chasseurs d’icebergs préhistoriques - l’un d’entre eux devant faire une entrée triomphale en rade de Toulon. Au cours de cette odyssée, qui verra l’artisan de la tripe varoise devenir le Forrest Gump de l’écologie, on apprend que la banane et l’être humain partagent 40% de leurs gènes ; que la Clinencourt électrique, une trancheuse à jambon trois vitesses, favorise la copulation sauvage ; que l’Iceberg Vodka et la Groenland Ale sont des alicaments ; que le manchot brait ou jabote, mais qu’il ne bronche pas quand un pétrel lui défonce le crâne. Bref, ce que Louis professe à propos de cet oiseau marin, « Le voir, c’est le connaître. Le connaître, c’est l’aimer », vaut pour La fonte des glaces, le roman le plus drôle et le moins congelé de la rentrée.


Jérôme Garcin, L’Obs, août 2017



Un charcutier à la retraite. Un manchot Empereur empaillé. Une échappée extrême dans l’Antarctique. Un Inuit inouï, pourvoyeur de biscuits soviétiques très chargés en hallucinogènes. Un affairiste fomentant une multinationale du glaçon préhistorique. Un iceberg dans la rade de Toulon. Un éléphant assassin… Voyez pas le rapport? Joël Baqué si ! Avec La Fonte des glaces, son deuxième roman, sorte de dérapage incontrôlable dans une chaîne de causalités dadaïstes, il signe un des livres les plus frappadingues et réjouissants de la rentrée.


Les Inrockuptibles, août 2017



Un trip polaire


Joël Baqué nous embarque dans une fondante passion glaciaire.


Biographie posthume d’un activiste malgré Iui, fable discrètement écologique et histoire d’un coup de foudre polaire. La fonte des glaces raconte « le fabuleux destin de Louis » placide charcutier toulonnais à la retraite « conçu en terre africaine par une mère carcassonnaise et un père comptable », devenu sur le tard l’improbable égérie starisée de la lutte contre le réchauffement climatique Louis a été un enfant unique choyé par sa mère restée veuve après la mort du père dans des circonstances qu’on ne racontera pas IQ mais qui installent dès le début la cocasserie, la folie douce dérivant dans ce roman naïf au-dessus noir au-dessous ironique et bienveillant le style Baqué. Retire depuis longtemps du boudin et des rillettes ce vieil homme seul qui « pouvait se taire pour deux » se laisse conduire par de subites impulsions qu’il ne cherche pas à s’expliquer à lui-même « Ses journées, ses soirées, ses nuits se succédaient dans une continuité que pourrait modéliser le cylindre mollement sinueux d’une pâte dentifrice au sortir du tube ». Cette vie tempérée ni heureuse ni malheureuse prend un nouvel élan lorsque Louis s’entiche d’un manchot empereur empaillé acheté sur un marché aux puces II installe son nouvel ami dans un « grenier banquise » réfrigère, entreprend de lui trouver des compagnons, enquête sur les moeurs de I’espèce en surfant sur I ordinateur de la bibliothèque municipale. Puis finit par se lancer dans « un voyage au bout du froid ». Cap au sud l’Antarctique pour un safari blanc en motoneige en compagnie d’un guide inuit expatrie au pôle Sud, puis direction le Grand Nord canadien dans le sillage des « chasseurs d’icebergs » qui traquent la glace préhistorique pour la mettre en bouteille. Des biscuits soviétiques périmés joueront aussi un rôle dans cette épopée rocambolesque et désenchantée traversée d’un humour aussi flegmatique que son héros qui pourrait être acteur principal dans un film d’Aki Kaunsmaki. L’année dernière Joël Baqué nous avait offert La mer c’est rien du tout (P.O.L.) un petit livre autobiographique merveilleux, variations autour de la trajectoire si peu banale dc ce fonctionnaire de police, fils d’un ouvrier agricole dans le Biterrois. Ce troisième roman confirme qu’il est devenu un écrivain poète précieux.


Véronique Rossignol, Livres Hebdo, juin 2017



Joël Baqué, la face immergée de l’iceberg


Roman. Joël Baqué retrace l’épopée d’un retraité reconverti en héraut de la cause environnementale. Une comédie faussement légère.


