— Paul Otchakovsky-Laurens

Le Livre

René Belletto

Ce qui arriva alors… J’ai prononcé les mots de « surprise sans limites » à propos d’autres événements. Dire maintenant que ma surprise fut sans limites donnerait non une pâle idée (ni même blafarde ou livide) de ce que je ressentis, mais n’en donnerait aucune, tant le désastre dont je fus le témoin, et l’acteur…
Je renonce. Je me borne pour l’heure à rapporter les faits sans détour ni commentaire, avec le plus de précision et de vérité possible, dans l’espoir qu’une telle exigence (j’ai déjà exprimé un espoir analogue), si j’ai la force de m’y tenir (mais...

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Traductions

Turquie : Sel Yayincilik

La presse

« Le Livre », de René Belletto

Avec son héros qui se perd entre solitude, obsessions et angoisse existentielle, René Belletto réussit le prodige de se camoufler autant que de se révéler.

Il faut le faire. Appeler son nouveau roman Le Livre avec une majuscule, en plus. Impossible pourtant, de soupçonner René Belletto de pédanterie tapageuse. Qui l’a lu connaît sa peur de la foule, son effroi devant les glaces d’ascenseur, son cantonnement dans un périmètre de sécurité tendu entre trois piliers de quartier : Franprix-Picard-maison avec enceintes acoustiques consolatrices. Mais alors pourquoi ce titre ? Par dérision, par lassitude, par timidité, par politesse par désespoir, peut-être tout cela en même temps. Un peu comme Samuel Beckett appela Film son unique œuvre cinématographique qui s’ouvrait sur un gros plan de l’œil reptilien de Buster Keaton, et se poursuivait sur l’errance de cet homme masqué provoquant la peur des passants, rasant les murs de son appartement par peur de son reflet dans le miroir, et se prenant sans cesse le pouls pour vérifier son statut de vivant.
Le Livre est donc un roman sans nom, un écrit incognito, presque gêné d’être là, humble et désabusé. Il s’ouvre sur un regard dévastateur entraperçu dans une chambre d’hôpital et se poursuit sur l’errance d’un homme esseulé, en deuil de sa sœur pianiste, terré la plupart du temps dans sa maison du XVIIe arrondissement de Paris, multipliant les examens médicaux pour vivre tranquillement le paradoxe qu’il s’est fixé comme règle de survie : avoir la forme nécessaire pour souffrir comme il l’entend.
Quand il a besoin de prendre l’air, l’homme guette les signes que lui renvoient les objets : stylo bille prototype fabriqué en Espagne dans les années 1970, porte-clés en forme de luth, télécommande de télévision sale entre les touches, chevalière en or trouvée aux pattes d’un hérisson, autant de gris-gris omniscients qui émettent leurs ondes hallucinogènes dans son organisme hypocondriaque.
Quand, vraiment, le bouillonnement intérieur se fait trop grand, il se prend pour un personnage des films qu’il visionne en boucle dans son antre parisien. Un héros de Laura, d’Otto Preminger, par exemple. Et il va faire un tour dans sa vieille voiture, une Reborn.
Re-born, en anglais, ça se traduit par « re-né » en français. René vient au monde une nouvelle fois, Belletto reparaît, avec un livre intimiste et haletant, une seconde peau qui réussit le prodige de le camoufler comme de le révéler. Il nous emmène dans sa guimbarde crachotante et fuselée, pour sillonner ses terrains de prédilection, défrichés dans ses premiers romans (Péril en la demeure, L’Enfer), hantés dans le dernier (Hors la loi) le film noir hollywoodien, la musique espagnole, le dédoublement de personnalité, l’inéluctable solitude de l’être humain, le pouvoir d’éveil du rêve, et celui d’endormissement de la réalité.
Attentif au détail, soucieux de véracité, agrippé à la précision la plus pointue, Le Livre s’ancre dans une réalité obsessionnelle : médicaments, analyses sanguines, partitions musicales, aliments ingurgités, tâches domestiques, films visionnés, tout est passé en revue, comme une toile de fond dont on verrait chaque grain. Le Livre est un roman sans nom, mais pas sans adresse. Comme toujours chez René Belletto, les noms de rues parisiennes dessinent un circuit que les fétichistes pourront emprunter après lecture, ils délimitent un parcours topographique où chacun peut se sentir en terrain de connaissance, trouver écho a sa propre géographie intime.
Mais les pèlerinages sur les lieux du roman ne pourront qu’aboutir a des impasses. La réalité n’existe pas dans ce Livre. Aux frontières de la folie, le héros lévite entre ses rêves et ses regrets, ses angoisses et ses souvenirs. Il circule dans le labyrinthe de son imagination, au gré des télescopages et des coïncidences. Au bord du chancellement, comme écrit en état second, traversé d’éclairs de clairvoyance et d’absences léthargiques, le récit empile de fines strates de flash-back, percées d’impitoyables parenthèses d’autodénigrement, ou le héros commente après coup les actes absurdes qu’il a pu commettre.
D’où vient cette sensation de calme absolu au milieu de toutes ces trépidations ? De la sensibilité vive de l’auteur, qui ose l’éperdu. Enfant idéaliste, épris d’amour et de recueillement, son personnage est en révolte contre l’atrophie générale des sentiments. Son arme ? Entrevoir dans l’œil de chacun une possibilité d’aimer. Donner sa chance à l’autre, intérieurement…

