— Paul Otchakovsky-Laurens

Supplément à la vie de Barbara Loden

Prix du Livre Inter 2012

Nathalie Léger

Plusieurs destins s’entrelacent dans ce nouveau récit de Nathalie Léger. Ils se nouent autour d’un film, Wanda, réalisé en 1970 par Barbara Loden, un film admiré par Marguerite Duras, une œuvre majeure du cinéma d’avant-garde américain. Il s’agit du seul film de Barbara Loden. Elle écrit, réalise et interprète le rôle de Wanda à partir d’un fait divers : l’errance désastreuse  d’une jeune femme embarquée dans un hold up, et qui remercie le juge de sa condamnation. Barbara Loden est Wanda, comme on dit au cinéma. Son souvenir accompagne la narratrice dans une recherche qui interroge tout autant...

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Traductions

Argentine (Cône Sud) : Chai Editora | Espagne : Acantilado, Sexto Piso | Italie : La Nuova Frontiera | Royaume-Uni : Les Fugitives | Pays-Bas : Koppernik | Turquie : Harfa | USA : Dorothy, A Publishing Project

La presse

« Pendant des années, j’avais pensé que la moindre des choses, pour écrire, c’était de tenir son sujet […]. Je ne savais pas que le sujet, c’est justement lui qui vous tient », notait Nathalie Léger, aux premières pages de L’Exposition (éd. P.O.L, 2008), son précédent récit. Un texte fluide et imprévisible, sorte de work in progress rétif à se laisser assigner à un genre littéraire défini (enquête, essai biographique, roman...), hanté par une figure de femme : l’énigmatique comtesse de Castiglione, célèbre courtisane du second Empire, dans le livre une présence obsédante un temps inexpliquée, s’avérant guider peu à peu Nathalie Léger vers une réflexion intimiste et mélancolique sur le temps et la ruine, éclairant un pan de son histoire personnelle et familiale. L’intuition originelle et l’investigation qu’elle induit ne sont pas si différentes, dans ce captivant Supplément à la vie de Barbara Loden, où cette fois c’est le destin de l’actrice et réalisatrice américaine qui cristallise de page en page les arguments d’une méditation profonde et émouvante sur la féminité.


Le nom de Barbara Loden, née en 1932, morte en 1980, est inscrit dans l’histoire du cinéma essentiellement pour deux raisons : actrice, elle fut la seconde épouse d’Elia Kazan, et, en 1970, la réalisatrice d’un unique long métrage, Wanda, dans lequel elle tenait le rôle-titre. Wanda, ou l’histoire d’une femme ballottée par la vie, épouse et mère ayant déserté, héroïne comme malgré elle d’un fait divers, un braquage raté qui lui vaudra quelques années de prison. Wanda, un visage « fermé, triste, obstiné ». Wanda, un mutisme et un mystère : « On ne saura jamais d’où vient la blessure qui condamne Wanda à la désolation, on ne saura jamais quelle ancienne trahison ou quel abandon lointain l’ont plongée dans ce désarroi sans aspérités et sans partage. On ne saura pas non plus de quelle perte, de quelle absence, elle ne peut se consoler, on la prend comme on se prend soi-même, dans l’aveuglement et l’ignorance, et l’impossibilité de mettre un nom sur la tristesse d’exister », écrit Nathalie Léger.


Requise pour écrire une notice informative sur Barbara Loden dans un dictionnaire, Nathalie Léger entend circonscrire son sujet et rationaliser sa méthode, mais les choses ne se passent pas ainsi, simplement. Loden/Wanda envahit tant l’esprit de l’auteur que l’espace vierge de la page. Et le récit de superposer et d’entremêler la vie réelle de l’une, la vie imaginaire de l’autre – réaliser et incarner Wanda, c’était « comme me montrer moi-même comme j’étais », avait expliqué un jour l’actrice-réalisatrice.


Intervenant à la première personne, introduisant dans le récit sa propre mère, aux côtés de la femme réelle ayant servi de modèle à Wanda, multipliant par ailleurs les incises et les références (de Delphine Seyrig à Marguerite Duras ou Sylvia Plath...), Nathalie Léger installe un subtil jeu de miroirs au centre duquel évolue la femme - sous tension, entre ses élans et son rôle social imposé, ses désirs et ses abandons, ses craintes et ses consentements mêlés.