Louis a eu deux passions dans la vie : sa femme Lise et sa charcuterie. Le boudin blanc aux cèpes et les rillettes à la provençale ont fait la réputation de ces commerçants toulonnais que ni les tripes ni les abats ne repoussaient, quand ils n’invitaient pas aux ébats. Mais voilà, Louis est désormais à la retraite, veuf, et sa charcuterie a fait place à une boutique spécialisée dans la cigarette électronique. Son existence s’est rabougrie. Une rencontre va le détourner de sa trajectoire tristement rectiligne. Une femme ? Non, un manchot empereur, créature empaillée sur laquelle il tombera nez à bec au détour d’une brocante. L’animal faisant l’objet de toutes ses attentions avec le même entêtement que son père, expatrié en Afrique, s’était passionné pour la banane sera bientôt rejoint par une dizaine de congénères, installés dans un grenier soigneusement réaménagé en banquise.


Un symbole de la lutte contre le réchauffement climatique

Ici commence véritablement la nouvelle vie de Louis, qui prend conscience de la précarité du manchot empereur, menacé par la fonte des glaces. « Lui que le blizzard n’enrhumait pas, il crachoterait, traînant ses guêtres dans la gadoue, petit vieux au plastron démodé, en route pour rejoindre le mammouth, le rhinocéros laineux et tous ceux exterminés à l’époque où l’humanité débutait modestement son oeuvre avec quelques feux de camp en attendant de faire mieux. » Quittant son pavillon défraîchi, Louis s’envolera pour l’Antarctique, terre du manchot empereur. Il deviendra un symbole de la lutte contre le réchauffement climatique, lui que la question de l’empreinte carbone a toujours laissé de glace. Un héros malgré lui, un saint diront même certains, et bientôt l’ambassadeur placide d’une société vendant de la bonne conscience écologique en bouteille. De cette succession de virages inattendus, Joël Baqué fait une épopée fantasque et entraînante au cours de laquelle, en sus de l’oiseau « athlète du froid », le lecteur croisera un « éléphant homicide », un « élan léniniste » ou encore un « castor sisyphien ».


Le roman d’une solitude contemporaine

Avec un sens acéré de la formule, l’auteur s’amuse des folies de l’époque : l’hystérie des réseaux sociaux, prompts à faire du premier venu une icône, mais aussi les dérives de l’écologie marchandisée, détournée en spectacle lucratif. La Fonte des glaces rappelle à ce titre la satire désopilante de Iegor Gran dans L’Écologie en bas de chez moi, un auteur avec lequel Joël Baqué partage, outre son éditeur, l’art d’ironiser sur les petites manies humaines. C’est aussi, plus cruellement, le roman d’une solitude contemporaine, d’un froid intérieur qui étreint le coeur en silence, aussi inexorablement que la terre se réchauffe.


Jeanne Ferney, La Croix, septembre 2017



Du cochon au manchot


Voici un roman des grands froids qui ne laissera pas de glace même s’il se passe en grande partie au sein des deux pôles. Il tient de la farce de l’écologie : un retraité ex-charcutier devient un « héraut » mondial. Mais à son corps défendant et suite à un achat dans une brocante d’un manchot empereur naturalisé dont l’existence va changer sa vie. Amoureux de l’empaillé, ce sombre héros toujours quelque part inconsolé part pour les enfers blancs avant de faire retour dans la rade de Toulon « à la barre » (si l’on peut dire) d’un iceberg déplacé à grands frais par un fabricant de boissons à base de glace polaire fondue. Il devient l’apôtre de la défense de la banquise et un lutteur de fond contre le réchauffement de la planète. Le roman n’est en rien "concon" mais fondant sûrement. L’auteur y offre la biographie posthume de cet engagé malgré lui en un destin fabuleux. Dès l’enfance, tout va pour lui à vau-l’eau. Mais le timide, couvé par sa mère veuve, après les rillettes, le boudin, le plat de côtes et les pieds paquets, celui qui jusque-là « pouvait se taire pour deux » et vivait une existence immobile et millimétrée comme une pâte dentifrice sortant de son tube trouve avec le manchot une passion dévorante. Dans sa dérive glaciaire et en compagnie d’un guide inuit inouï, il n’est pas jusqu’à des biscuits soviétiques périmés à jouer un rôle dans cette fable ou sotie à l’humour à froid car il ne faut en effet pas ajouter des dégâts à ceux que la banquise subit. L’épopée devient rocambolesque plus que désenchantée. Nous sommes bien loin du précédent livre (La mer c’est rien du tout) où le bitterrois racontait sa vie de fonctionnaire de police. C’était une réussite mais ce nouvel opus va plus loin. Nous entrons dans le roman « d’anticipation » qui donne une bien autre version de ce qu’une auteure plus connue de l’écurie P.O.L évoque cet automne : Marie Darrieussecq. Joël Baqué ose du haut de ses glaciers ivoires ce que l’auteur de Truismes n’a fait que frôler. Son héros boit l’eau en oubliant les boyaux. A la queue de cochon; il préfère la corne d’auroch. Et en montant là-dessus (entendons l’iceberg), c’est pour voir bien plus loin que Montmartre. Le tout sans lamento ni fiasco. Il ne s’agit plus de frissonner dans la salade de museau. De quoi tout pardonner à sa mère et à son père disparu de manière plus qu’étrange. Sur la banquise du grand sud ou des nords canadiens souffle une bise de volupté là où certains seraient épris que d’un vide abyssal. Preuve que les manchots ne sont pas des manches et peuvent faire de tous les jours de la semaine des dimanche. Là où il n’existait plus personne pour les sauver, le héros devenu icône glacé prouve que comme dans le cochon tout est bon dans l’homme.