Marine Landrot, Télérama, 8 mars 2014

Les mystères de Paris

René Belletto revient sur le devant de la scène avec un roman cotonneux à souhait, « Le Livre », où l’on navigue sans cesse entre rêve et réalité.

Il faut se souvenir des années 1980, lorsqu’un prosateur français publiait chez Hachette/P.O.L d’incroyables polars littéraires à nul autre pareils. Impossible d’oublier le choc causé par Le Revenant (1981, repris en « Folio »), par Sur la terre comme au ciel (1982, un dessin de couverture signé Bilal et une photo de l’auteur arborant des lunettes noires, adapté à l’écran par Michel Deville sous le titre Péril en la demeure, repris en « Folio ») ou encore par L’Enfer (1986, repris en « Folio ») qui lui valut plusieurs récompenses dont le prix Femina. René Belletto n’a ensuite jamais cessé d’alimenter une œuvre riche et exigeante, d’aller toujours là où on ne l’attendait pas. Le revoici au premier plan avec Le Livre. Un opus cotonneux où l’on avance à tâtons, où l’on navigue sans cesse entre rêve et réalité. Michel Aventin, le narrateur, tente de repousser « l’assaut de chimères » tout en étant sujet à des bourdonnements d’oreille, des vertiges, des pertes de connaissance.
Le héros de l’auteur de Hors la loi (P.O.L 2010, repris en « Folio ») porte une chevalière en or trouvée en Bretagne sur une côte déserte, bague qu’il nettoie avec application, comme il le fait pour sa télécommande. Celui qui roule dans une Dodge Reborn bleu clair dont il tire la plus grande satisfaction a écrit des scénarios pour la télévision sous des noms d’emprunt et a même joué, sous son propre nom, dans un « film fantôme », Le Retour, vite disparu des écrans.
Plus douloureuse encore est la disparition quatre mois plus tôt de sa sœur Élisabeth, belle et brune pianiste dont il était très proche. Michel ne se remet pas de son décès dans une clinique du XVe arrondissement où elle résidait. Il a sombré dans le chagrin, la tristesse et l’isolement Séparé de Liliane, il habite seul une maison avec jardin dans le XVIIe arrondissement, rue de la Roue, où il se prépare un « austère manger » après avoir fait ses courses à la boulangerie ou au Shopi des alentours, et revoit des vieux classiques du 7e art réalisés par Michael Curtiz ou Raoul Walsh.
Il est décidé à aller remercier le personnel de la clinique où a été soignée Élisabeth, et notamment Éva Tircée, l’infirmière qui l’a si bien veillée. Michel achète à l’intention de celle-ci un stylo en or blanc et projette de lui offrir. Sur place, la chambre 18 qui fut celle d’Elisabeth accueille désormais un homme dont le regard haineux à son endroit le terrifie. Le patient a été heurté par une automobile, il a une barbe et des cheveux gris, prétend se nommer Cyril Mallier…
Il suffit de quelques pages à René Belletto pour installer un climat flottant, pour distiller le mystère et attacher définitivement aux pas de Michel Aventin. Lequel se demande s’il ne rêve pas sa vie et dort comme il peut dans un grand lit en palissandre où l’assaillent parfois d’affreux cauchemars. L’écrivain, lui, navigue parfaitement entre le thriller, le fantastique à l’ancienne et le romantisme noir. Et promène son lecteur fasciné dans un Paris étrange dont il prend un malin plaisir à redessiner la topologie.

