— Paul Otchakovsky-Laurens

Liz T.

Autobiographie

Jean-Paul Manganaro

Bien que Flaubert ait tracé dans sa perfection écrite ce que pouvait être Madame Bovary, les seuls visages que nous avons d’elle sont ceux de Valentine Tessier, de Jennifer Jones ou d’Isabelle Huppert. Le projet Liz T. Autobiographie ne pouvait alors commencer à prendre corps qu’à partir d’une décision d’écriture dont le ton est donné dès le début, par une suite d’interrogations.
C’est, du coup, une vie intime et secrète qui est sondée. D’autant plus intime qu’elle est presque entièrement inventée, autant dans ses éléments réalistes et réalisables, que dans ce qui en constitue, à force de la...

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Italie : Il Saggiatore

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Liz T. Autobiographie


Un voyage vampirique au coeur de la psyché d’Elizabeth Taylor. Ou ce qu’elle aurait pu être. Fascinant. Audace, c’est le mot qui vient à l’esprit. Il en faut, pour s’emparer ainsi d’une existence, s’immiscer dans des pensées qui ne sont pas les siennes, s’éterniser au sein d’un corps qu’on n’a jamais habité, au point d’appeler « autobiographie » cette incursion en intimité inconnue. Quand, en plus, la terre conquise est une actrice hollywoodienne aussi complète que Liz Taylor, qu’on a vu courir après Lassie, dévorer Montgomery Clift des yeux, avec cette célèbre double implantation de cils qui la dispensait de mascara, puis défendre l’état d’Israël comme la cause palestinienne, se battre contre le sida, la toxicomanie, le toupet suscite la méfiance : comment trouver une place à l’intérieur d’un être plein comme un oeuf ? En se frayant un chemin par l’écriture. L’auteur qui se permet ce voyage vampirique et fascinant est aussi traducteur, sans doute a-t-il appris à se couler dans le cerveau d’autrui en traduisant des romans de l’italien. Comme son modèle, qui a dû se glisser dans la peau de personnage de cinéma dès l’enfance, sans pour autant renoncer à sa personnalité tempétueuse et engagée, Jean-Paul Manganaro colonise la psyché de Liz Taylor sans pour autant s’effacer derrière elle. C’est que l’écrivain en est vraiment un. Qui cherche une biographie à l’américaine, fourmillante de détails, secouée par les trépidations d’une vie mouvementée, doit passer son chemin.
D’une douceur planante, ce livre est une descente expérimentale dans les abysses d’une personnalité complexe, tapageuse et blessée. Des phrases longues et minutieuses, enveloppantes, obsessionnelles aussi, caressant le souvenir de l’actrice, comme le pinceau d’une archéologue qui ne veut pas abîmer sa découverte. En filigrane apparaissent les tourments d’une enfance gâchée par les rêves de gloire d’une mère abusive, puis par l’alcool, qui posa « un velours différent sur son regard ». En filigrane seulement. Rêverie de cinéphile, divagation assumée, ce livre va plus loin. Il sonde les émanations des images, tente d’analyser la transformation des ondes pendant leur voyage depuis l’écran de cinéma jusqu’au regard du spectateur. Quelles confidences nous font les acteurs qui s’immolent à l’écran ? Comment nos fantasmes s’emparent-ils de leurs carcasses ? Jean-Paul Manganaro cherche des réponses dans les plis d’une combinaison en soie, sur la ligne de crête d’un profil, dans les tâches d’un oeil au bleu indéfinissable. Et donne envie de revoir les films de Liz T., « listée », épluchée, détaillée. Révélée.


Marine Landrot, Télérama, 13 mai 2015



Comment devenir Liz Taylor? Sinon par le pouvoir et la sensualité de l’écriture

Jean-Paul Manganaro décline par la plume son amour de la star aux yeux miraculeux. De sensations adolescentes, de souvenirs, de songes, il tire «Liz T.», une autobiographie de fiction qui se coule dans son sujet.