Jean-Paul Gavard-Perret, le littéraire.com



Le charcutier sur la banquise


Loin d’être le récit du fabuleux destin d’un Louis la Brocante, La fonte des glaces est un ovni dans le paysage de la rentrée littéraire. Joël Baqué offre un roman pétillant et joyeux, mordant et doux-amer, un récit où le manchot empereur est roi et où l’amour n’a pas d’âge.


Le destin d’un homme

Il est des destins qui marquent les consciences. Une fois la lecture achevée et refermé La fonte des glaces, il y a fort à parier que l’on n’oubliera pas de sitôt l’histoire de Louis, un charcutier toulonnais anonyme et placide dont la vie bascule au moment où il pensait attendre tranquillement la mort. Les cinquante premières pages du roman font le récit de l’enfance de Louis, « conçu en terre africaine par une mère carcassonnaise et un père comptable », bercé par la chaleur puissante du continent africain et la douce chaleur de sa mère qui l’entoure comme elle peut de sa tendresse bienveillante. S’ensuit la mort de son père dans des circonstances pour le moins rocambolesques, la fin de la vie en Afrique, une adolescence à Carcassonne qui le fait passer de « petit Louis », comme l’appelle sa mère, à Fuck Dog Louis, un jeune homme à la silhouette hasardeuse qui écrit des chansons avec du « gros groove », l’obtention d’un CAP métiers de la viande avec félicitations du jury, et le mariage avec Lise, la fille de son patron boucher. Happy end. Fin de l’histoire, ou presque. Louise et Lise vécurent heureux comme des rois dans leur charcuterie de la rue Lavoisier, où ils font l’amour comme ils servent leurs clients, fidèlement et tendrement. La description de leur bonheur conjugal tient sur trois pages mais laisse rêveur comme un ciel sans nuage. En revanche, ils n’eurent pas, malheureusement, beaucoup d’enfants puisqu’ils ne réussissent pas à en avoir. Lise meurt rapidement. Louis s’invente alors une routine de retraité mutique et un peu déprimé, rythmée par de petites habitudes réglées comme du papier à musique. Le dimanche, il hésite entre un éclair au café et une religieuse au chocolat avant d’aller lustrer avec amour la tombe de Lise. Sa vie aurait pu s’arrêter là, à regarder filer les derniers jours de son existence comme les bateaux dans le port de Toulon. Mais c’est compter sans une rencontre qui bouleverse sa vie. Cette rencontre au sommet intervient au bout de cinquante pages. Plus question, pour le lecteur, de laisser le roman dans un coin. La description de la vie monotone de Louis, guère palpitante, était écrite dans un style enlevé qu’il était déjà difficile d’ignorer. La description de la rencontre qui change à jamais la vie du retraité provincial intervient comme un détonateur. On se prend au jeu immédiatement et, dès lors, impossible de lâcher le livre. L’auteur nous emmène dans une grande aventure surprenante. La rencontre se fait comme dans un conte traditionnel : Louis, dans une brocante, est attiré par une armoire ancienne qu’il ouvre dans un grincement. Il tombe nez à nez avec une créature pour laquelle il a un coup de foudre immédiat. Il s’agit d’un manchot empereur empaillé. L’existence de Louis bascule pour toujours. Il se prend de passion pour le manchot empereur, troque ses petites habitudes de retraité contre de nouvelles, se met à fréquenter la bibliothèque municipale où il découvre Internet, se renseigne sur son nouveau compagnon au point de devenir spécialiste du sujet, se décide à lui offrir des congénères, transforme à grands coups de travaux son grenier en banquise reconstituée, s’équipe en conséquence pour pouvoir y pénétrer malgré le froid qui y règne à cause de la réfrigération qu’il y a fait installer, par la même entreprise qui lui avait installé la chambre froide de sa charcuterie des années auparavant. Mais tout ça ne suffit pas, et Louis, peu à peu, devient obsédé par cette question : comment sauver le manchot empereur de la fonte des glaces ? C’est pour la résoudre qu’il se rend en Antarctique où d’autres aventures non moins incroyables l’attendent encore. Louis va devenir une icône de la cause écologique, et reviendra à Toulon après bien des péripéties.


