— Paul Otchakovsky-Laurens

Crâne chaud

Nathalie Quintane

Crâne chaud parle d’amour, non au sens de « j’aime les vacances » ou« j’aime mon chat », mais au sens plus précis de sentiment sexuel.

C’est une exploration et un récit. Comme dans un récit d’exploration, il y a un guide. C’est un guide populaire : il anime une émission de radio « de grande écoute » sur ce thème, l’amour : Brigitte Lahaie. Dans cette émission, on (« je » aussi bien que « vous ») peut entendre des exemples et des idées pour faire face à ses problèmes personnels, qui sont les problèmes de tout un...

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Suède : Pequod

La presse

Quintane affranchit Lahaie

Crâne chaud est très chaud, parle de sexe, du musée de l’Érotisme à Pigalle et de Brigitte Lahaie, l’égérie X qui devint l’animatrice de radio qu’on sait. Un récit dont Brigitte Lahaie est le catalyseur, même si Quintane «n’ignore pas ce qu’il y a de moralement condamnable à papoter de Brigitte, à la faire passer de modèle politique à persona, mais ça m’ennuie que dans cinquante ans on puisse ne plus savoir qui est ou vraiment fut Brigitte alors que son émission m’aura en quelque sorte fourni un patron possible de construction progressive d’une intelligence commune – au passage me tirant d’affaire.

Cigare

Qu’on se rassure, cependant, comme le note la phrase qui précède celle citée à l’instant, le papotage n’est pas forcément l’équivalent de la cyprine, en littérature (je préfère prévenir)». Si Brigitte tire Nathalie d’affaire, c’est que Crâne chaud, livre aussi sérieux que perché, n’en est pas une mince. Il traite du concept de « sentiment sexuel », de la démocratie, de l’élasticité de l’anus, de Manuel Valls, des Oudmourtes et surtout de ce qu’on va faire des Arabes maintenant qu’ils sont révoltés, parce qu’ils risquent de ne plus nous faire bander (attention, second degré). En effet, demande Quintane, «les Tunisiens révoltés étaient-ils encore baisables ? […] allaient-ils encore attirer mon maire du Sud amateur de garçonnets de bronze ? Sa queue se dresserait-elle à nouveau, et comme si de rien n’était pour un gamin hurlant dix mois plus tôt Ben Ali dégage sur l’avenue Bourguiba? Ça coupe la chique, a-t-il dit dans son cercle, décalottant son cigare ». C’est en lisant Jean Genet, dit-elle, que la narratrice a percuté sur l’érotisme dans notre rapport aux ex-colonisés. S’interrogeant sur l’amour difficultueux que nous leur portons, elle se met à lire les posts laissés sur LeFigaro.fr « à propos des étrangers ». « Le désir si fort d’expulsion » qui y règne lui souffle une hypothèse : «On nous avait volé notre Arabe, on nous l’avait volé et substitué, et ce substitut, bien que semblable, n’était pas pareil – c’est ça qui rendait fou. […] Il habitait dans sa cage à poules en banlieue (avec des Arabes) mais voulait voir Vesoul ; il n’avait pas de travail (lui, l’Arabe paresseux) mais trouvait ça grave». La réponse, heureusement, est dans Brigitte, avec qui la narratrice entretient des dialogues passionnants sur les adolescents et le portrait de Hitler en fond d’écran, l’éjac faciale qui a remplacé le roulage de patin au rayon des premières fois et les hormones de Kant. Brigitte la remet souvent sur le droit chemin de la pensée : «Ça sous-entend que la poussée hormonale produirait quasi automatiquement le portrait de Hitler, comme dans un distributeur : on met une pièce de 2 euros et on obtient un œuf en plastique avec un pendentif dedans.»

Pull

Car la question (à la réponse), c’est le «sentiment sexuel», assez loin, apprend-t-on des organes génésiques. Les sentiments sexuels ne s’adressent pas à quelqu’un mais «à la représentation vestimentaire qu’on en donne» : «Il n’y a guère qu’entre douze et dix-sept ans qu’on a l’honnêteté de le reconnaître et d’assassiner pour un pull ». Voilà. En fait, Crâne chaud, c’est pourquoi, dans le fond, on tue pour un «tee-shirt Fruit of the Loom» qui permet de baiser (sinon, macache bono) et combien il est difficile « de ne pas se prendre pour Dieu ; ce qui est compliqué, c’est de ne pas songer à des massacres de masse ou à des pardons en masse ». En somme, sur l’adolescence du sentiment politique.

