— Paul Otchakovsky-Laurens

Karpathia

Prix Interallié 2014

Mathias Menegoz

Un château fort au bord d’un lac, entouré de montagnes et de grandes forêts…
C’est ce dont rêve le comte Alexander Korvanyi.
En 1833 ce capitaine hongrois quitte brutalement l’armée impériale pour épouser une jeune autrichienne, Cara von Amprecht. Aussitôt, il part de Vienne avec elle, pour aller vivre aux confins de l’Empire sur les terres de ses ancêtres.
Loin du folklore gothique, la Transylvanie de 1833 est une mosaïque complexe, peuplée de Magyars, de Saxons et de Valaques. D’un village à l’autre, on parle hongrois, allemand ou roumain ; on pratique différentes religions, on est soumis à des juridictions différentes. À...

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Traductions

Allemagne : Frankfurter Verlagsanstalt | Pays-Bas : Meridiaan Uitgevers

La presse

Domaine réservé

Dans les années 1830, un jeune couple s’installe dans un vieux fief de Transylvanie, ravivant des haines, des croyances et des séditions ancestrales. Ensorcelant...


Un château, des forêts, un lac et des montagnes, aux confins de deux empires, le russe et celui des Habsbourg ; sans oublier la Moldavie et la Valachie, deux provinces d’un État en formation : la Roumanie. Nous voici, en 1833-1834, au plus profond de la Transylvanie, embarqués dans un roman historique à suspense. Tout baigne dans la série noire – là où l’eau de rose ruisselle habituellement –, au service d’une reconstitution historique puissante et minutieuse, envoûtante et pensée. Ce texte saisit au col tout lecteur qui s’y aventure.
Venu de Vienne, la capitale de ces limites désolées, un couple de jeunes mariés vibrants et inquiétants prend possession d’un immense domaine : la Korvanya. Ces terres brumeuses appartiennent à la famille de Monsieur depuis des temps immémoriaux, mais ont été laissées aux soins d’un régisseur, à la suite d’une révolte paysanne, en 1784. Des serfs valaques avaient alors massacre la noblesse hongroise, dont un aïeul du maître de retour. Cinquante ans plus tard, tout semble prêt à recommencer. Tout recommencera, à l’occasion d’une chasse à grande échelle organisée, en guise de pendaison de crémaillère, par les nouveaux occupants, qui prennent leurs aises dans leur lugubre forteresse.
Mathias Menegoz restitue les détériorations communautaires qu’entraînent des frontières incertaines, sur fond de poussées nationalistes en Europe. Il mêle un tel phénomène géopolitique aux détresses intimes que suscitent les démarcations à fixer entre deux époux soudain appariés pour la vie. Les réalités objectives répondent aux paysages intérieurs ; les âmes et consciences influent sur les courbes de niveau et les horizons. Une histoire d’amour somme toute banale – deux tourtereaux emménagent – provoque un cataclysme quasi cosmique au centre du Vieux Continent. La tectonique des langues, des coutumes, des antiques croyances et des idéaux modernes occasionne des pages admirables on sent s’ébrouer les Carpates. Les coudoiements virent au désastre entre Saxons, Magyars et Moldo Vasques, ivres de légitimités fantasmagoriques, prompts à exclure autrui, perméables au surnaturel. Plane la menace d’un nettoyage ethnique sur fond de lutte des classes. Alors les convulsions de Roumains altérés d’indépendance télescopent les commotions d’un ménage incapable de trouver ses marques.
« Aimez votre femme et servez votre pays mais n’inversez pas les rôles, sinon je vais sérieusement devenir jalouse des pierres et des arbres », prévient la conjointe du nouveau seigneur de la Korvanya. Pour des nèfles. Le propriétaire se persuade que son lignage bat dans ses tempes et que ses terres lui dictent sa conduite, un peuple encore plus crédule que soumis croît être dirigé par un vampire ; des Tsiganes de passage servent de levier ; alors le barrage cède.
Un tel débordement par la grâce d’une écriture qui trie et tresse, se lit tel un delta sur une carte. Les alluvions de chaque branche parviennent à l’embouchure d’un roman riche du limon de la fiction documentée. Les rapports de force ou les actions collectives affluent dans toute leur profondeur complexe et brutale, au même titre que des individualités campées avec une précision poétique&nsbp;:« Les vieux souvenirs de Vlad étaient comme de vieux vêtements en vivant avec, en les reprenant encore et encore, il les avait rendus confortables. Même les plus mauvais souvenirs étaient ainsi rabotés, lustrés, adoucis. Ce qui avait été torture était devenu une part indissociable de lui-même : la blessure, terrible à l’origine, ne se faisait plus remarquer que comme un vague rhumatisme, une vieille cicatrice »
Karpathia opère d’étranges transfusions : la sève de l’Histoire coule dans les veines des personnages avant d’irriguer les artères du lecteur, comme pour fertiliser une contrée marâtre et nourricière. D’où l’ultime phrase de ce roman oppressant, acéré, sidéral « Quand le vent s’élevait, le froissement des branches dénudées brossées par la neige vive lui disait c’est ainsi que, sur ces montagnes de ruines, de cendres et de morts sont nées les grandes forêts de la Korvanya : elles poussent sur un sol gorgé de sang et de haine par la force de tout ce qui s’y acharne à vivre et à aimer »