Un conte moderne

Avec La fonte des glaces, Joël Baqué livre un vrai roman, un vrai récit, proche du récit mythologique. Louis, anti-héros, héros malgré lui, traverse les aventures comme Ulysse en son temps. Une galerie de personnages tous plus loufoques les uns que les autres entoure son personnage pourtant peu charismatique. Le lecteur, embarqué un peu par hasard dans le récit, comme Louis, à la fin du roman, sur un navire chasseur d’icebergs, croise le chemin d’un comptable photographe, d’un Inuit au nom imprononçable, d’un insomniaque suicidaire et de quelques autres hurluberlus du même acabit. L’auteur propose un conte moderne qui contraste autant par le fond que par la forme avec son livre précédent, paru l’année dernière aux éditions P.O.L, La mer c’est rien du tout, récit lapidaire et autobiographique, tendre et grinçant, retraçant son parcours de CRS poète. C’est justement la poésie qui rapproche les deux derniers livres de Joël Baqué, une poésie d’une rare ingéniosité. Le roman est parsemé de trouvailles heureuses et l’écriture bondit comme un torrent, pétillante, joyeuse. Tout le long du livre courent métaphores inattendues, jeux de langue gouleyants et parfois même extrêmement drôles. L’écriture narrative est aussi loufoque que le récit qu’elle présente. Loufoque, certes, mais avant tout très fine, et virtuose par moments. Le lecteur est surpris à chaque coin de phrase, étonné, suspendu. Il poursuit sa lecture à la fois pour connaître le destin du personnage de Louis, dont l’unique verbe décrivant sa manière de s’exprimer est dodeliner de la tête, mais aussi pour savourer l’écriture inventive et toute particulière de Joël Baqué qui s’impose dans le paysage littéraire comme un romancier d’un nouveau genre, presque inclassable, proche de la folie douce, résolument poète. On trouve dans La fonte des glaces la meilleure description d’escargot jamais lue, mais aussi une scène de parade nuptiale sur la banquise qui marque l’esprit, on apprend l’existence d’un festival d’icebergs au fin fond du Canada et des informations absolument sérieuses sur le manchot empereur. En somme, on apprend en s’amusant. Joël Baqué s’impose comme le maître de l’humour décalé, du sérieux pince-sans-rire. Il est écrit dans le roman qu’« un texte sans ponctuation c’est comme une chair sans squelette ». La fonte des glaces a un squelette de fer, une écriture riche et généreuse.


La glace du coeur

La fonte des glaces est loin d’être un récit édulcoré. Le titre interpelle. La quatrième de couverture aussi, qui, composée uniquement de cinq phrases, annonce sobrement qu’il sera question de la cause écologique. Le récit interroge évidemment notre conscience environnementale, nos propres pratiques, et la fin du roman laisse pensif quant aux effets du réchauffement climatique sur notre quotidien. Mais le récit de la vie de Louis, héros sur le tard de sa froide existence, donne aussi à penser les questions de l’amour et de la vacuité de l’existence. Quand on s’aperçoit que la vie file à toute allure et fond comme neige au soleil, que faut-il faire ? Le roman de Joël Baqué ne raconte pas que la fonte de la banquise mais aussi la fonte d’une glace qui gelait depuis des années le coeur d’un homme, qui l’empêchait d’avoir une vie aventureuse et passionnée. « Perdu dans ses pensées puis perdu tout court », Louis reprend goût à la vie en rencontrant un manchot empereur et sa vie reprend son cours. « Cette subite passion restera mystérieuse et dépourvue de sens, preuve de son authenticité », mais peu importe qui et comment, l’important, nous souffle l’auteur, pour ne pas se transformer en glaçon, est d’aimer. La fonte des glaces est un petit bijou de style et de drôlerie, extrêmement bien ciselé, et qui, comme un iceberg, ne remue pas seulement en surface, mais aussi en profondeur.


