— Paul Otchakovsky-Laurens

Dans ma prairie

Frédéric Boyer

Dans ma prairie est un long poème incantatoire (un peu sur le modèle de Vaches qui elles aussi aimeraient rejoindre leur prairie…) pour tenter d’évoquer un lieu à la fois intime et universel, imaginaire et terriblement réel. La prairie. Celles des westerns comme celles de l’Odyssée où Ulysse a vu des sirènes, celles de la conquête de l’Ouest mais aussi celles de nos enfances et de nos paysages… C’est aussi un poème sur le désir éperdu de fuite et de refuge. Un voyage impossible auquel le narrateur refuse de renoncer. On y croise les premiers pionniers de la Nouvelle Angleterre, des Indiens et des soldats, des animaux, des herbes et des...

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Traductions

Mexique : Sexto Piso

La presse

Le vent nous portera


On n’a pas peur de la route, message à la grande ourse, etc.


Quelqu’un lit un livre et il n’est plus exactement lui-même. Ou il est plus lui-même que jamais, il se pressent, lisant ce livre, tel qu’il n’avait plus été depuis longtemps, tel qu’il n’imaginait plus trop pouvoir être. II avait un peu oublié qui il était ou avait cru pouvoir être. II lit ce livre avec malgré lui une sorte d’espoir. II aimerait autant que ce livre ne soit pas un livre de plus, il veut que ce livre fasse effet et il Ie lit comme tel, avec ce sérieux de l’enfant qu’il était, qui croyait à la magie un peu, aux sortilèges, à quelque chose comme ça. II lit cela comme parfois une musique le saisit, une simple chanson parfois, qui le soulève, le réveille soudain, soudain le rend à lui-même, à quelque chose de nu en lui, de plus nu, de plus lui-même. II lirait ce livre comme il écouterait une chanson, il aimerait en être bouleversé au point que plus rien ne serait jamais comme avant. Que plus jamais il ne retombe dans ses vieilles ornières, dans l’ennui, l’habitude, la paresse, la lâcheté. Quelqu’un en lisant un livre pense à sa vie, il la trouve encore trop étroite ou plutôt il se prend à rêver une vie plus large. Il lit cela un peu comme une prière, il entend quelque chose comme la voix pure du chant d’un enfant à l’église ou celle, éraillée, d’un vieux chaman fatigué, il entend qu’une voix pourrait faire effet, quelque chose comme ça, comme à ce moment ou dans un chant un élargissement se fait, un élan vous emporte, on ne sait pas où on va mais on y va, on touche le ciel, on se tient sur la pointe des pieds et vraiment on touche un morceau du ciel, c’est ça, c’est aussi doux que ça et bouleversant. Quelqu’un pense à sa vie qui n’est pas sa vie en lisant un livre, c’est peut être juste une phrase à un moment qui sonne plus juste, exulte en lui, une tres simple phrase. Elle est magnifique Ventre d’une hirondelle, lièvre, lièvre d’argent ou bleu, truite dans la rivière, etc. II a lu une sorte de scintillement ou l’effet du vent dans le ciel, nuages éparpillés. Quelqu’un n’est plus personne où il devient tout le monde, certains instants de ce livre le transportent à ce point. Vacillements, intimes exaltations, vertiges familiers, terres inconnues. II lit un peu ce livre comme s’il l’avait toujours lu, il s’y reconnaît étrangement, jusque dans les moindres détails, c’est troublant. II se dit que ce livre lui parle, au sens propre c’est une voix, une intonation, ce n’est que cela, ce que dit cette voix importe moins sans doute que l’effet qu’elle lui fait, apaisement, envoûtement. Caresse. Voix aerienne. Voix plume. Voix de velours. Flocon, il neige. II reconnaît cette voix, cette manière qu’elle a de se poser, voix funambule. II pourrait vouloir lire ce livre a voix basse, il chante à voix infra basse en lisant ce livre, il pose sa voix dans la voix de ce livre, il essaie d’attraper ce livre par la voix. Répète ces phrases après moi, lui dit ce livre et il murmure ces phrases comme les paroles d’un chant qui lui donnerait le courage d’avancer encore, d’y croire encore et d’avancer, il met un pied devant l’autre encore, alors qu’il était si fatigue, il marche dans quel désert, il a si faim et soif et il marche, il va y arriver, c’est étrange comme ce simple chant, si simple chant, alors que tout
allait si mal fait remonter en lui quelque chose comme de la joie encore, un mince bonheur dans son malheur, alors qu’il y a vraiment si peu de raison d’espérer encore. Quelqu’un lit un livre et, c’est idiot, c’est un peu comme un amour qu’il croyait éteint, un sentiment oublié ou juste une sensation : quelque chose se passe, presque rien, maîs à un moment cela devient tellement clair et précis, il comprend tout, tout s’éclaire, il ne saurait pas dire exactement quoi, mais c’est clair, terriblement clair. Quelqu’un, n’importe qui, cela importe peu, quelqu’un est rendu à ce n’importe qui, ce livre est écrit pour tout le monde et pour personne, il sent quelque chose comme ça. C’est comme regarder vers l’horizon parfois, ce n’est pas plus que cela, à ces instants où l’on regarde vers ou le regard se perd, vers où il n’y a rien à voir que cela, qui s’élargit, sur une plaine où la mer, vers ce qui s’ouvre comme ça d’un coup, dans un saisissement brutal et doux, il ne sait pas. Quelqu’un en lisant un livre souhaite mourir ou vivre, il ressent ce mouvement en lui vers quelque chose, il ressent ce mouvement du départ, cette nudité du depart, ce seul mouvement. Peu importe au fond ce qu’il lit, un livre est tous les livres. Légèreté, grâce, instant magique, inexistence, apparition, disparition, cavalcade, je t’aime vraiment beaucoup, etc. II cherche encore ses mots. Est-il cow-boy ou indien, homme ou femme, coyote ou cheval ? Est il lui-même ou un autre, poussière ou néant, il est vivant dans la prairie, c’est tout.


Xavier Person, Le matricule des anges, Juin 2014

Et aussi

Vendredi 13 novembre 2015, mémorial par Frédéric Boyer

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Frédéric Boyer dans La Croix

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Vidéolecture


Frédéric Boyer, Dans ma prairie, Dans ma prairie Frédéric Boyer avril 2014