Antoine Perraud, La Croix, 21 août 2014

L’ingénu des Carpates

A 46 ans, il raconte, dans un formidable premier roman à paraître, l’enchaînement des violences dans les Balkans du XIXe siècle. Et donne un coup de jeune à un genre oublié: la fresque historique.


Dans les années 1830, aux confins des Balkans, la modernité se fait attendre. L’Empire austro-hongrois gouverne négligemment la Transylvanie, mosaïque de communautés rivales toujours à deux doigts de s’embraser. Un jeune comte débarque de Vienne pour reprendre le fief familial. Sept cents pages plus tard, la poudrière a explosé, laissant un champ de ruines. Pas de doute: « Karpathia » est un roman historique, à la Dumas ou à la Tolstoï, avec pléthore de personnages, cavalcades et grandes scènes de bataille. Dans une rentrée littéraire marquée par l’attirance toujours plus forte du roman actuel pour les grandes personnalités de l’Histoire, « Karpathia » se distingue en s’intéressant au destin d’une terre lointaine et arriérée, dont le nom n’a jamais hanté la mythologie contemporaine. Et pourtant, on en ressort avec l’impression tenace d’un livre hors du commun, qui nous parle de quelque chose d’effroyablement actuel. Mais de quoi exactement ?
Autre mystère, moins anecdotique qu’il y paraît : l’ouvrage est édité par la maison P.O.L, quartier général de l’autofiction chic où tous les auteurs rêvent de se faire publier. Dans un catalogue dominé par Emmanuel Carrère et Marie Darrieussecq, le style Grand Siècle de Menegoz détonne. « Je n’ai aucune attirance pour le roman historique, qui me paraît relever de la littérature de jeunesse, raconte Paul Otchakovsky-Laurens, fondateur et directeur. J’ai donc ouvert le manuscrit avec beaucoup de réticences. Puis, je l’ai lu d’une traite. Etonné, je l’ai soumis à mon entourage, qui a porté le même jugement. En fait, je ne comprends toujours pas vraiment ce qui me plaît tant. » Et en effet, à la lecture, on ne peut s’empêcher de poser intérieurement des questions au nouveau venu sur la scène littéraire: pourquoi un décor aussi improbable pour un premier roman ? D’où vient cette écriture qui réussit à être classique sans jamais singer le classicisme ? Et l’explosion de violence qu’il met en scène, quelle signification lui donne-t-il ? Cela faisait beaucoup d’interrogations qui méritaient éclaircissement de la bouche même du cheval.
Mathias Menegoz est donc un quadragénaire d’allure juvénile, scientifique de formation qui a quitté son laboratoire de neurobiochimie pour écrire. Son éditeur le dit pudique, on le sent surtout animé de solides convictions littéraires qu’il défend avec ardeur. A commencer, tiens donc, par sa détestation de l’autofiction. « Je cherchais un sujet exotique. Le postulat de départ, c’est que je ne voulais pas écrire sur moi. » Anecdote dans l’anecdote: quand P.O.L lui a demande un petit texte de présentation à destination des libraires, il a écrit qu’il voulait « éviter le nombrilisme de la littérature française ». P.O.L a rayé cette partie : pas question de fâcher les stars de la maison.
De son passé de scientifique, Menegoz garde le goût des certitudes: « Les personnages ne doivent pas être des boîtes noires. Je crois qu’il existe une réalité objective que l’on peut décrire. » ll adore les écrivains qui créent des mondes imaginaires, comme Ernst Jùnger dans «  Sur les falaises de marbre » (son livre de chevet), Voltaire, ou encore l’Anglais Terry Pratchett dans ses romans de fantasy. Dans « Karpathia », il invente la haute vallée de la Korvanya ct y observe, en entomologiste, la cohabitation des groupes socio-ethniques: la noblesse hongroise, les Saxons, les paysans magyars, les Valaques (ancêtres des Roumains, qui avaient le statut de serfs) et les Tsiganes. Dans cette Europe d’avant les Etats-nations, personne ne se mélange. « C’est fascinant: chacun vivait dans son village. C’est le communautarisme poussé à l’extrême. »