Pauline Delabroy-Allard, En attendant Nadeau



L’Empereur contre-attaque


Avec son deuxième roman, Joël Baqué fend la rentrée littéraire tout sourire. La fonte des glaces confirme un talent poétique et dégourdi. Régalade !


Charcutier à la retraite, Louis coule des jours placides du côté de Toulon. Il avait aimé sa mère, sa compagne Use, son métier et la boutique de la rue Lavoisier, ainsi que sa trancheuse, une Clinencourt électrique, trois vitesses et tout alu. Mais ce temps était révolu, il flotte désormais dans ses dimanches et, "pour le dire clairement, Louis déprimait". L’achat d’un manchot empereur sur une brocante ("Faut le caresser dans le sens, du poil. Quarante euros parce qu’on va fermer") vient donner un axe à ses journées, un but à son existence. Le vieil homme méditatif a trouvé son totem: transporté dans une autre dimension et accessoirement au Pôle Sud, il jette les bases de son épopée. Les avertissements relatifs aux éprouvantes conditions climatiques le laissent de glace - "C’est un coin très très frisquet. "Entre un Inuit mutique, des biscuits militaires d’un genre spécial et un glaçon préhistorique (rien à voir avec Chantal Garage, une ex beaucoup plus calorifère), Louis devient malgré lui une icône de la cause écologique. "La tradition charcutière française fout le camp."


Attention à la marche!

L’année dernière, La mer c’est rien du tout nous subjuguait par son exigence de vérité désarmante. Dans la maison familiale sise à Montblanc, près de Béziers, les mots courraient sur le fil du haïku pour dire -avec quelle justesse et un grincement étouffé- le peuple des enfants, la chaleur à cigales des années 70, les débuts du plus jeune gendarme de France, devenu maître-nageur-sauveteur des CRS. Faisant mentir son titre, ce court roman consacrait une baignade chaudement recommandée et signait l’envol d’une très belle plume. Celles du manchot empereur sont d’une autre envergure mais non moins chatoyantes. Si on retrouve d’abord l’auteur en terrain conquis (et son lecteur donc!), évoquant l’enfance du Petit Louis, son père aplati par un éléphant -lequel "montre ses oreilles comme le chien ses crocs, le commercial son sourire"- puis les frasques de son avatar granuleux, Fuck Dog Louis, accro aux décibels recraché à l’adolescence, le roman glisse ensuite vers une aventure au grand large. Larguant les amarres de la fiction la plus débridée, c’est presque avec l’air de ne pas y toucher que Baqué nous embarque dans des rebondissements improbables, abracadabrantesques, où les fulgurances truculentes le disputent à un flegme à toute épreuve. Bref, la classe ! Entre deux digressions lyriques sur le pneumatique ou la banane -"s’émerveillant de sa douce cambrure, procédant du bout des doigts à la mise à nu de cette chair ferme puis fondante dont le dévoilement progressif fait de la banane l’incontestée pin-up des fruits", le lecteur jubile, songe aux grands jazzmen de la littérature française que sont Christian Oster et Jean Echenoz. Et alors, ça groove ? Grave! Tout est prétexte à affûter le regard, sans parler de la Clinencourt électrique, trois vitesses et tout alu, à côté de laquelle Baqué siège, impérial. Tenez, vous m’en mettrez 300 pages, histoire de s’en payer une bonne tranche.


Fabrice Delmeire, Focus Vif



La vie imaginaire du Forrest Gump de l’écologie


Joël Baqué invente, avec brio, l’aventure d’un solitaire qui prend pour compagnon de sa fin de vie un manchot empereur définitivement immobile. Après « La mer c’est rien du tout » vient « La fonte des glaces »- il y a comme qui dirait du maître-nageur là-dessous.


