— Paul Otchakovsky-Laurens

Le Poivre

Prix Françoise Sagan 2013

Olivier Bouillère

Qui, en 1993, se souvient de Lorraine Ageval ? L’ancienne vedette du cinéma et de la chanson, révélée par le succès du film La Reine Visage en 1965, revient passer l’été chez deux amies d’enfance après le naufrage d’un long mariage avec un homme d’affaires suisse qui l’a éloignée du public. Oubliée, ignorée par un milieu dont elle s’est détournée, elle doit retrouver où elle l’avait laissée, avec des forces diminuées, une existence dont il ne reste pas grand-chose et que ce long intermède a dénaturée.



Quelques lueurs lui parviennent quand même. Benoît...

Voir tout le résumé du livre ↓

Consulter les premières pages de l'ouvrage Le Poivre

Feuilleter ce livre en ligne

 

La presse

Pavane pour une infante défaite


Qui se souvient de Lorraine Ageval ? Ce visage échappé des temps heureux des années 1960 dans S comme espionne, La Comtesse en moonboots, Grand large ou La Reine Visage. C’était elle, pourtant. Les refrains pleins de promesses de 45 tours que l’on ne se résout pas à jeter, elle encore. Aux dernières lueurs du siècle finissant, cette star un peu camp et parfois trop sublime n’y est plus pour personne. On dit qu’elle vit la nuit dans son grand appartement parisien de l’avenue Georges-Mandel ou dans la villa du Pyla de ses amies d’enfance. Le reste du temps, elle meurt et y met toute l’application dont elle est encore capable. Deux garçons, du genre qui aiment trop les femmes pour ne pas préférer les garçons, vont s’attacher à lui redonner vie…


Curieuse, sale et belle histoire.


Celle du Poivre, le deuxième roman d’Olivier Bouillère. Ce jeune homme, qui a retenu d’André Breton que la beauté serait convulsive ou ne serait pas, navigue à vue et en solitaire entre fantasmes et fantômes, jouissance et chagrin, le bonheur et son souvenir.

C’est élégiaque et triste comme la défaite des corps.

C’est très beau.


Olivier Mony, Le Figaro magazine, 24/25 août 2012



Roman épicé


L’héroïne a eu une petite carrière artistique, interrompue par un mariage. Mais, à 53 ans, il est temps de retrouver un nouvel espoir.


Il y a d’abord eu le choc causé par la lecture de Rétro (P.O.L, 2008). Un premier roman à nul autre pareil, tour à tour sulfureux, séduisant et dérangeant. Licencié en philosophie, architecte, Olivier Bouillère y mélangeait les genres et les influences avec une rare virtuosité.
Le Poivre, son deuxième livre, est plus réussi encore. En 1993, Lorraine Ageval a 53 ans. Elle est toujours belle et mince, dotée d’une chevelure abondante. L’héroïne de Bouillère a été jeune, célèbre et heureuse. Lorraine a derrière elle quinze ans de carrière et quinze ans de mariage avec Renaud Devilers, un nébuleux homme d’affaires dont elle est séparée.

On en apprend peu à peu plus sur la personnalité de celle qui a grandi rue Mignard avec une mère surveillante dans une institution chic. Une mère qui vit désormais à Cannes et qu’elle vouvoie toujours. Lorraine a d’abord été chanteuse, son premier disque s’intitulait L’Or et l’Argent. Puis elle est aussi devenue actrice en 1962 avec Grand Large. Avant de triompher dans La Reine Visage, S comme espionne, ou La Comtesse en moon-boots. Au début du roman, Lorraine passe quelques jours de vacances chez de vieilles amies pour tenter d’éloigner sa mélancolie. Les soeurs Brissay, Hélène et Douce, l’accueillent dans leur maison de famille face au Cap-Ferret, maison dont elles sont désormais obligées de louer une partie.

Lorraine peut se contenter d’un verre de vin blanc pour le dîner. Elle n’a guère de contact avec Grégory, son fils trentenaire qu’au fond elle connaît assez mal. Son voile de tristesse se dissipe lorsque Benoît Cazot, un cinéaste exigeant qui compte à son actif un film miroir tourné en inversé, la sollicite. Débarque également Iohan. Un maigre jeune homme roux de 17 ans aux yeux verts. Elle l’avait croisé à Paris, le visage en sang, après avoir été frappé par un garçon qui ne voulait pas de lui.

Paris, Lorraine y revient avec Benoît et Iohan. Dans l’appartement de l’avenue Georges-Mandel où est accroché un portrait d’elle peint par Mati Klarwein. Et là Le Poivre change de rythme. Mêle des moments harmonieux à des élans sexuels torrides. Ouvre la porte au mystère et au trouble le plus total. L’univers littéraire d’Olivier Bouillère, où l’on entend des échos de Proust et de Visconti, est unique. À la fois poignant, mélancolique, élégant et tordu, son Poivre est sans conteste l’épice et le sel de la rentrée.


