— Paul Otchakovsky-Laurens

Madame Himself

Liliane Giraudon

Madame Himself est un livre double où se posent abruptement deux questions. Un amour enfantin pour les amazones et le désir d’écrire une autre Penthésilée peuvent-ils entrainer un cancer du sein ? Les livres soulèvent-ils des fantômes incontrôlables qui mènent une vie autonome et dont le corps des lecteurs deviendrait un habitacle ?


En cinq tableaux précédés d’un éclairage Madame Himself pose (entre théâtre et poème tragicomique) la vieille question de l’assignation des corps et de leur enfermement.

Tout en vérifiant que le goût de la crème fouettée n’est pas éternel,...

Voir tout le résumé du livre ↓

Consulter les premières pages de l'ouvrage Madame Himself

Feuilleter ce livre en ligne

 

La presse

Monter en amazone

Avec « Madame Himself », Liliane Giraudon se confronte au monstre de la maladie en une « épreuve/exorcisme » où se réinventent en elle des corps-fantômes salvateurs… 

Depuis plus de trente ans Liliane Giraudon, indifféremment en prose et en vers, ou en images, affronte avec la joie d’un enfant tapageur les têtes ravagées (selon le titre éponyme de son premier livre paru en 1978) de notre époque, comme celles qui hantent les fresques mentales de notre for-intérieur. Son nouvel ouvrage, Madame Himself, en est presque, après quarante livres publiés, la synthèse en pointe acérée, la agudeza qui déchire le corps pantin du matador, en laquelle Leiris voyait, par analogie, le véritable enjeu de l’écriture. Cette corne, Liliane Giraudon la prend à bras le corps pour en faire le livre d’une passe mortelle, autant que celle de son livre des passages. C’est par le chas de cinq aiguilles (et en cinq tableaux) qu’elle tire de soi et à soi une issue nécessaire à la dépossession de ce corps rongé par deux fois par le crabe du cancer du sein. De « Objection » à « L’usage des intertitres » se déploie le trajet d’une « poésie descriptive, c’est-à-dire locale », sous laquelle, peut-on comprendre, il s’agit de parcourir l’état violent d’un dérèglement vital, d’y faire face et de le fracasser comme on déchirerait une camisole de force : avec d’autres mots, quelque peu énigmatiques, Liliane Giraudon écrit « La mâchoire pourrie de Freud après celle fracassée de Robespierre ». Madame Himself est en cela un livre de rage, au sens michaunien du terme, un livre des combats dont le préambule (« On va trouver des mots pour ça ») expose le retour des spectres et autres fantomatiques existences. Si la maladie est frontalement nommée comme une attaque de la femme libre et sauvage, figure de l’amazone, à laquelle Liliane Giraudon s’identifia très vite dès son enfance. Ce sont les livres où elles apparaîssent (dans l’Iliade notamment) qui, a posteriori, la sauvèrent d’un enfermement tôt vécu. S’il fut d’abord celui des règles de l’institution religieuse où elle grandit (auxquelles elle oppose la horde des amazones imaginaires), c’est bien après qu’elle découvre combien l’assignation du corps à son genre en est un autre, symptôme d’un encore autre grand renfermenent. La question que touche ici Liliane Giraudon est politique ; elle en passe par Michel Foucault, reliant à sa façon l’autorité générique du genre aux modes de contrôle qu’opère une société sur l’individu sexué. Il n’est pas anodin que le titre du livre renvoie au lui-même et que la toute dernière page nomme ce « Féminin versus Masculin./Lui dans elle. » L’évocation des amazones, taiseuses, atypiques et a-topiques, « guerrières, vivant de rapines », « figurantes d’une confusion sauvage », construit dans Madame Himself la ligne de fuite d’une dépossession de soi et de son corps genderifié, autant par le sexe que par le patriarcat, par la maladie autant que par la pharmacie. De ce double tremplin, Liliane Giraudon se jette, dessinant dans ce saut périlleux, le pharmakon (poison et remède) de son himself. De « Pierrette d’Avignon », qu’elle empreinte à Gertrude Stein, aux antérieures et fantomatiques « femmes fortes en sein », « aux seins robustes » et libres, aux noms « Caucase et Asie » scintillant « comme des gousses d’ail » salvatrices, Liliane Giraudon avance ses phrases coupées comme autant de lancés de javelots : elle sait ce qu’elle perd et ce qui la gagne en cette équipée sauvage. N’hésitant pas à nommer que ce « corps n’est plus un allié, il est devenu un obstacle, et c’est à partir de lui que j’avance dans mon vocabulaire, désensablant avec lenteur une variété de scènes et d’actions jusque là inaccessibles ». Des tissus verts entourent son corps sous la lumière blafarde du bloc, des séances l’acidifient, une « virgule persiste. Elle sépare les sujets réel des verbes impersonnels ». Dans cette croche quelque chose de la vie se retourne et monte ; et dans la masse suffoquée où la corne est entrée, une « espèce de poème dénoué flottant » tire ses cartes de hasard et de destin. C’est-à-dire son issue. 

Emmanuel Laugier, Le Matricule de anges, septembre 2013

Vidéolecture


Liliane Giraudon, Madame Himself, Madame Himself Liliane Giraudon mai 2013