Le livre, on l’a compris, est un Belletto d’exception. Aussi onirique et surprenant que long en bouche.

Alexandre Fillon, Livres Hebdo, 28 février 2014

La possibilité d’une illusion

Si en tant que lecteur, plonger en zone d’inconfort voire d’inquiétude ou de malaise peut vous séduire, Le Livre de René Belletto est pour vous. Voici un roman-enquête, sorte de Mortelle randonnée où l’on ne cesse de s’interroger sur le réel et le fantasmé, le sens de la vie, le non-sens de la mort (pour ne pas dire l’inverse) et la création comme ultime recours possible à tous ces questionnements.

Voilà un auteur, à la fois maître d’œuvre, maître du jeu et des illusions qui a le talent de mettre le lecteur en déroute, sans le décourager, tout en lui délivrant ses propres méditations de romancier sur l’invention de la fiction. « Est-ce ma vie toute entière que je rêvais, était-ce moi qui me dictais le songe que j’aspirais à coucher sur le papier ? »

Michel Aventin, scénariste, n’a plus de métier. Orphelin de père et de mère, il vient de perdre sa sœur adorée et n’a plus de famille. Sa femme l’a quitté, il n’a plus d’amour. Et enfoncé dans une profonde dépression, plus d’amis. Pris d’une envie de « revenir sur les traces de l’avant », quand sa sœur Elisabeth vivait encore, il se retrouve dans la chambre 18 de la clinique où elle est décédée. Face à lui, un homme mourant, qui semble à son regard l’avoir déjà vu et le fixe avec une haine féroce, infinie. De cet individu effrayant qu’il ne connaît pas, il recevra une lettre énigmatique, signe sans aucun doute de prédictions maléfiques. Alors que ce patient disparaît mystérieusement, Michel Aventin va mener une enquête à la recherche d’un livre dont il ignore tout, le titre et le nom de l’auteur. Un livre qui pourrait tuer, le tuer.

Avec ce roman qui empile les mises en abyme, dont celle d’un livre dans « Le livre », René Belletto joue avec habileté des apparitions et disparitions possibles que lui offre la fiction. Il élabore avec le lecteur une sorte de jeu de pistes et de fausses pistes pour se révéler en tant qu’auteur tout en se dissimulant. Quand il trace une géographie précise des lieux et trajets de son héros dans Paris, c’est pour mieux nous perdre, comme dans un labyrinthe truffé d’impasses. Il nous balade ainsi au volant d’une Dodge Reborn bleu clair: Re-born, Re-né, René. Et c’est à coup d’intempestifs flash-back qu’il bouscule les repères temporels de son texte qu’on lit comme on déchiffre une partition de musique contemporaine. Pas toujours avec facilité, mais la musicalité du style de Belleto est toujours là pour vous emporter.

Et si à la dernière note, lorsque l’on referme ce roman, on a le sentiment de ne pas avoir tout saisi de cette mélodie de l’étrange, sombre et intimiste, il vous reste cependant le doux sentiment d’avoir été plongé dans une délicieuse perplexité faite de jolies inventions et de beaucoup d’illusions qui ouvrent les voies de belles méditations.