Alexandre Fillon, Lire, septembre 2012



Une étoile se meurt



Voici un roman que Roland Barthes aurait aimé, je le parie. Parfaitement descriptif de bout en bout, dénué de toute emphase et de jugement porté – nul narrateur ne vient commenter le récit –, d’une très élégante douceur, il ne cesse pourtant pas d’accrocher le réel, de le faire surgir avec virulence, de faire sourdre dans l’esprit du lecteur séduit réminiscences et sensations qui nous font dire : « C’est ça, c’est exactement ça. » La beauté mélancolique des premières pages tient beaucoup à cette exactitude : « Elle presse du citron et de l’ail dans un bol. Elle ouvre la barquette et trempe les morceaux de poulet. Elle n’a jamais eu aussi peu d’appétit, mais ça lui permet de se consacrer à quelque chose de précis. » Oui, Barthes aurait aimé la tristesse de cette barquette, de ce poulet aussitôt régurgité par la phrase suivante.

La femme d’un certain âge dont il est question est une ancienne vedette de la chanson et du cinéma, Lorraine Ageval. Nous sommes en 1993. Elle vient de se séparer de son mari, homme redoutable, aimé follement. Un jeune réalisateur expérimental lui propose un rôle. Ce Benoît Cazot est l’auteur d’un « film-miroir » (tourné comme s’il était vu dans un miroir, donc à l’envers) qu’il justifie ainsi : « On ne voit rien d’anormal, mais on le détecte. Tout est semblable. Or il y a quelque chose de faux dans le semblable. Il y a quelque chose de faux derrière quoi je cherche ce qui fait l’expérience concrète du réel. » J’ai souvent ressenti au fil des pages ce qu’éprouve Lorraine Ageval devant son film : « Peut-être, de l’inversion des décors, émane une étrangeté du réel qu’on ne peut attribuer à un élément précis. Ce n’est pas violent, c’est même plutôt tendre, mais c’est traversé d’une perturbation à laquelle Lorraine est particulièrement sensible en ce moment. »


Fin d’un corps et fin d’un monde


Faut-il y voir une clé ? Lorraine va tourner ce film et connaître la gloire seconde que vivent les artistes trop identifiés à une époque révolue, dont on annonce le come-back. Dès lors, le roman prend une ampleur réaliste, abonde en vifs dialogues sans rien perdre de sa distance ou de sa précision sensible, fait vivre plusieurs caractères que nous suivons jusque dans leurs ébats, grandes scènes d’amour homosexuel (et pas que). J’ai pensé à Fitzgerald, à Pavese, à Modiano, à Sagan, à Pasolini, à bien des films aussi, car les romanciers qui comptent aujourd’hui sont toujours cinéphiles. Mais le roman dédaigne toute référence, même celle à Sunset Boulevard, qu’il cite, et poursuit sa quête mystérieuse, dont l’indice est peut-être ce titre : Le Poivre.

Dès l’incipit, la mort infuse : « Ici tout est tranquille. On pourrait mourir cet été. » De bout en bout, ce roman regarde la mort en face, à une distance de plus en plus courte (mais peut-être à l’envers, comme le film de Benoît Cazot), jusqu’à faire corps avec elle.

Lorraine Ageval est en fait mourante. Le plus beau du livre tient à sa façon particulière de circonscrire, en phrases admirablement tenues, la fin, fin d’un corps et fin d’un monde, d’avancer « pas à pas jusqu’au dernier », comme aurait dit Louis-René des Forêts, d’installer le lecteur dans un rythme et une atmosphère funèbres sans que jamais aucune ombre excessive ne s’interpose. Tous les personnages en sont étrangement nimbés, Benoît et son ami Iohan, par lesquels nous ne pouvons pas ne pas penser au sida, qui massacre en ces années 1990, Renaud Devilers, le mari hautain et obscur, et Lorraine, étoile dont l’extinction est à la fois escamotée (la mort elle-même a lieu entre deux chapitres) et magnifiquement saisie.
Oui, Roland Barthes aurait beaucoup aimé ce livre.


Denis Podalydès de la Comédie-Française, Le Monde, 13 septembre 2012

Vidéolecture


Olivier Bouillère, Le Poivre, Olivier Bouillère - Le Poivre - juillet 2012

voir toutes les vidéos du livre →

Son

Olivier Bouillère, Le Poivre , Olivier Bouillère avec Alain Veinstein France Culture Du jour au lendemain octobre 2012