— Paul Otchakovsky-Laurens

Personne ne meurt jamais

Frédéric Boyer

Le personnage principal de ce court roman est probablement un soldat des guerres contemporaines. Tandis qu’il revient chez lui pour l’enterrement de sa mère, il doit affronter d’autres terreurs, révélées peut-être par les horreurs des combats. Terreurs qui nous replongent dans l’enfance, le petit royaume des peurs et de l’angoisse où personne ne meurt jamais.

L’homme qui revient n’est plus le même ou bien est-ce un autre ? Une sorte de traque ou de chasse à l’enfant hante tout le récit et devient la figure même de notre condition. La proie dont nous avons longtemps cru être le chasseur, c’était peut-être nous-mêmes.

Le...

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La presse

Chaman chrétien



Il y a plus de dix ans, il a été le maître d’œuvre de
« La Bible Bayard ». Aujourd’hui, l’écrivain publie trois livres simultanément.
Car, habité par la langue, il écrit, traduit, réinvente sans cesse.



Frédéric Boyer a dû être un formidable professeur. Pour s’en convaincre,
il suffit de l’entendre parler de ce qu’il appelle sa « nouvelle obsession »,
la Chanson de Roland, qu’il est en train de retraduire de l’ancien français.
Cet escogriffe au charme encore adolescent malgré la cinquantaine, cheveux
mi-longs et regard intranquille, affiche une forme de jubilation quand il
explique : « C’est l’histoire d’une pâtée militaire qui nous est racontée
comme une victoire. En ce sens, ce texte est hyper-français ! »
Il dit
aussi que ce « grand poème sur le deuil et la défaite écrit au XIe siècle, quand
débute la première croisade, est un texte sur la fascination, haine et amour
mêlés, pour l’étranger »
.
Enthousiaste, Frédéric Boyer travaille, conjointement à la nouvelle
traduction de la Chanson, à un texte où il fait « revenir Roland
aujourd’hui »
, et à un autre, « plus théorique »,
destiné à expliquer en quoi ce poème « n’est en rien un livre
« d’identité nationale » contre le Sarrasin »
.
Avant de se lancer sur ces trois fronts simultanés, il n’avait relu cette
chanson de geste que dans l’idée d’écrire un poème sur le thème de la bataille...
La démarche est assez typique de cet auteur réputé pour sa prolificité tous
azimuts, dont témoigne aujourd’hui la publication de trois textes fort différents.


S’il a cessé d’enseigner la littérature après quelques années à
l’université puis en prison, Frédéric Boyer a ainsi gardé du
pédagogue la capacité d’enthousiasme et la faculté à rendre proches
les textes les plus lointains ou les plus canoniques. Très souvent,
cet homme aussi réfléchi que drôle, dans un registre auto dépréciatif,
utilise l’adjectif « chamanique » pour évoquer son rapport à des livres,
des auteurs ou des personnages : « Quand les chamans sioux tuent un grizzli,
ils rappellent ensuite son esprit, un peu dans l’idée de lui demander pardon.
Je fonctionne beaucoup ainsi. »

Sept ans après Abraham Remix (publié chez POL, comme tous ses livres),
qui mettait sens dessus dessous la figure du patriarche, il en donne encore
l’illustration avec la parution de la pièce Phèdre les oiseaux - écrite
pour être mise en scène par Jean-Baptiste Sastre. Il y convoque la figure
de la belle-mère d’Hippolyte et l’imagine aujourd’hui, sans s’encombrer
d’un excès de respect pour l’image de la Phèdre racinienne : « Contrairement
à ce que nous avons inventé par la suite, elle n’a pas grand-chose à voir
avec celles d’Euripide et de Sénèque, c’est un personnage du XVIIe siècle.
Mais c’est justement ce que j’aime dans la littérature de cette période :
c’est une littérature de la redite, du déplacement, de la réinvention. »
Il
voit l’origine de ce courant dans Défense et illustration de la langue
française
, de Joachim Du Bellay (1549), « un texte magnifique »
où se trouvent exposées certaines de ses convictions : « Il faut retraduire
les textes, les pasticher, les triturer, pour que la langue de l’époque
acquière sa force et sa plasticité. Il faut s’approprier les œuvres, et
les recevoir autrement qu’avec une vénération figée : dans un esprit
d’hospitalité, pour les laisser nous transformer. »



