— Paul Otchakovsky-Laurens

La seule fois de l’amour

Jacques Jouet

Ce court roman (qui n’est pas un roman oulipien, hormis peut-être ce sujet d’un « projet de vie »), est celui d’une figure de femme, aujourd’hui, ni pudibonde ni romantique, plutôt simplement décidée.

Victoire a un projet, qui est un projet de vie, qui est un projet de vie amoureuse : elle connaîtra dans sa vie un amour et un seul, ni plus ni moins. Avec cet amour, elle fera l’amour une fois et une seule.

Rien ne dit que Victoire réussira son projet.


L’ambition de Jacques Jouet (dans la lignée d’Une mauvaise maire, par exemple) est de travailler sur des figures féminines possibles liées au temps présent, ici la question...

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La presse

[…] Venons-en à Jacques Jouet, dont La seule fois de l’amour est l’histoire d’un « projet », celui de Victoire qui signe un contrat avec elle-même : « Dans cette vie, elle n’aurait qu’un amour […] Que Victoire et cet amour ne feraient l’amour qu’une seule fois […] La seule fois de l’amour. » Après Une mauvaise maire, l’écrivain poursuit ainsi son étude des figures féminines dans le monde contemporain. Mais c’est son écriture, à la fois fantasque et rigoureuse, qui séduit. Et si Jouet affirme malicieusement que La seule fois de l’amour n’est pas un récit oulipien, la poésie de ses phrases, le rythme et la construction en perpétuel mouvement laissent penser qu’en ce cas il fait l’oulipien sans le savoir – tel M. Jourdain faisant de la prose malgré lui…


Christine Ferniot, Télérama, 4 janvier 2012



Pour un bonheur différent


Comment Victoire, qui a une vingtaine d’années au début du récit, peut-elle décider, sans en avoir fait l’expérience, de n ’avoir dans sa vie qu ’un seul amour, avec lequel elle ne fera l’amour qu’une seule fois ? La Seule Fois de l’amour, le nouveau roman non oulipien de Jacques Jouet, en donne un aperçu et ce texte court, dense, séduit par son écriture discrètement maîtrisée qui met en scène la construction, les errements et l’aboutissement de ce projet de vie, avec humour et une certaine forme de tendresse, celle d’un des prétendants éconduits dont la voix rapporte le récit.


Benoit Laureau, La Quinzaine Littéraire, 15 janvier 2012




Entre idéal esthétique et défi, il n’y a pas de mystique dans ce projet, ni de morale, être vierge n’est pas une qualité en soi pour Victoire – encore moins de pudeur ou de rejet de son corps. Adepte de la masturbation et du fantasme, elle ne rejette ni le plaisir, ni la séduction et sait profiter de sa chair.

À la débauche de larmes de « ses amies perdues, héroïnes d’un universel féminin malheureux et angoissé », Victoire préfère simplement une vision doublement exclusive de l’amour. Plutôt que de partir en quête de stratagèmes destinés à éviter la souffrance d’être quittée, trompée ou plus banalement reléguée au rang de maîtresse, elle ne donnera son corps qu’une fois, à un seul homme, son seul amour et ce projet serait parfaitement réussi si cette unique union pouvait être féconde.

Boutant la question de l’amour unique dans ces retranchements physiques, Jouet propose un portrait de femme hypersexuée, somme de la plupart des codes féminins, qui ne cesse de se révolter face à une vision contemporaine de la sexualité, qu’elle ne comprend manifestement pas. Confrontée à sa propre jalousie, à la circonspection de son entourage, à leur incompréhension face à son projet et à ses réactions, à son désir omniprésent, Victoire multiplie les contradictions, et use de la fuite comme éternelle porte de sortie. Le principal écueil de son projet n’est pas tant l’abstinence, beaucoup s’y réfugient, que la réalisation de cet unique acte sexuel. Trouver le partenaire idéal suppose de chercher et d’en tester des différents. « La question épineuse est de s’exécuter sans toucher à rien d’irréversible. »

Jouet met en scène, face à l’unique femme de son récit, une foule d’hommes, de prétendants indifféremment prédateurs ou proies. Victoire brouille les frontières ; souvent agressive, violente et froide, elle encourage des relations abstraites et ambiguës bardées de limites physiques et émotionnelles. Dans un jeu ingénument pervers, ces « couples » exécutent leur rôle public à grand renfort de sous-entendus et de laisser-dire, et échouent invariablement face au désir de l’autre. L’un rejeté pour avoir posé sa main trop tôt sur le bras de Victoire, l’autre inconsciemment aimé, officiellement accepté, jusqu’au point de rupture essentiel où les corps ne peuvent plus supporter de ne pas entrer en contact, tous parce qu’ils ne comprennent tout simplement pas ce qui se joue. La planification et l’attente détruisant tout espoir, restait la surprise : celui avec lequel elle avait décidé dès les premiers instants qu’il ne se passerait rien, ou simplement l’inconnu placé par le hasard. Qu’ils soient amusés, intrigués, fascinés par ce projet révolutionnaire, Jacques Jouet extrait de leurs relations avec Victoire une version tendre et drôle de ces hommes partagés entre l’attirance et le refus d’appliquer à eux-mêmes la stricte discipline qui les lient à leur partenaire.

