— Paul Otchakovsky-Laurens

Les Rayons du soleil

Nicolas Bouyssi

Le soleil est quelque chose de compliqué. Comme la Terre, on peut, de manière obsessionnelle, tourner autour.  On peut aussi se faire croire le contraire. Les rayons du soleil sont une façon de rappeler ce qu’est le soleil. Il permet de bronzer, mais il faut s’en méfier. Il donne aussi des maladies et il crame. Le jour où le soleil  disparaîtra, où il éclatera, tout finira, avec lui. Il n’y aura plus de Terre. C’est donc une série de nouvelles sur la mort, et elle est dédiée a Perec, le Perec sombre, celui de Un homme qui dort et de Série noire. Celui qui dit : « qu’est-ce qu’on se marre à...

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La presse

Des nouvelles de Nicolas Bouyssi où les personnages ont une prédilection pour la position couchée

Un homme rendu fou par la jalousie entreprend de transformer l’amant de sa femme en légume. Il est en mesure de le faire. En tant que médecin chef, il pilote en effet dans une clinique une série d’expériences. Il s’agit, sur des volontaires naturellement, « d’évaluer au sol les conséquences de séjours de longue durée à bord d’une station spatiale ». La position allongée du cobaye condamné est très liée, dans l’esprit du narrateur sadique, à l’essence même de l’adultère. Une logique constante, et originale, est à l’œuvre dans l’univers de Nicolas Bouyssi.
On admire les romans de cet auteur né en 1972, on découvre ici ses nouvelles, travaux qui couvrent une quinzaine d’années. Le personnage qui décide de « se replier dans la forêt  », à la fin du premier texte, et tel autre qui ne supporte que les rez-de-chaussée afin d’être plus près de la terre (« Soute ») évoquent En plein vent (2008). Celui qui ne peut pas se regarder dans la glace arbore des verres opaques, cependant il refuse de marcher « à l’aveuglette » (« Un parcours héroïque »). C’est bel et bien en aveugle qu’évoluera le héros de Compression (2009), où une sœur se volatilise, comme la sœur disparaît, mais d’une autre manière, dans la nouvelle intitulée « Deuxième fantôme ». Ce terme de « fantôme » semblant désigner le type de format, comme il est des fantaisies, des chroniques, des monstres ou des ébauches.

La distorsion futuriste de l’espace urbain dans « Quelque chose monte » est à rapprocher de la circulation entre le lieu de travail et le domicile, mise en place pour S’autodétruire et les enfants(2011). Nous sommes en présence d’une dictature soft où un simple déménagement s’apparente à l’exil (le déménagement est un thème récurrent du recueil). Les escapades en aéroplane et en hélicoptère sont strictement réglementées. Interdit par exemple de parler à un inconnu. Au cours d’une sortie au bord de la mer, le narrateur et son amie Zaza sont confrontés justement à ce problème, un vagabond qui vient vers eux, auquel ils ne prêtent aucune attention, car un ami a expliqué que ce genre d’ivrogne n’était pas dangereux. Il finit par s’avancer dans l’eau tout habillé : « Un autre ami m’a parlé du chantage au suicide de ces personnes, pour qu’on leur parle, qu’on les nourrisse ou qu’on les ramène dans notre ville. »
Qu’ils soient en pleine déréliction ou pétrifiés d’indifférence, les personnages de Nicolas Bouyssi conservent un sens moral, un honneur, une dignité. Aussi, tandis que Zaza conserve le sens des réalités (rôle féminin par excellence), le narrateur plonge pour ramener sur le rivage l’homme égaré devenu cadavre entre-temps.

Un dénommé Nn. refuse de mourir, tandis qu’autour de son lit, la famille insiste (« Un vieillard buté »). Un certain Bertelott, couché lui aussi, se relève en vitesse car il y a quelqu’un chez lui, du moins il en est persuadé (« Septième fantôme »). D’un autre côté, sortir dans la rue ouvre à tous les dangers. Sans doute l’angoisse est-elle le sentiment le plus prégnant dans Les Rayons du soleil. Mais on ne se laisse pas aller, on se démène, on tombe avec radicalité. Même dans l’atermoiement on va jusqu’au bout. Nicolas Bouyssi fait de la régression une action, et de la dépression un état d’intelligence aiguë. L’énergie et l’amplitude de ces nouvelles aboutissent à des mécaniques guerrières surprenantes. Quitte à ce que la guerre soit menée contre soi-même. Tout le monde est concerné.