Eric Loret, Libération, 18 octobre 2012.



Crâne chaud : Brigitte Lahaie à la rescousse de la littérature

Pour parler de sexe – mais aussi de politique –, Nathalie Quintane se place sous l’égide de l’ex-star du X Brigitte Lahaie. Une fantaisie jouissive et critique.

Elle a illuminé de sa blondeur des films comme Sarabande porno, Langues cochonnes ou La Grande Mouille. Reine du X hexagonal des années 1970, Brigitte Lahaie est aujourd’hui une héroïne de roman. Ou plus exactement une médiatrice narrative et littéraire, rôle qui n’est pas sans rappeler celui qu’elle tient derrière le micro dans son émission de radio Lahaie, l’amour et vous, pour laquelle elle déploie ses talents de conseillère en sexualité. Comme les auditeurs qui ne savent pas comment prendre leur pied ou faire jouir leur partenaire, la narratrice de Crâne chaud, le dernier livre de Nathalie Quintane, a elle aussi besoin de l’aide de Brigitte Lahaie, ou Brigitte» comme elle l’appelle familièrement, pour trouver les mots qui expriment le sexe, écrire ce qu’elle nomme le «sentiment sexuel ». Sur ce plan-là, elle se sent vierge, ne sait pas comment s’y prendre et forcément, elle s’interroge : Une littérature porno serait une littérature qui ferait oublier qu’elle est littérature pour ne garder que le porno (les pénétrations, par exemple). Mais qu’est-ce qu’une suite de descriptions de pénétrations, sinon un livre dans le style de Perec ? » Ou l’Oulipo comme Ouvroir de littérature pornographique… Pour écrire le sentiment sexuel, «la forme aussi doit être sexy » – ; Bataille, par exemple. C’est sexe (il parle de sexe et c’est sexe).» Fidèle à son écriture fragmentée, Nathalie Quintane préfère la volupté des lignes courbes à la linéarité, elle opère un va-et-vient constant entre des sujets a priori sans lien les uns avec les autres et prévient le lecteur dès les premières pages en mettant à nu son dispositif et ses supposées failles ; «Je ne dis pas que l’ensemble soit pépère : on pourra toujours me reprocher les sauts du coq à l’âne, les problèmes de ponctuations, les allusions obscures, les paragraphes trop longs et les chapitres trop courts, etc. » Dans Crâne chaud, on passe ainsi des exploits d’une contorsionniste oudmourte à une réflexion sur La classe ouvrière va au paradis d’Elio Petri ; des mérites comparés de l’anus et du vagin à une digression sur Gertrude Stein, cette «femme assez forte qui habita longtemps rue de Fleurus» ; ou encore de la poussée hormonale de l’adolescence aux promenades d’Emmanuel Kant en faisant un détour par Hitler et des transcriptions fictives des émissions de Brigitte.

La sexualité est-elle démocratique ?

Des éléments disparates qui pourtant s’imbriquent et déplacent le propos, en apparence léger et décalé, vers des zones plus profondes, abolissant la frontière entre le cérébral et le sexuel, entre le «haut» et le «bas». D’ailleurs, dans le livre, un massage de crâne dans un salon de coiffure se transforme en expérience érotique. D’où le titre : Crâne chaud. Preuve que le sexe n’est pas qu’une affaire de cul. De fil en aiguille, le texte se fait carrément politique. Car tout est politique, on le sait bien. Derrière les anecdotes loufoques, Quintane pose des questions de fond : la sexualité est-elle démocratique ? Existe-t-il une inégalité sexuelle ? Les corps à corps épousent-ils la lutte des classes ? «Comment on fait, pour les sentiments sexuels, sans argent ? HEIN ?» Comment on fait sur un matelas mousse, bientôt troué de-ci de-là par la piètre qualité de la mousse» ? Et est-ce que le désir ne serait pas seulement une affaire de T-shirt après tout ? Les faits sont pourtant simples : soit tu as le T-shirt Fruit of the Loom, soit tu ne l’as pas, mais une copie (Fruit of the Boom). Ayant Fruit of the Boom, tu fais plus qu’entrevoir la baise pour toi, n’ayant que Fruit of the Boom, tu l’entrevois pour les autres… » Il y aurait donc des exclus du sentiment sexuel, des dominants et des dominés. Là, le texte dérive vers l’insurrection poétique et ne se place plus sous la tutelle de Brigitte Lahaie, mais sous l’égide de Jean Genet et de son «érotique du rapport entre le Palais et le Bidonville», entre le colonisateur et le colonisé : «Les Tunisiens révoltés étaient-ils encore baisables ?» Déjà, dans Grand ensemble (concernant une ancienne colonie), paru en 2008, Nathalie Quintane abordait les fantômes de la colonisation. Et dans Tomates, sorti en 2010, des considérations potagères lui servaient de prétexte pour évoquer l’affaire de Tarnac. L’air de ne pas y toucher, en avançant de biais, Nathalie Quintane bouscule. Son écriture ironique et frondeuse décontenance. D’autant que, comme l’explique Brigitte à la narratrice, «les paroles sont aussi des actes… elles ont un effet… elles peuvent toucher en plein cœur la personne, bien plus violemment qu’une double pénétration – si vous me permettez la comparaison – parce qu’elles touchent l’être même, ce que l’on est.»