Brigitte Lannaud Levy, www.onlalu.com, 7 avril 2014

L’étoffe des rêves

Quel sens de l’intrigue, quel labyrinthe fictionnel ! Dans son nouveau roman Le Livre, René Belletto capte notre attention et nous embarque dans un incroyable dédale romanesque (nous sommes faits comme des rats !) Il y a du Joueur de flûte de Hamelin chez cet écrivain et scénariste français, dont nombre de fictions furent adaptées au cinéma (Péril en la demeure). L’intrigue du Livre ? un homme a perdu sa sœur adorée, il se rend dans la clinique ou elle était soignée, croise un malade au regard plein de haine, qui bientôt lui fait parvenir une lettre mystérieuse. Sur cette lettre, un chiffre : la date de la mort de notre héros ? Une autre personne a reçu une pareille lettre : une femme séduisante, dont le héros va se rapprocher… Comment décrire ce glissement progressif vers l’étrangeté que met en œuvre Belletto ? C’est comme s’il tirait doucement le tapis sur lequel reposent nos certitudes. Un chiffre mystérieux, une femme séduisante, la mort annoncée : autant de signes surréalistes qui donnent la sensation d’errer dans une toile de De Chirico. Les phrases sont simples claires et distillent, dans le quotidien le plus banal, le poison du doute. On pense au Tour d’écrou, de Henry James, qui mêle si habilement réalité et inquiétude On tremble, on est happé et, en même temps, on a l’impression de toucher du doigt imperceptiblement, quelques grandes vérités sur la vie, la mort, le désir et l’amour. Taillé dans l’étoffe des rêves Le Livre de Belletto habille magistralement nos âmes.

Patrick Williams, Elle, 4 avril 2014

Bague à part

Dans « Le Livre », René Belletto passe au doigt de son héros une chevalière maléfique et entraîne le lecteur dans un subtil labyrinthe.

René Belletto est un écrivain rare, capable d’arpenter l’espace onirique sous ses formes les plus variées, du policier au thriller, du fantastique à l’ésotérique, voire au poétique. Quelqu’un qui, en toute liberté, mêle les genres et dont certains livres, comme L’enfer ou Le Revenant, ont connu un grand succès dans les années 80. Plus en retrait aujourd’hui, il n’en a pas moins poursuivi, sans faiblir, son œuvre singulière.

Le héros de son dernier livre, Michel Aventin, est un homme brisé par la mort de sa sœur bien-aimée, Élisabeth, une pianiste remarquable dont les 6 partiras de Bach constituaient l’horizon presque unique de sa vie d’artiste. Depuis peu, aussi, il s’est séparé de sa femme, et il n’a pas davantage fait le deuil de leur histoire, c’est un homme à la dérive, sujet aux insomnies et aux hallucinations, qui, en outre, a abandonné son métier de scénariste. livré à lui-même (et à son médecin), il s’est raccroché à sa maison, au 6, rue de la Roue, à Paris, et à quelques objets fétiches, auxquels il porte une attention maniaque : sa voiture (une Dodge Reborn), son porte-clés (« un luth miniature en bois sculpté »), sa chevalière, « trouvée, sur une côte déserte, en Bretagne », et un stylo à bille « en or blanc, 18 carats », qu’il s’apprête à offrir à l’infirmière qui a si bien veillé sur Élisabeth.

S’étant donc rendu à la clinique où est décédée sa sœur, notre héros et narrateur aperçoit dans la chambre qu’elle occupait un étrange patient, dont le regard fixé sur lui, empreint d’« une haine infinie », s’est soudain posé sur sa bague, comme s’il lui intimait « l’ordre de l’ôter et de la lui donner ». Ce Cyril Mallier est un « fou », lui explique alors un médecin. Coïncidence ou pas, Aventin reçoit le lendemain une lettre anonyme, où ne figure, sur une feuille de papier blanc, que le chiffre 6 écrit à la main. Or le 6 septembre est ce jour redoute où doivent lui parvenir les résultats de ses examens médicaux. Pur hasard ? Présage de mort ? Dans son cerveau fatigué, les « idées folles » vont bon train, d’autant qu’il apprend que l’homme au regard haineux a fait poster deux lettres, avant de s’enfuir de la clinique.