Nathalie Crom, Télérama, 7 janvier 2012



Elle portait le nom d’une héroïne, aurait pu avoir le destin d’une Bonnie Parker ou d’une Angela Davis. Elle eut une vie courte et heurtée, presque mystérieuse, empreinte de malentendus. Ce sont ces points aveugles que tente d’approcher Nathalie Léger dans cet élégant et subtil récit, « supplément » à une biographie que personne n’écrivit jamais.

Barbara Loden, née en 1932 en Caroline du Nord, connut une enfance malheureuse, partit tôt travailler dans un cirque itinérant, arriva à NewYork en 1949, à l’âge de dix-sept ans, pour faire des photos de pin-up « en maillot, chevelure blonde opulente, les jambes repliées sous elle, les yeux fixés sur l’objectif ».

Elle tint des petits rôles à Broadway, dont celui, à la scène, du double fictif de Marilyn Monroe imaginé par Arthur Miller dans After the Fall en 1964. Elle restera célèbre grâce à un homme, son mari, le cinéaste Elia Kazan, qui la décrivait comme « sauvage, originale, insolente et persifleuse » ; et en réalisant un film unique, Wanda, projet personnel inspiré d’un fait-divers dont elle joua le rôle titre, celui d’une femme paumée embarquée dans un braquage foireux après son divorce, et condamnée à vingt ans de prison pour complicité.

Nathalie Léger suit le chemin de Wanda, double féminin de Barbara, se rendant au tribunal où va être rendu le jugement de divorce qui entérinera son statut – mauvaise épouse, mère négligente – et la coupera de sa famille pour la rendre à une solitude à la fois attendue et angoissante.

Nathalie Léger tente de comprendre ce qui l’anime alors, dans cette situation de dépossession que connut sa propre mère, sortant du tribunal de Grasse « alors qu’elle venait de perdre, sous la violence de ce qui lui avait été infligé, toute coïncidence avec elle-même, […] elle avait erré des heures durant à Cap 3000 puis, la nuit tombée, sur le bord de mer jusqu’à
Nice où elle avait vécu enfant, ne pensant rien, n’éprouvant rien, tombant, le temps passant, dans une tristesse mortelle.
 »

C’est peut-être autour de cette échappée et de cette errance de quelques heures que tourne ce livre, autour des secrets inatteignables d’une femme que Nathalie Léger tente d’élucider grâce aux histoires de Barbara et de Wanda, pour elle-même et pour sa mère à qui elle semble faire ce cadeau, une déclaration maladroite : je t’ai comprise, je sais que tu as été, que tu es, toi aussi, une femme.

Dans L’Exposition, à travers la biographie de la comtesse de Castiglione et la figure tutélaire écrasante d’une grand-mère flamboyante qui « posséda la beauté du monde, la domination et le tourment du ciel, sa stupeur, et la folle solitude qui allaient avec », elle s’était intéressée à la question du « devenir femme ».

Aujourd’hui, si le thème de la conquête du féminin est toujours très présent, l’auteur glisse vers celui de « l’être femme », l’illustrant des figures connues de Marilyn Monroe, Sylvia Plath, Virginia Woolf, Emma Bovary ou Delphine Seyrig. Nathalie Léger est la femme qui contemple Barbara contemplant Wanda inspirée du personnage réel d’Alma. Dans cet entrelacs de mélancolies, elle traque un secret dont l’impalpabilité rend son projet fragile, voire bancal.

Celle qui ne devait rédiger qu’une simple notice biographique sur l’actrice semble aspirée par son sujet. « Je voulais simplement recueillir quelques images, je voulais trouver les matériaux qui parlent de l’ incertitude, de la soumission à ce qu’on croit être le désir de l’autre, de l’incapacité à dire non, à se fâcher, à refuser, de l’impossibilité à être désinvolte, du souci de bien faire et de l’hébétude, je voulais conjoindre mon présent et le passé de quelques sentiments vécus par d’autres. » Elle se réfugie alors dans la description du film de Barbara Loden et des maigres sources supplémentaires dont elle dispose.