C’est une histoire abracadabrante. L’élucubration débridée s’y mêle au quotidien le plus prosaïque, le tout sorti de l’esprit fertile du poète et romancier Joël Baqué, qui fut le plus jeune gendarme de France avant d’embrasser la carrière de maître-nageur sauveteur chez les CRS. « Le signal qui changea le destin de Louis prit une forme totalement inattendue », écrit-il. Louis, retraité charcutier à Toulon, au hasard d’une brocante, déniche un manchot empereur empaillé. Il l’achète. Entretemps, une anecdote passablement morbide nous apprend que Louis a été conçu en terre africaine. Son géniteur, comptable dans une entreprise de pneus en faillite - embauché in extremis au sein d’une bananeraie en Côte d’Ivoire -, a été piétiné par un éléphant, furieux de se faire tirer le portrait.


Quand un retraité charcutier s’entiche d’un manchot empaillé

Avec l’acquisition du manchot empereur naturalisé, Louis change de latitude. C’est vers le grand froid des étendues glacées (vertige de la page blanche ?) que la vie le porte, au fil d’un récit qui glisse et bifurque au détour d’une virgule. Quelques brefs retours en arrière nous renseignent sur l’itinéraire chaotique de Louis, antihéros par excellence. On le voit enfant, puis adolescent instable, « avatar anguleux, accro aux décibels », puis veuf solitaire et asocial qui « déprime discrètement » et s’endort devant la télévision, jusqu’au jour, donc, où il rencontre ce manchot empereur, « au nom honteux, le plus péjoratif du monde animal », « impassible dans les blizzards » et dont le mâle « couve sans relâche l’oeuf qui ne doit jamais toucher le sol gelé ». Vrai talisman, l’étrange oiseau définitivement immobile sera « le compagnon de sa fin de vie », quand bien même l’animal, nanti d’ « un casier judiciaire vierge », n’a jamais hanté les contes de son enfance. Joël Baqué trame avec constance sa fable loufoque. Pour plaire à son hôte insolite, Louis aménage le grenier. Ce sont des semaines d’effort à peindre les murs en blanc, à poser une moquette immaculée, à installer un vieux canapé comme « un iceberg miniature », à réfrigérer l’espace à la façon d’une chambre froide. Quitte à passer pour un pervers zoophile, Louis recrute, via Internet, onze congénères taxidermisés qui vont rejoindre sous les combles « le devenir banquise » où trône le spécimen premier. Obsédé par le changement climatique, Louis se documente, prend fait et cause contre la fonte des glaces. Et le voilà embarqué direction l’Antarctique. Il y croisera le seul Inuit de l’hémisphère Sud et une journaliste, mangera des biscuits hallucinogènes sortis des stocks de l’armée Rouge et prendra place à bord d’un chalutier barré par des « chasseurs d’icebergs » qui font commerce à prix d’or d’une « eau préhistorique réputée ultra pure et facturée en conséquence quinze dollars le litre ». Louis devient « le Forrest Gump de l’écologie ». Voilà un texte de vrai fondu, à l’humour froid, écrit d’une plume dégelée.


Muriel Steinmetz, L’Humanité, Septembre 2017



Aussi, sur La fonte des glaces: http://lireaulit.blogspot.fr/2017/09/la-fonte-des-glaces-de-joel-baque.html