« Ça m’ennuie qu’on puisse un jour ne plus savoir qui est Brigitte Lahaie »

Crâne chaud n’est pas un texte pornographique. Ni érotique. Est-il même sexuel ? « Il n’y a pas de rapport sexuel », provoquait Lacan dans son séminaire de 1972. Façon de pointer que, même quand deux personnes se frôlent, s’enlacent et s’étreignent, elles ne se rencontrent pas. En réalité, chacun est ramené à soi, éloigné de l’autre par la jouissance. D’où la difficile communicabilité de la sexualité, qui est avant tout affaire de subjectivité. D’où le recours à Brigitte : « Je n’ignore pas ce qu’il y a de moralement condamnable à papoter de Brigitte, à la faire passer de modèle politique à persona, mais ça m’ennuie que dans cinquante ans on puisse ne plus savoir qui est ou vraiment fut Brigitte alors que son émission m’aura en quelque sorte fourni un patron possible de construction progressive d’une intelligence commune – au passage me tirant d’affaire. » Alors, merci Brigitte.

Élisabeth Philippe, Les Inrockuptibles, 4 novembre 2012.



De quoi Brigitte Lahaie est-elle le nom ?

Il est 14 heures, l’heure de la sieste crapuleuse sur BibliObs… Avec l’étrange « Crâne chaud » de Nathalie Quintane, la grande prêtresse nationale du sexe fait son entrée dans la littérature expérimentale. Obsédant.