Un incroyable millefeuille de populations

Le sujet lui a été inspire par sa famille maternelle, elle-même issue des Souabes venus dans le Danube au XVIIIe siècle (encore un autre groupe, à ne pas confondre avec les Saxons, eux aussi germanophones, que les rois de Hongrie avaient fait venu1 au XIVe). Menegoz a passé quatre mois à la bibliothèque de Vienne pour s’immerger dans cet incroyable millefeuille. Mais son récit évite tout folklore. Au sein de chaque communauté, il s’attache d’abord à montrer les comportements individuels. « Un groupe n’est qu’une somme d’individus et chaque individu est responsable de ce qu’il fait. La plongée dans la violence collective est toujours la conséquence d’actes individuels. » Grand lecteur de Karl Popper, penseur antifreudien et antimarxiste, Menegoz ne croit rn au destin transmis par la filiation, ni aux lois économiques qui surplombent les vies. Si le tragique surgit, c’est par une succession de mauvaises décisions ponctuelles, comme dans les jeux de rôle façon « Donjons et Dragons » où il faut jouer au mieux les cartes que l’on a dans les mains. Lire « Karpathia », c’est se demander, à chaque fois qu’un personnage arrête un choix, ce que l’on aurait fait à sa place.
Au fil des confidences, Mathias Menegoz explique qu’il est « libéral, au sens du XIXe siècle », « de droite », « très individualiste ». Par exemple, il pense que la fabrication des chefs-d’oeuvre nécessite une certaine concentration de la richesse et donc un certain élitisme. S’il devait gagner au Loto, il créerait une fondation qui restaure les vieux châteaux. Il peut passer des heures à contempler des cartes anciennes, revendique haut et fort sa nostalgie du monde d’hier... Difficile de ne pas faire le rapprochement avec son personnage principal, le comte Alexander Korvanyi, dont l’obsession de restaurer le rang familial va conduire au désastre général. Le tour de force de « Karpathia » est de mettre en scène cette passion du passé – maladie contemporaine s’il en est - et de nous conduire jusqu’au moment où elle s’inverse en puissance destructrice. Pour montrer ces différents stades, il fallait probablement un écrivain qui en soit lui-même atteint.
Tout cela lui a tout de même pris une quinzaine d’années. « J’ai écrit une première version, je l’ai mise dans un tiroir, je l’ai retravaillée. Je l’ai montrée, on m’a dit de tout reprendre. Puis mon père est tombé malade et je me suis occupé de lui pendant cinq ans. » Son père était réalisateur, sa mère est une productrice réputée (elle a produit « Amour », le dernier Haneke). Avant d’accepter le jeu du portrait, sa crainte a été qu’on ne le présente comme un « fils de ». « Enfant, tout le monde me demandait si je voulais travailler dans le cinéma. Surtout pas! C’est un métier terrifiant, qui nécessite beaucoup de moyens et donc une prise de risque. Je n’aurais pas les nerfs pour ça. Alors que si je veux décrire une ville en feu, je n’ai qu’à trouver les mots. Je me fais mon cinéma perso. »
Le prochain livre de Menegoz sera une uchronie sur la guerre d’Algérie. L’uchronie est un genre qui consiste à imaginer que l’Histoire ait pris un autre cours. Par exemple, que se serait-il passé si De Gaulle avait refusé l’indépendance au FLN? Encore une poudrière, à propos de laquelle la nostalgie est à manier... Comme un bâton de dynamite.


Eric Aeschimann, Le Nouvel Observateur, du 14 au 20 août 2014

Le maître des Carpates

Mathias Menegoz orchestre une fresque magistrale dans les Balkans du XIXe siècle.