Plume de nuit


Ecrivain le soir, policier le jour, cet autodidacte est entré en littérature par la poésie avant de bifurquer vers le roman à la suite d’une déception amoureuse. Il livre des histoires farfelues dictées par la langue plutôt que par l’intrigue, tel " La Fonte des glaces "
Surtout, ne pas confondre pingouin et manchot empereur. " Pas pareil, hein ! Pas pareil ! C’est bien mieux, un manchot empereur ! écrit Joël Baqué dans son nouveau -roman. D’abord c’est plus gros et puis bientôt avec la fonte des glaces y en aura plus. " Ce n’est pas faute d’avoir été -prévenue. Immanquablement, pourtant, le lapsus survient lorsqu’on croit bon de clore deux heures d’entretien par une dernière question sur les pingouins. " Manchot empereur, malheureuse ! tonne le romancier. On écrit un livre -entier, et voilà ! Ravi de vous avoir connue. Au revoir. " Pince-sans-rire, Joël Baqué l’est visiblement autant dans la vie que dans ses livres.
Et il a l’art du contre-pied. Comme La Fonte des glaces, son quatrième livre aux éditions P.O.L, relate les aventures de Louis, un veuf qui reprend goût à la vie en tombant amoureux d’un manchot empereur empaillé, rendez-vous avait été pris à la Maison Deyrolle, rue du Bac, à Paris. Dans ce cabinet de curiosités, haut lieu de l’entomologie et de la taxidermie, l’écrivain observe un silence poli en passant entre l’éléphant, la lionne et l’autruche empaillés. En contemplant l’un des magnifiques spécimens de zèbres, il partage ce qu’il sait de l’origine de leurs rayures (le résultat, nous apprend-il, d’une évolution liée à la présence de mouches tsé-tsé). Avant d’avouer : " C’est effectivement impressionnant, mais c’est surtout glauque, tout ça. "
Peut-être aurait-il fallu plutôt lui -donner rendez-vous à Toulon, où vit son héros ? " Je n’y ai jamais mis les pieds. " Quelque part dans le Sud-Ouest, dont il doit être originaire, si on en croit son -accent prononcé ? " Je suis parisien. J’habite à Nice depuis deux ans, mais j’ai vécu durant vingt-cinq ans à Paris, c’est chez moi. " Il est tout de même né dans -l’Hérault, près de Béziers, où il a grandi. Son précédent livre, La mer c’est rien du tout (P.O.L, 2016), évoquait du reste ses origines, les raisons pour lesquelles il avait fui la région et son père en -s’engageant dans l’armée après son -service militaire, devenant même " le plus jeune gendarme de France ". Aujourd’hui, il est officier de police, au grade de commandant de police, et travaille à la direction départementale de la police aux frontières. Rien ne le prédisposait à écrire. Et, il le confirme, les choses se sont bien passées comme il le raconte dans son récit autofictionnel : un jour, vers 25 ans, alors qu’il était maître-nageur sauveteur, un vacancier a rapporté un livre d’entretiens de Francis Ponge oublié sur la plage. Il l’a lu, puis a eu envie d’aller lire toute la poésie de Ponge, puis toute la poésie contemporaine. Et s’est mis à écrire de la poésie, qu’il a d’abord publiée dans des revues.
Policier le jour, écrivain la nuit, ce complet autodidacte est d’une curiosité insatiable, qu’il assouvit méthodiquement. " Pendant longtemps, se souvient-il, je suis allé dans les magasins pour acheter des guides sur tout ce qu’il fallait lire, par époque. J’ai fait la même chose pour la musique, ça m’a pris des années. J’adore découvrir des choses, même avec trente ans de retard. Bach et les quatuors -à cordes aussi bien que des groupes de rock alternatif. J’aimerais pouvoir jouir le plus possible de tous les genres de créativité imaginables. " Il récuse cependant, d’abord, l’idée selon laquelle l’écriture, comme la culture, pourrait être une fenêtre le laissant s’échapper d’un quotidien professionnel plus terre à terre. Et puis il nuance : " Le fait d’avoir l’écriture n’a pas changé mon rapport à mon travail. Mais cela modifie tout de même la personne. Ça fait changer de -milieu, découvrir d’autres manières d’être au monde. Cela m’a tiré vers l’analyse des émotions, des rapports entre les gens, vers plus de sensibilité. "
D’ailleurs, l’écriture romanesque lui est " tombée dessus du jour au lendemain, à la suite d’une séparation amoureuse " : " Je suis parti vers le roman, explique-t-il, à cause de ce choc psychique, qui a rendu nécessaire l’expression de l’émotion, à travers des personnages, de la narration. La poésie telle que je l’entends, c’est-à-dire non lyrique, ne suffisait plus. " Attention, précise-t-il à de nombreuses reprises : ce n’est jamais l’histoire qui prime dans ses romans, mais le travail sur la langue comme matériau et la jubilation de l’écriture. " Jusqu’au bout, je ne sais absolument pas où je vais. Le déclencheur, c’est toujours du texte, une phrase qui tourne dans ma tête, et ce sont les phrases qui appellent les autres phrases, pas une intrigue prédéterminée. " Soit. Mais au-delà de la crainte - propre à l’autodidacte ? - de ne pas être pris au sérieux s’il n’insiste pas suffisamment sur la dimension littéraire de sa -démarche, il reste que La Fonte des glaces a bien une intrigue, à la fois farfelue et cohérente, qui gagne à être interprétée.
Louis, charcutier à la retraite, veuf inconsolable, dont les journées sont structurées par les repas à heures fixes et les semaines, embellies par le choix d’une pâtisserie le dimanche, voit sa vie bouleversée par la découverte des manchots empereurs empaillés, auxquels il se met à vouer une passion. Il les collectionne, avant de partir en observer des vivants en Antarctique. Au retour, il fait un détour par Terre-Neuve, embarque sur un navire de chasseurs d’icebergs où il sera pris d’hallucinations, avant de se faire enrôler dans une entreprise de commercialisation de cette eau préhistorique et de devenir une icône de la cause écologique, le symbole de la lutte contre le réchauffement climatique. Mais on ne saurait qualifier ce roman de militant, même si, comme tout un chacun aujourd’hui, Joël Baqué se sait imprégné du message écologique. -Parler des thèmes qui traversent son livre semble l’embêter. Il ne développe qu’avec réticence leur origine et leur importance.
Mais, tout de même. " L’humour et l’écologie, dans ce texte, concède-t-il, c’est un peu la partie émergée de -l’iceberg. Dessous, c’est surtout un livre sur la solitude. Et la fonte des glaces, c’est la fonte de la banquise et le péril écologique, mais aussi la fonte des -glaces intérieures de Louis, qui retrouve un sens à sa vie lorsqu’il se découvre une passion, un amour pour les manchots empereurs. Il était gelé dans le passé et subissait le présent sans joie. Sa route vers les manchots empereurs lui donne un avenir. " A 55 ans, l’écrivain, célibataire et sans enfants, ne cache pas qu’il a lui-même un mode de vie plutôt -solitaire. " Je crois que j’ai réussi à dire, avec ce roman, quelque chose de mon propre rapport à la solitude. "
Et cette fois, il accepte de développer. " Je n’ai aucune attache familiale, ça vient de là, mon caractère solitaire. Mon frère, ma soeur et moi, nous avons été élevés par mon père dans un ultra-individualisme, dans l’idée d’une non-famille. Mon père était fils unique, nous n’avions pas de -cousins, pas de grands-parents encore vivants. Je n’ai jamais connu la joie des grandes tablées. Et nous n’avons jamais, ensemble, constitué une famille, nous étions juste une coexistence d’individus. Je n’ai pas de structure affective familiale, depuis toujours. Il n’y a jamais eu d’arrimage affectif pérenne derrière moi. Cela crée un sentiment d’instabilité, de solitude, tout vient de là. " " Voilà, ajoute-t-il, je ne l’avais jamais formulé aussi précisément. " Vite, une blague sur les pingouins.