Où qu’on se trouve, un sexe nous regarde. Dans la rue évidemment, avec ces stars du porno dressées sur les affichettes des kiosques à journaux. Sur Internet, avec ces spams salaces qui surgissent au détour du moindre clic et qui nous certifient que quelqu’un, chez nous, est allé marauder sur des sites interdits aux mineurs. Lorsqu’on se déconnecte et qu’on revient à la solitude, notre sexe lui-même nous scrute et nous intrigue. Et puis il y a Brigitte Lahaie, cette vulve nationale, cette supernova érotique dont la simple apparition émoustille la France et lui rappelle qu’un jour, elle, la France, a baisé à bâtons rompus. De Brigitte Lahaie, Nathalie Quintane nous dit qu’« elle fait partie de la famille ». Pas tant parce qu’elle a joué dans Langues cochonnes ou dans La Grande Mouille, films dont on ne se souvient guère. Mais parce que tous les après-midi, depuis des années, à la radio, Lahaie donne de judicieux conseils à des gens déboussolés». Nathalie Quintane ajoute : « aussi déboussolés que j’ai pu l’être ; ils exposent la composition et l’origine de mon déboussolement bien plus précisément que si j’avais, moi, essayé d’en faire un livre».
Voici donc le projet du charmant Crâne chaud, livre étrange que Nathalie Quintane consacre à Brigitte Lahaie : explorer la nature incertaine et problématique du « sentiment sexuel », qu’il ne faut pas confondre avec l’amour ou, même, avec la pratique du sexe. Le sentiment sexuel, c’est plutôt cette omniprésence répétitive d’images organiques, d’interrogations techniques. Brigitte Lahaie, avec sa voix suave qui s’infiltre chez nous même quand on ne l’écoute pas, participe plus qu’une autre au brouhaha libidinal. Elle n’est pas la première. Avant elle, il y a eu Ménie Grégoire. Mais Dame Brigitte s’aventure bien plus loin dans le détail. Et on sait que le diable s’y trouve. Rien d’étonnant à ce que Nathalie Quintane l’utilise comme une sorte de guide. Mais on ne se promène pas dans le sous-bois sexuel comme on va d’un point A à un point B. C’est ce qui rend le livre étrange : il avance comme il avance. Il n’est pas un roman sur Brigitte Lahaie. On pourrait qualifier l’ouvrage d’expérimental ou de poétique. Disons qu’il a la forme de son objet : obsessionnel, fluctuant, instable. Et surtout technique. Car c’est ce que Brigitte Lahaie démontre jour après jour : le sexe est un métier. Le sien. Elle est une technicienne. Elle seule sait par exemple que « la Sécurité sociale accepte de prendre en charge les hypertrophies mammaires à partir du moment où on peut retirer 300 grammes par côtés. » La narratrice évoque les nombreux témoignages d’auditrices avouant leur peine à se faire sodomiser. Elles font état le plus souvent de leur bonne volonté et de leurs efforts. […] À la longue, l’émission dresse le portrait de citoyens qui font des efforts et ne pensent pas avoir raison. » Quintane imagine quelle expertise pourrait apporter Brigitte Lahaie, dans une analyse frappante de l’élasticité de l’anus – « sa fréquence d’usage, la forme, la taille, le nombre d’objet qu’on y a enfoncé, l’âge, la qualité de la peau, la manière dont on l’aura travaillé auparavant » Sommes-nous tous des travailleurs du sexe ? Nathalie Quintane bondit d’un personnage à un autre : l’ouvrier italien de La Classe ouvrière va au paradis (Elio Petri, Palme d’Or, 1972) qui ne retrouve sa cadence de baiseur qu’après un accident qui a entravé sa cadence de salarié ; Zaza l’Oudmourte, contorsionniste et performeuse sexuelle originaire d’URSS dont les photos sont exposées au Musée de l’Érotisme. Quand on parle de sexe, on ne sait jamais bien ce qui risque de surgir. Des questions, comme « Pourquoi les nerfs du cul sont-ils reliés au cerveau et de là produisent des phrases ?»Des fantasmes transgenres et trans-espèces : page 128, au détour d’une promenade à la campagne, la narratrice devient narrateur et enfonce sa queue dans le « pourtour poilu» qui couronne la croupe d’une chèvre. On peut aussi voir apparaître Jean Genet, et découvrir que le sexe hante la politique et que la politique hante le sexe. Nathalie Quintane en vient à se demander si notre rapport tourmenté au monde arabe n’est pas déterminé par une « charge érotique, intense et gelée », une blessure libidinale. La France est-elle déçue de ne plus être désirée ? Les Tunisiens révoltés [sont]-ils encore baisables ?» Sans Ben Ali, « [vont]-ils encore attirer mon maire du Sud amateur de garçonnets de bronze ?» Au bout du compte, ce que le livre parvient à rendre, c’est le caractère insensé et permanent de l’interrogation sexuelle. L’objet « sexe » est tant répété qu’il perd sa signification. Comme les mots que Gertrude Stein sérigraphiait jusqu’à l’absurde. Quintane prend l’exemple du mot « chou-fleur » : Si vous dites trois fois de suite chou-fleur très vite, vous commencez à être frappé, ou perturbé, par cette accumulation de ch, de ou, de fl, etc. si bien qu’il ne reste plus au chou-fleur authentique qu’une mince fenêtre pour ainsi dire se signaler à votre attention. » Pour reprendre, sous forme de question, la formule de Lacan : y a-t-il un rapport sexuel ? Voilà comment Nathalie Quintane règle le problème : il y en a et il n’y en a pas. Sous le patronage itératif de Gertrude Stein, qui a été à la modernité artistique ce que Brigitte Lahaie a été au porno français, elle précise sa pensée : « Il y a que pas de rapport sexuel. Il n’y a pas que pas de rapport sexuel. Il n’y a pas que de sexuel. Que de rapport. Que pas de rapport. » On est loin de Brigitte Lahaie, et pourtant Brigitte Lahaie ne dit pas autre chose.

David Caviglioli, Bibliobs, 16 décembre 2012.

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