S’engage une course-poursuite qui mène Michel Aventin, après un savant jeu de piste, jusqu’à la jeune Évelyne Doublier, destinataire de la seconde lettre anonyme – une déclaration d’amour, avec menace de mort ! Et c’est avec cette belle avocate qu’il tente alors de conjurer le sort que lui a jeté, croit-il, l’inquiétant Mallier. Remettront-ils la main sur ce dernier avant le 6 septembre ? Les résultats des analyses confirmeront-ils sa «prédiction » ? De phénomènes paranormaux en rebondissements, le lecteur ne pourra échapper aux filets que lui a tendus l’auteur.

La construction parfaite de ce livre pourrait faire croire à une performance, comme on le dirait d’un pianiste se jouant des difficultés d’une œuvre (tout le contraire de ce que recherche Élisabeth dans les partitas de Bach). Non, René Belletto n’est pas qu’un virtuose de l’intrigue et du suspense, c’est en artiste qu’il introduit le lecteur dans un univers aux contours de plus en plus flous. Ses personnages, à première vue, sont bien réels et vivants, mais peu à peu la façade se fissure, et de multiples zones d’ombre apparaissent. Idem pour le décor, les rues (fictives, pour certaines) ou les objets familiers (bagues, porte-clés, stylos, etc.) révélant soudain leur face cachée. Sans oublier la succession très réfléchie d’indices et de hasards soumis à la sagacité du lecteur, dont cet énigmatique chiffre  6 qui poursuit le héros.

Capel Igor, Le Canard enchaîné, 9 avril 2014

De la fragilité

Depuis quatre décennies, le romancier lyonnais arpente l’univers disjoint de figures inaptes à trouver la bonne distance par rapport au monde qui les environne. De cela résulte la double impression troublante d’une aveuglante netteté et d’un flou vertigineux. Le dernier de ses textes porte cette pratique d’écriture à une sorte de point extrême dans le sillage d’un narrateur qui pourtant revendique son goût pour la précision. À commencer par celle des heures, dates et noms de rues, cadre d’apparence rassurante pour ce parcours d’un des maîtres du thriller dans le profond d’une âme.
L’action s’enclenche dans une clinique du XVe arrondissement de Paris. Michel Aventin dit le malaise ressenti quand il avait croisé le regard inquiétant d’un patient aperçu dans une chambre. Tout ce qui ensuite va se jouer portera la marque de cette scène primitive. Car l’homme à l’œil menaçant s’était enfui et avait laissé un courrier dans lequel il annonçait au visiteur la date imminente de sa mort. Pour ce solitaire obsessionnel et angoissé, c’en était un peu trop. Quatre mois auparavant il avait enterré sa sœur, à laquelle l’attachait un lien étroit. Un peu plus tôt, la femme qui partageait sa vie depuis huit ans l’avait quitté. Il n’avait plus alors qu’à se « consacrer sans entrave » à son « chagrin » et sa « détresse ». Son existence, « puzzle incohérent », consistait à se tenir le plus souvent enfermé dans sa maison du XVIIe arrondissement, regarder des films en boucle, nettoyer sa télécommande de télévision et surveiller de près sa santé. Un parfait cas d’hypocondrie.
Les ingrédients d’un scénario de film noir sont en place. Jusqu’à la voiture américaine et les jolies femmes. Un dédoublement de personnalité, sans doute déjà existant, se révèle alors chez le narrateur. Entre réalité et imagination, la confusion devient totale. La folie guette. René Belletto évolue dans cette matière glauque sans jamais lâcher un fil narratif entremêlé à souhait. Dépiste sous la bizarrerie les manifestations d’une sensibilité exacerbée. Compose le récit d’une fragilité dans le monde d’aujourd’hui. Et laisse entrevoir une échappée possible. Quand l’infirmière Éva, rencontrée dans la clinique, révèle qu’elle tient chaque jour un journal intime. Et quand le narrateur s’apprête à coucher sur le papier le récit qu’il nous est donné de lire. Une mise en ordre et un sauvetage face à la déraison. Cette écriture qui les rapproche, leur sert de mole et leur ménage peut-être une issue.

Jean-Claude Lebrun, L’Humanité, 10 avril 2014