On pourrait la croire lancée dans une entreprise de pure description, comme le fit son confrère Tanguy Viel dans Cinéma en « suspendant » son narrateur à un film, décrivant sous toutes les coutures Le Limier de Mankiewicz. Cela constitue en effet une partie de son projet : apprendre à décrire, scruter la technique des écrivains, approcher la vérité, la situer, entre fiction et réalité, « entre apparaître et disparaître », fait-elle dire à Godard en exergue.

Le lecteur se fait presque voyeur, entrant avec la caméra dans l’intimité de Wanda dont il devine qu’elle exprime l’intimité de Barbara. L’auteur hésite « entre ne rien savoir et tout savoir », rencontre des connaissances passées de l’actrice, lit le roman autobiographique d’Elia Kazan, L’Arrangement, qu’il portera à l’écran avec Faye Dunaway dans le rôle principal.

Elle se réfugie aussi dans les conseils de ses aînés, comme celui-ci, de Flaubert à Louise Colet en 1853 : « Tout ce qu’on invente est vrai, sois-en sûre. La poésie est une chose aussi précise que la géométrie. L’induction vaut la déduction, et puis, arrivé à un certain point, on ne se trompe plus quant à tout ce qui est de l’âme. »

Avec ce projet un peu fou d’une enquête démesurée qui ne cesse de déborder la commande initiale d’une notice de quelques lignes, Nathalie Léger offre une métaphore ironique de la littérature. Elle réalise peu à peu le piège de cette quête d’exactitude, le comprend plus vivement encore en embrassant le désir de sa mère de retourner dans les villes de son passé. « J’ai tout fait pour que ma mère revoie Ganagobie, retrouve le berceau de sa famille ou retourne au festival d’Aix, oubliant que je ne lui proposais ainsi que la seule réalité tandis que sa rêverie, sa douloureuse rêverie, exigeait seulement de n’être jamais satisfaite. »

À l’image de cette prise de conscience, il y a quelque chose d’inachevé dans ce livre qui le rend peut-être plus beau encore. Une volonté conjointe d’exister et de se perdre, de consentir et de protester ; une abdication qui ressemble un peu à une révérence.


Sabine Audrerie,La Croix, 4 janvier 2012



Nathalie Léger et Barbara Loden : le goût des choses tristes


Enquête : Nathalie Léger part à la recherche de l’actrice et réalisatrice américaine
Barbara Loden, dans un livre sur la mélancolie.


Elle trouvait facile d’être d’avant-garde, mais elle trouvait difficile de raconter une histoire simple. On naît, on vit, on meurt. C’est ça l’histoire simple la plus difficile à raconter au monde. On peut commencer, en ce qui la concerne, par la fin. Barbara Loden est morte en 1980, à 48 ans, d’un cancer généralisé. Elle a craché des petits cailloux et ses derniers mots furent : « Merde, Merde, Merde. » Il n’y a, c’est vrai, rien d’autre à dire. La romancière française Nathalie Léger entreprend de suivre le destin de l’actrice et réalisatrice américaine Barbara Loden. Nathalie Léger tourne les pages des dictionnaires du cinéma, se rend sur place, rencontre des témoins, cherche à avoir accès aux archives. Elle ne cesse d’étreindre du vide.

« Elle est morte à 48 ans en disant : “Merde, merde, merde” ».On n’a pas grand-chose à lire sur Barbara Loden parce que les encyclopédies du 7e art la passent sous silence ; on n’a pas grand-chose à entendre sur Barbara Loden parce que les gens préfèrent parler d’eux. Barbara Loden fut pourtant une actrice et une réalisatrice magnifique. Elle a joué dans La Fièvre dans le sang (1961), de son futur époux Elia Kazan, et réalisé Wanda (1970), considéré par les cinéphiles comme un chef-d’œuvre. Mais Nathalie Léger, son écriture, se heurte à une énigme : sa mélancolie venue d’on ne sait où.

Les vies s’enchâssent les unes dans les autres. La narratrice doit rédiger une notice sur Barbara Loden pour un Dictionnaire du cinéma. Barbara Loden est née en 1932 en Caroline du Nord. Elle débarque à New York à l’âge de 17 ans. Nathalie Léger la décrit : un sourire comme une défense. Barbara Loden pose pour des magazines féminins et suit des cours de théâtre. Une ravissante pin-up. Elia Kazan lui offre un rôle au cinéma dans Le Fleuve sauvage(1960).