Claire Devarrieux, Libération, 6 juin 2013

Les âmes transies


Qu’il est difficile de vivre vraiment! Dix-huit nouvelles inconfortables de Nicolas Bouyssi

D’un recueil de nouvelles, on est tenté de chercher l’unité, la cohérence, comme si chacune d’elles était la déclinaison d’un seul motif ou la manifestation particulière d’une même énergie créatrice. Nicolas Bouyssi semble d’ailleurs nous y encourager : contrairement à un usage très répandu, aucun de ses dix-huit textes ne donne son titre à l’ensemble ainsi formé. Les Rayons du soleil, ce sont sans doute chacune de ces nouvelles, brefs éclats d’une âme qui se voudrait ardente, mais peine à trouver son aliment.
Les personnages de Nicolas Bouyssi, pour la plupart, expriment difficilement leurs émotions, s’ils en ressentent : ainsi de cet homme qui, en apprenant la mort de sa soeur, n’a « pas réussi à réagir », et a préféré cirer ses chaussures. Ainsi de ce couple qui assiste à la noyade d’un homme et ne fait preuve à son égard que de « froideur » et d’« indifférence ». Ou encore de ce « philosophe » qui, pour comprendre « les raisons pour lesquelles il est resté le plus clair de son temps seul, et incapable d’entretenir une relation épanouissante et durable avec une femme », entreprend de découvrir « les règles logiques de la signification de l’expérience amoureuse », ce qui le conduit évidemment à finir seul, « pris au piège de sa propre logique ».

Les nouvelles des Rayons du soleil sont comme l’envers des romans que l’écrivain a publiés depuis 2007. On rencontrait là des personnages en crise, décidés à se désengager de la société et de ses lois absurdes, de la vie mécanique à laquelle elle conduit. On découvre ici surtout des êtres tellement soumis au réel qu’ils en oublient de vivre, traversant l’existence comme des spectres sans consistance. On ne sait d’ailleurs bien s’ils sont fantomatiques, ou eux-mêmes hantés par les fantômes de leur passé : Nicolas Bouyssi brouille les pistes, jusque dans les titres de ses nouvelles, lesquels font état d’un « Premier fantôme », d’un « Deuxième », d’un « Troisième » et d’un « Septième », laissant au lecteur le soin d’identifier les autres.

Le « vide effraie »

Aux plus courageux, il reste à faire place nette, à se dégager de ce qui encombre leurs vies. Les souvenirs comme les objets, les obsessions comme les angoisses. Changer de « manière d’occuper l’espace » pour modifier sa « manière de penser », fermer « la porte sans prendre les clés » et descendre dans la rue. Mais le « vide effraie autant qu’il fait envie », et peu des personnages de Nicolas Bouyssi surmontent cette appréhension. On pense souvent à Georges Perec en lisant ces nouvelles, et notamment aux textes rassemblés dans le recueil Penser/Classer (Hachette, 1985). On y retrouve une même tentative de maîtriser l’espace pour, sans doute, organiser sa mémoire. Une même démarche d’exploration ludique et méthodique des lieux s’y manifeste, en particulier dans « À la découverte du marché Secrétan », où l’écrivain retrace, de manière à la fois anecdotique et érudite, l’histoire dudit marché, avant de lui préférer l’interprétation que permet le jeu sur son nom, et d’y voir « le lieu d’un temps sacré ».
Malgré son titre chaleureux, Les Rayons du soleil est un recueil plus souvent glaçant que rassérénant. La brièveté des nouvelles confère pourtant au propos une légèreté, qui plonge finalement le lecteur dans un agréable sentiment d’inconfort, et l’embarque dans un mouvement de douce déstabilisation, lui permettant de réfléchir sa vie dans le miroir que lui tend l’écrivain.

Florence Bouchy, Le Monde, 21 juin 2013







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Nicolas Bouyssi, Les Rayons du soleil, Nicolas Bouyssi lit quelques pages de "Numéro" mai 2013

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