Florence Bouchy, Le Monde, octobre 2017



Coup de foudre pour un manchot


Après " La mer c’est rien du tout ", un texte hybride, mi-fragments poétiques, mi-récit autofictionnel, qui tenait du Je me souviens de Perec, Joël -Baqué s’inscrit, avec La Fonte des glaces, dans le sillage de ses premières fictions -publiées chez P.O.L. Si, dans le précédent texte, il pouvait écrire " Rien n’est faux, mais tout n’est pas vrai ", son -nouveau roman, à la narration -inventive et débridée, parfois loufoque, serait plutôt sous le signe du " tout est faux. Et si c’était vrai ? ".
Frappé d’un coup de foudre pour un manchot empereur empaillé trouvé dans une -armoire flamande exposée sur le stand d’un brocanteur, -à Toulon, Louis réorganise -entièrement sa vie autour de ce nouveau compagnon et de ses congénères, qu’il -collectionne dans son grenier. La " Dream Team ", comme il nomme l’ensemble de ses manchots empereurs, lui donne envie d’aller en -Antarctique. De fil en aiguille, il s’intéresse à la question de la fonte des glaces - qui risque de mettre en péril les colonies de ses animaux -fétiches - et -devient un hérautde la lutte contre le réchauffement climatique.
Roman farfelu de prime abord, La Fonte des glaces est pourtant d’une tonalité plus mélanco-lique que comique. On y sourit plus qu’on ne rit, on se prend d’affection pour un personnage qui aurait pu susciter les -sarcasmes et l’on voyage au gré des assonances, allitérations et traits d’humour syntaxiques dans l’univers poétique de Joël Baqué comme on -accepterait, sur un coup de tête, de se laisser embarquer au bout du monde.


Florence Bouchy, Le Monde, octobre 2017




Agenda

Du vendredi 17 au dimanche 19 mai
Neige Sinno et Joël Baqué au Festival La Comédie du Livre (Montpellier)

voir plus →

Vidéolecture


Joël Baqué, La fonte des glaces, Joël Baqué La fonte des glaces

voir toutes les vidéos du livre →