« Victoire était à l’âge d’être radicale » et si elle cultive à l’évidence un rapport complexe à la masculinité et à la notion de couple, sa quête semble motivée par l’accession à un bonheur différent : « Victoire cherche le corps mieux que frère qui serait aussi âme plus que sœur. » Jouet déjoue ou rejette certains codes des relations amoureuses. La notion de couple est totalement évacuée au profit des périodes qui vont précéder et suivre l’acte en question, et la maternité, totalement mise à l’écart de ces réflexions sur son projet, apparaît quant à elle indispensable. En lieu et place d’un culte de la répétition qui est le ciment du couple moderne, il propose alors une vision paradoxalement romantique de l’amour contenue dans l’unicité de l’acte ajoutée à celle du sentiment. Ensemble, ils prennent une forme de passage vers un état d’apaisement. Parallèlement, il suggère que le couple n’est plus nécessaire à la maternité. La paternité, au même titre que le couple, disparaît en tant que rôle social, et parfois physiquement, au profit d’une relation sincère, parce que brève et destinée à rester unique, déconnectée de la relation filiale. Sur le seul plan de l’amour, une forme de triptyque relationnel apparaît dans une chronologie idéale : sorti du flou de l’enfance, l’amour précéderait l’acte, suivi par le souvenir. Plus de trahison, ni de blessures du temps. Cette équation serait parfaite si les formes émotionnelles et physiques de l’amour étaient réciproquement liées. L’issue de ce projet reste floue et volontairement incertaine, car passé l’accomplissement de l’acte se dresse la véritable difficulté d’un tel projet de vie, son caractère unique qui reste imprimé pour les années restant à vivre. Il est une chose de prévoir l’unicité d’un acte et de travailler à sa perfection, cela en est une autre de conserver son caractère unique et de ne le vivre que d’après son souvenir et l’illusion de sa perfection : « Testis unus, testis nullus ».

Sans le rationnaliser, ni le moraliser, sans en gommer les contradictions, Jouet nous livre un portait sensible et honnête. Libre de contrainte, il se livre à un bel exercice de style et use pour se faire d’une délicate poésie, faite de jeux de mots et de précision pour dépeindre cette petite révolution. Le résultat est réjouissant de légèreté.


Benoit Laureau, La Quinzaine Littéraire, 15 janvier 2012



Jacques Jouet: La Seule Fois de l’amour



Jacques Jouet, membre de l’Oulipo depuis 1983 et maître en situations cocasses.



Une jeune femme est décidée à mener à bien son étonnant projet de vie amoureuse.



Si Jacques Jouet était un véhicule, ce serait un 4 x 4 tout-terrain : poésie, nouvelle, roman,
théâtre, essai… Aucun genre ne lui est étranger. Membre de l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle, fondé par François
Le Lionnais et Raymond Queneau) depuis 1983, Jouet fait partie de la tribu des écrivains chercheurs qui n’aiment rien tant
qu’explorer les formes littéraires, s’assignant comme but suprême la prouesse stylistique.
On les a vus couler leurs fictions dans les moules les plus contraignants. Georges Perec, en s’interdisant d’utiliser la
lettre «e» dans La Disparition, roman d’environ 300 pages, a relevé un défi qui semble indépassable.
Lassé peut-être des exercices essentiellement techniques qu’ont été certains de ses ouvrages, Jacques Jouet revient au
roman plus traditionnel dans la forme. Mais il lui est impossible, semble-t-il, de renoncer à la contrainte.



L’amour et ses avatars



Dans La Seule Fois de l’amour, ce n’est pas l’expertise technique qui va donner sa valeur au
livre mais un postulat énoncé à la manière d’un problème de maths, en quatrième de couverture  : «  Victoire a un projet, qui
est un projet de vie, qui est un projet de vie amoureuse  : elle connaîtra dans sa vie un amour et un seul, ni plus ni moins.
Avec cet amour, elle fera l’amour une fois et une seule.  » Si l’on accepte l’absurdité du postulat, force est de constater
que l’écrivain relève la gageure, entraînant son lecteur dans les pas d’une jeune femme déterminée à en finir avec ce
qu’elle appelle l’addiction des addictions, celle à l’amour, et ses avatars: sexe, Saint-Valentin, cadeaux, donjuanisme…


Ce récit d’un voyage au bout d’un amour réduit à une seule et unique fois fait prendre un coup de vieux au roman d’analyse,
à cette littérature amoureuse délivrant ses dernières découvertes sur le désir, la jalousie, l’adultère, le libertinage,
les regrets, la rupture… Chaque page réserve son lot de scènes cocasses, de situations échappant à toute psychologie
attendue. Ce n’est pas le moindre charme de ce roman subtilement détraqué.



Dominique Guiou, Le Figaro Littéraire , 5 avril 2012

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Jacques Jouet, La seule fois de l’amour, Jacques Jouet - La seule fois de l'amour - janvier 2012