« Le metteur en scène Elia Kazan, épousé en 1967, soulignera sa dureté et son agressivité » Elle épousera le réalisateur de Sur les quais en 1967. Barbara Loden tombe un jour de 1960 sur un fait divers. Elle en est bouleversée. Une femme a été entraînée dans une attaque de banque par un homme. Il trouve la mort. Elle comparaît donc seule devant le tribunal. Vingt ans de prison. Elle dit au juge : merci. Est-ce que c’est possible d’aimer si peu la vie ? Barbara Loden réalise à 38 ans, à partir du fait divers, le film intitulé Wanda. Elle interprète le rôle principal. Barbara Loden est Wanda Goronsky. Une errance, un désamour, une mélancolie. Il ne s’agit ni d’un film politique ni d’un film féministe : le mystère d’une tristesse. La réalisatrice célébrée – Wanda reçoit le prix de la critique au Festival de Venise en 1971 – se confiera  : « J’ai traversé la vie comme une autiste, persuadée que je ne valais rien, incapable de savoir qui j’étais, allant de-ci de-là, sans dignité. »

Les vies s’enchâssent les unes dans les autres parce que Supplément à la vie de Barbara Loden n’entremêle pas simplement trois vies de femme : la narratrice, double de l’auteur ; l’actrice et réalisatrice Barbara Loden ; le personnage de Wanda joué par Barbara Loden. Il y a aussi la mère de la narratrice, racontant comment après la séparation d’avec son mari, actée par le tribunal de Grasse, elle a erré durant des heures dans un centre commercial puis sur le bord de la mer jusqu’à Nice sans rien ressentir, et il y a Alma Malone, dont est inspiré le personnage de Wanda Goronsky, abandonnant tout pour tomber dans la soumission la plus totale à un homme.

Des femmes sourdement énigmatiques, des femmes secrètes sans secret, des femmes condamnées à la désolation. Des êtres opaques. La mère de la narratrice l’interroge : pourquoi as-tu le goût des choses tristes ? Nathalie Léger cite Sylvia Plath, Marilyn Monroe, Isabelle Huppert. Elles ont incarné ou compris ou interprété ces morceaux de métal brisés. Barbara Loden créera d’ailleurs en 1964 le rôle de Maggie, dans Après la chute d’Arthur Miller, calqué sur la personnalité de Marilyn Monroe. Elle avait sans doute en tête la phrase de Joseph Mankiewicz sur Marilyn Monroe : « Elle restait seule. Ce n’était pas une solitaire. Elle était tout simplement seule. »
« Barbara Loden, réalisatrice du film culte Wanda, confiera : “J’ai traversé la vie comme une autiste, persuadée que je ne valais rien” » Les hommes saisiront des bribes de Barbara Loden. Le metteur en scène Elia Kazan soulignera, dans son autobiographie, sa dureté et son agressivité. Il décrira sa difficulté à communiquer avec les autres, sauf dans des moments de rage heureuse ou malheureuse ou, alors, elle s’exprime en feu et en flammes dans toute sa vérité. Nathalie Léger a écrit un livre sur l’absence à soi et aux autres, sur les années 1970, sur l’inaccomplissement et l’insatisfaction chevillés au corps, sur l’auto-ironie, sur la littérature.

Sur l’écriture qui cherche et sur l’écriture qu’on cherche. C’est subtil et brutal. C’est à contrecourant de l’époque puisque l’écriture assume sa part d’échec et de peine. Rien d’extraordinaire : une tristesse sans porte-drapeau. Les dernières pages sont superbes. On retrouve la mère de la narratrice errant dans un centre commercial. Elle observe par en dessous la piscine de Cap 3000. On y voit des gens plongeant et remontant sans cesse. Elia Kazan avait confié à Barbara Loden que le plus important dans la vie est de ne pas être silencieux. Il disait : « il faut être entendu ». Barbara Loden a fait entendre son silence.