Frédéric Boyer s’est mis tardivement à la traduction,
mais il l’a fait avec éclat : en 2008, cet « amoureux du latin »
s’empara des Confessions de saint Augustin pour en faire Les Aveux,
puis s’attaqua deux ans plus tard à Shakespeare, avec Tragédie du roi
Richard II
et Les Sonnets, réputés intraduisibles. Avant cela, il y avait
eu le coup de tonnerre de « La Bible Bayard », cette traduction du
texte sacré par des écrivains contemporains (Jean Echenoz, Olivier Cadiot,
Marie Ndiaye, François Bon...) aidés d’exégètes. C’est lui qui l’initia, et
elle le fit connaître du grand public, même s’il avait déjà beaucoup publié,
et obtenu le prix du livre Inter pour Des choses idiotes et douces, en 1993.
Il y avait dans cette entreprise gigantesque, qui le mobilisa pendant
six ans, « quelque chose qui s’apparentait à un truc de gosses,
l’envie de réunir plein d’amis pour participer à un projet passionnant,
qu’on ne refera jamais - tout ce dont je rêvais, petit garçon »
. Mais
le choix de se colleter avec la Bible, qui fut violemment critiqué
lors de la parution (au point que Boyer eut besoin de s’en expliquer
l’année suivante dans le bravache La Bible, notre exil), n’était évidemment
pas anodin pour cet écrivain chrétien. Il ne cesse de s’interroger sur
le sens de ce dernier adjectif, même s’il s’agace qu’on l’y renvoie
toujours - « En même temps, c’est ma faute, je finis toujours par ramener
le thème, bêtement »
, concède-t-il en riant.


Il vient de faire paraître Sexy Lamb (sous-titre : De la séduction,
de la révolution et des transformations chrétiennes
), recueil
de textes écrits au cours des dix dernières années où cet homme
à la douceur inquiète questionne son rapport au christianisme :
« J’ai toujours eu, dit-il, du mal à m’expliquer là-dessus. »
Aussi allergique au discours doctrinaire en ce domaine qu’en matière
de langue et de traduction, il imagine dans Sexy Lamb des manières
différentes, décalées, d’évoquer le religieux, comme lorsqu’il compare
le surgissement du christianisme à celui du rock’n’roll. Surtout, il y
développe sa vision de la chrétienté comme « immense texte »,
« investissement narratif permanent ».
Incapable de se dire ou non « croyant », Frédéric Boyer affirme
sans aucun doute que son rapport au christianisme « n’est passé
que par les textes »
. Grandi au coeur d’une famille « provinciale »,
dans une « familiarité un peu écœurante avec le catholicisme »,
il raconte qu’il a éprouvé un choc en lisant Crime et Châtiment à
17 ans : « Chez Dostoïevski, le récit est un montage moral surpuissant. »
Après être entré à Normale-Sup et avoir obtenu l’agrégation de lettres,
après être devenu un proche du « jésuite génial » Paul Beauchamp, auteur
de L’Un et l’Autre Testament (Seuil, 1977 et 1990) qui le poussa à
apprendre l’hébreu pour traduire la Bible, il soutint une thèse intitulée
« Comprendre et Compatir »<. Il y mêle le texte de Dostoïevski, la Bible
et Le Temps retrouvé de Marcel Proust pour affirmer sa vision de la
littérature comme « souffrance avec ».



S’il parle volontiers du travail de traduction et de ses textes
théoriques, Frédéric Boyer est un peu « gêné » quand il s’agit
d’évoquer son oeuvre littéraire. Des romans au lyrisme sec et à
la beauté incantatoire, à l’image de Personne ne meurt jamais,
qui vient aussi de paraître, centré sur un soldat de retour d’une
guerre pour enterrer sa mère. Admirateur de Virginia Woolf et de
Marguerite Duras, l’auteur se moque de son incapacité à écrire
« sans revenir sur les mêmes motifs : l’enfance, la mère qui
n’en finit pas de mourir, le père absent, la culpabilité... »
,
énumère-t-il avec une pointe de lassitude rigolarde. La littérature,
dit-il, « est un clou qu’on enfonce : vous commencez un livre et vous
êtes toujours entraîné vers le même endroit. La traduction me sert
à tenter d’échapper à ces obsessions. Même si le choix d’un texte
n’est pas innocent »
.
Frédéric Boyer publie beaucoup parce qu’il écrit ou traduit sans cesse,
une heure ou deux au moins dans les marges de ses journées, où il
travaille comme directeur du secteur adulte chez Bayard, et de ses nuits,
où il dort peu : « Je ne supporte pas de ne rien faire. C’est sans doute
lié à mon enfance, qui fut terrorisée d’ennui. »
Il écrit comme il lit,
plusieurs choses à la fois et, note-t-il, « des glissements s’opèrent ».
Ainsi, la pièce Phèdre les oiseaux partage-t-elle des références avec
Sexy Lamb, et son écriture « théâtrale » a-t-elle contaminé le roman
Personne ne meurt jamais. Les différentes faces de son travail dialoguent
et se nourrissent les unes les autres. De ces collisions peuvent naître,
ensuite, d’autres oeuvres. Telle est en tout cas la conviction de ce
« chaman chrétien », adepte d’une littérature en constante réinvention,
partisan d’une transmission par la contestation.



Raphaëlle Leyris,Le Monde,27 avril 2012

















Agenda

Samedi 8 juin
Frédéric Boyer, Suzanne Doppelt et Christian Prigent à l'auditorium du Pavillon carré de Baudouin

Auditorium du Pavillon carré de Baudouin
121, rue de Menilmontant 
Paris 75020

 

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Et aussi

Vendredi 13 novembre 2015, mémorial par Frédéric Boyer

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Frédéric Boyer dans La Croix

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