C’est un livre qui commence par une série de questions: «A-t-elle dit cela? A-t-elle pu dire cela? A-t-elle vraiment pu dire cela? Peut-être pas, peut-être l’a-t-elle simplement pensé, pensé distraitement [...].» Avec prudence, doucement, celui qui tient la plume, Jean-Paul Manganaro en l’occurrence, y répond, en se glissant dans la psyché d’une femme; une femme qui l’a fasciné dès l’enfance, lorsque sa mère, qui s’ennuyait en Sicile - il l’a raconté sur les ondes de France Culture -, emmenait ses enfants au cinéma. Très vite, une actrice en particulier le saisit: Elizabeth Taylor, qu’il distingue entre toutes. Au sortir de l’adolescence, Jean-Paul Manganaro, qui deviendra traducteur de l’italien, professeur de littérature, essayiste et romancier aussi, se dit qu’un jour il lui faudra écrire sur Liz Taylor et sur Fellini. Il y eut Federico Fellini Romance en 2009 (P.O.L), voici maintenant Liz T. Autobiographie. Liz T., bien sûr, c’est l’héroïne, celle qui se niche au creux et au coeur du livre. Mais le mot qui compte pour comprendre la démarche littéraire de Jean-Paul Manganaro, c’est celui d’«autobiographie». Tout ou presque est inventé ou réinventé au fil de l’écriture et pourtant, l’écrivain colle au genre au plus près. C’est sur la peau de Liz. T qu’il navigue, dans sa tête, dans ses sensations. Il ne s’éloigne pas d’elle de plus de quelques mètres, la suit comme un fantôme, comme une ombre s’efforçant de se faire complètement oublier pour lui laisser toute sa place, se coulant sur elle comme ces combinaisons de satin souple ou de soie qu’elle porte dans La Chatte sur un toit brûlant. Aussi ce roman - le mot «roman» figure bel et bien sur la couverture du livre - est-il, en sus d’un portrait rêvé de la star aux yeux violets, une exploration du savoir de soi, de la pensée de soi, de la perception que l’on peut avoir de soi-même, tout au long de sa vie, de l’enfance à l’âge adulte jusqu’au tranquille et scandaleux naufrage de la vieillesse... Pas de dates, peu d’éléments purement biographiques, historiques, qu’un oeil extérieur s’efforcerait de donner pour mieux cerner son sujet, tout est dans l’«auto», de soi à soi, dans les rêves, les fantasmes, les peurs, la volonté, les croyances, les désirs, les élans, les pensées vagabondes...

Histoire d’un corps


La plume de Jean-Paul Manganaro saisit aussi, ici, l’occasion d’explorer le féminin; de se couler dans ce qu’il suppose, imagine, fantasme que le féminin représente pour lui-même. Aussi le texte est-il plein de chaleur, de désirs, de rêveries sur ce corps, splendide, qui serait le sien. Non plus possédé, mais pleinement à soi. L’écriture, répétitive, lancinante, avance en spirale, les images s’enchaînent, reviennent, se développent autour d’un thème, comme si un sillage de mots habillait et déshabillait sans cesse la star. Des images s’imposent, se posent. Les yeux miraculeux, les cheveux brossés sans relâche par une mère amoureuse de sa fille: Le devenir américain de l’enfant née en Angleterre, les miroirs, la caméra, tel ou tel film soudain mis en lumière, comme un bout de pellicule dans l’obscurité d’une salle noire, les amours, les divorces, le veuvage, Cléopâtre, Richard Burton, le sexe, le trouble, l’alcool, les enfants, les diamants jouissifs. Ces motifs entraînent, l’un après l’autre, Jean-Paul Manganaro, qui tourbillonne autour de l’icône. Il l’effleure sans cesse, tente de la percer, l’évoque, suscite son parfum, met en lumière ses côtés pervers aussi, ses caprices, sa rigidité bourgeoise, ce «comme il faut», transmis par la mère, cette image lisse, qu’elle s’efforce de conserver en toutes circonstances. Une science aussi, celle d’être regardée: «Les paupières, tantôt lourdes, tantôt légères, qu’elle a depuis longtemps appris à mouvoir et entrouvrir suivant le rite d’une lenteur venue d’un savoir longuement élaboré [...], au fond des prunelles apparaissait le Nil, jaune doré topaze sur fond bleuté et pâle, ton sur ton suivant l’accord des robes...»


Un pari


On l’aura compris, Liz T. est une déclaration d’amour fou, sensuelle, charnelle, tendre aussi, à l’idole d’une adolescence qu’elle veut attraper tout entière mais de l’intérieur. Mais ce n’est pas que ça, puisqu’on lit aussi dans ce roman un amour de la vie, de son mystère et du féminin dans tous ses états. C’est culotté de s’emparer ainsi d’une vie réelle, en en effaçant ses contours les plus connus, pour se placer tout contre une peau, dans un parfum, dans une palpitation. C’est culotté, mais beau, et troublant, aussi.


Eléonore Sulser, Le Temps, 4 juillet 2015

Vidéolecture


Jean-Paul Manganaro, Liz T., Liz T. autobiographie Jean-Paul Manganaro avril 2015