Marie-Laure Delorme, Le Journal du Dimanche, 29 janvier 2012



Une étoile filante


De la voix la plus impersonnelle, égrainer les faits : " Barbara Loden est née en 1932, six ans après Marilyn Monroe, deux ans avant ma mère, la même année qu’Elizabeth Taylor, Delphine Seyrig et Sylvia Plath. " Puis, toujours sur le même ton : " Elle a trente-huit ans lorsqu’elle réalise et interprète Wanda en 1970. Elle fut la seconde femme d’Elia Kazan. " De Barbara Loden, c’est presque tout ce que l’on peut dire. Il manque quelques films, certains très connus. Ceux dans lesquels elle joue, ceux dans lesquels elle a failli jouer. " Elle est morte à quarante-huit ans (...). Quoi d’autre ? "

Dans ce troisième livre de Nathalie Léger, on hésite, on tâtonne. Quelques lignes plus tôt, elle a cité Georges Perec : " Au début, on ne peut qu’essayer de nommer les choses, une à une, platement, les énumérer, les dénombrer, de la manière la plus banale possible. " Mais aussi Jean-Luc Godard, en exergue, sur la vérité : " C’est entre apparaître et disparaître. " Dire Barbara Loden, c’est ne rien dire. Ce n’est qu’un début. Engagée pour rédiger une simple notice de dictionnaire, la narratrice se laisse happer par un film. Par une autre vie que la sienne. Par d’autres visions, d’autres mots que les siens.
Supplément à la vie de Barbara Lodenprocède par superpositions, joue avec les calques et les gélatines, avec Barbara Loden et le personnage de son film, Wanda. La narratrice se tient un peu en retrait, d’autres femmes avec elle : Marilyn Monroe, Marguerite Duras, Sylvia Plath, sa mère ou encore Alma Malone - femme condamnée à vingt ans de prison en 1960 pour un braquage auquel elle était arrivée en retard, le modèle de Wanda. D’une image fondue à une autre, dans l’entrelacement de ces trajectoires, s’amusant des reflets de la féminité, Nathalie Léger écrit la solitude, la création, le manque. Elle peint avec une palette très large de mélancolies.

Rendez-vous avec soi-même


Car du personnage à l’interprète, de la réalisatrice à la narratrice, rien à voir et beaucoup. Et, avant tout, un désir, un creux qu’il faut combler, ou pas. Une recherche, un voyage, une description, un rendez-vous avec soi-même : tout est prétexte, tout est image. Finalement, Supplément à la vie de Barbara Loden remet en perspective la décision d’écrire, de choisir un mot plutôt qu’un autre - un profil, une silhouette, une anecdote. Dès l’esquisse de son geste, la narratrice se sait prise au piège : la simple notule, la notice, devient un livre avant qu’elle finisse d’écrire la première phrase. Vertige ou ironie ? Probablement un peu des deux.
A quelques pages de la fin, elle croise son double : un homme, pour une fois. Un drôle d’homme et de double, puisqu’il s’agit d’une légende du base-ball américain : Mickey Mantle (1931-1995). Ils évoquent Proust et Melville au Houdini Museum de Scranton, Pennsylvanie. Car cette " belle bête typiquement américaine " n’a pas voulu qu’on l’aide au moment d’écrire ses Mémoires : il s’est mis à lire. Enfant des mines et de l’Amérique du charbon, comme Alma Malone, il a voulu décrire " le trajet d’une balle, l’air, le froissement de l’air ", mais sans jamais y arriver.
Plus heureuse, Nathalie Léger, elle, dit très exactement la traînée lumineuse du météore Barbara Loden : sa façon de rentrer dans l’atmosphère en petite danseuse du Copacabana, son épiphanie sur grand écran, sa disparition à l’horizon des dictionnaires et de l’histoire. Mieux, son texte dit quelque chose de Barbara Loden autant que de sa narratrice. Il dit des femmes en nombre, de doubles en doubles, autant qu’une seule. La plus importante, celle des derniers mots derrière les masques et les visages qui se succèdent : non pas la narratrice, mais sa mère, qui n’exigeait rien, " seulement de n’être jamais satisfaite ". La belle prose simple et fragmentée de Nathalie Léger laisse très finement passer cet inachèvement. Dans la douceur de son montage et dans le rythme parfait de ses brèves séquences. Saisissant.


Le Monde,9 mars 2012, Nils C. Ahl






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Nathalie Léger, Supplément à la vie de Barbara Loden , Prix du Livre Inter 2012 - France Inter - Pascale Clark, ''Comme on nous parle'' 4 juin 2012 -

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