C’est un homme plein d’espérance qui enlève sa jeune épouse de Vienne pour l’emmener sur ses terres natales de Transylvanie. Lassé de l’armée, le fringant capitaine
Alexander Korvanyi compte sur Cara, ex-von Amprecht, cavalière émérite et fine gâchette, pour séduire les gens qui peuplent ses terres. Mais en 1833, ces confins de l’Empire austro-hongrois sont un monde à mille lieues des valses et des cafés viennois. Valaques, Magyars et Saxons sont intriqués en de multiples villages qui doivent allégeance au seigneur local. La féodalité toujours en cours gère tant bien que mal les rivalités entre communautés, favorisant les uns pour mieux soumettre les autres. Lorsqu’il parvient enfin au château, le couple tombe de haut : le délabrement de la demeure va de pair avec le laisser - aller qui semble frapper les terres. Il faut agir. Mais Korvanyi n’est pas le prince dans La Belle au bois dormant. Pour réveiller le château, il tempête, dérègle, ordonne, rudoie et, ultime sacrilège, met tout le monde dans le même panier. Lorsque des enlèvements et des crimes surviennent dans les parages, les serfs apeurés le verraient bien en vampire. L’homme moderne qu’il est croit encore pouvoir faire entendre raison, mais la férule est désormais reine et l’engrenage en route vers le chaos.
Étonnant roman que ce pavé écrit par un biochimiste passionné par son sujet. Il fouille ce territoire avec l’oeil d’un entomologiste séduit par chacun des spécimens qu’il décrit, renvoie aux frontières Bram Stoker et son folklore pour dresser le portrait ultradocumenté d’un monde archaïque planté comme une épine dans une Europe progressiste. Il y a du Dumas chez lui, des scènes d’assaut époustouflantes, des fuites éperdues et du panache à revendre. Et malgré ses éléments empruntés au temps jadis, une étonnante résonance avec notre époque.


Françoise Dargent, Le Figaro Littéraire, jeudi 4 septembre 2014


Le sang des Carpates


Mathias Menegoz dessine une fresque trépidante de la Mitteleuropa des années 1830. Un roman très abouti.


La vie de bohème est une expression qu’il faut prendre parfois au pied de la lettre. Après un duel qui lui coûtera une blessure à la jambe, le comte Alexandre Korvanyi, fringuant capitaine de l’armée austro-hongroise, choisit de quitter les oripeaux de Vienne pour s’installer sur les terres familiales, en plein coeur des Carpartes : la Korvanya. Au début des années 1830, le noble débarque en compagnie de sa jeune épouse Charlotte-Amélie, dans cette Transylvanie qui fut, un demi-siècle plus tôt, le théâtre d’une sanglante jacquerie ayant provoqué la mort de ses ancêtres. Les esprits se sont, semble-t-il, apaisés, même si Saxons, Valaques, Magyars et Tziganes y vivent encore sous le joug des règles féodales. Le nouveau maître des lieux réussira-t-il à faire respecter le droit commun et empêcher ces communautés de s’entre-déchirer? Ne deviendrait-il pas malgré lui une sorte de vampire que certain vont inexorablement vouloir traquer ? Pour son premier roman, Mathias Menegoz - ancien biochimiste de 46 ans, admirateur de d’Ernst Jünger et de Karl Popper - ignore toutes les modes littéraires pour offrir une saisissante fresque biographique. Fruit d’une quinzaine d’année d’un travail justement salué par le prix Interallié, Karpathia réussit à retranscrire toute la complexité identitaire du monde germano-balkanique.Malgré d’inévitables longueurs et un style parfois trop prosaïque, cette saga transylvanienne possède un indéniable souffle romanesque et se révèle passionnante en tant que parabole d’une Europe contemporaine en proie au déchirement intercommnurautaire. Hier, c’est peut-être déjà demain.


Baptiste Liger, L’Express, 24 décembre 2014

Et aussi

Mathias Menegoz Prix Interallié 2014

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Karpathia de Mathias Menegoz, Prix Emmanuel Roblès 2015

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Vidéolecture


Mathias Menegoz, Karpathia, Mathias Menegoz présente aux libraires parisiens son premier roman, en librairie le 21 août 2014. Enregistrement réalisé chez éof bis le 17 juin 2014