Un jour du printemps 1963, une Dauphine jaune se gare devant le monument aux morts, sur la grand-place de Tilliers, petite ville de la Beauce. Elle transporte Abraham Farkas, médecin rapatrié d’Algérie, proche de la cinquantaine et son fils Franz, âgé de neuf ans et demi. Abraham n’a qu’une seule préoccupation : son fils. Franz, lui, en a deux : son père et les livres. Leur vie a été brisée un an plus tôt par un « accident » qui a laissé Franz amnésique et dont Abraham ne lui parle jamais. Ils s’installent rue des Crocus, dans la grande maison où Abraham va se remettre à travailler. Ils vont devoir apprendre a vivre avec le...
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Un jour du printemps 1963, une Dauphine jaune se gare devant le monument aux morts, sur la grand-place de Tilliers, petite ville de la Beauce. Elle transporte Abraham Farkas, médecin rapatrié d’Algérie, proche de la cinquantaine et son fils Franz, âgé de neuf ans et demi. Abraham n’a qu’une seule préoccupation : son fils. Franz, lui, en a deux : son père et les livres. Leur vie a été brisée un an plus tôt par un « accident » qui a laissé Franz amnésique et dont Abraham ne lui parle jamais. Ils s’installent rue des Crocus, dans la grande maison où Abraham va se remettre à travailler. Ils vont devoir apprendre a vivre avec le reste du monde et à lui faire face, ensemble et séparément. Pour Abraham, qui n’est pas aussi monolithique que son fils le pense, la situation est simple : soigner est son métier, et il va l’exercer à Tilliers comme il le faisait à Alger. Quant à Franz, il n’est pas aussi fragile que son père le croit. Comment voit-on le monde quand on n’a que son père comme repère ? Comment comprend-on les sous-entendus des uns, les agressions des autres ? Comment fait-on la différence entre le bien et le mal ? Et comment grandit-on quand on a oublié qui on est, et quand la seule personne qui le sait reste muette ? À défaut de pouvoir explorer les recoins de sa mémoire, Franz se met à explorer la grande maison et la petite ville qui constituent désormais leur univers. Il y débusque des mystères et des silences, un terrain d’exercice idéal pour son imagination qui, sous l’influence de ses lectures se débride. À travers deux récits entrecroisés – les souvenirs de Franz et ceux d’un mystérieux narrateur omniscient –, ce roman décrit une relation filiale singulière. C’est aussi une réexploration de la France au début des années soixante à travers les yeux et les oreilles d’un garçon de dix ans qui découvre tout en même temps la cruauté de la vie, les pièges de la mémoire, les secrets enfouis par l’Histoire avec sa grande hache, les surprises de l’amour et les forces qui animent notre imaginaire.
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Lecteur des sixties
Sous la couette, armé de sa lampe de poche, Franz, bientôt dix ans, s’enthousiasme pour les aventures de Sherlock Holmes et pour Le Journal de Tintin, dévore romans d’aventures et illustrés avec la même passion qu’il éprouve en regardant Zorro. Sans doute parce que Martin Winckler, enfant, a dû avoir nombre de points communs avec Franz, on retrouve ces influences dans son plaisir de raconter, d’étirer le suspense et de faire triompher les bons, tout au long d’Abraham et Fils. On y suit Franz et Abraham (médecin et veuf) entre 1963 et 1964, alors que, après avoir quitté l’Algérie, ils se sont installés dans la petite ville de Tilliers-en-Beauce. Emouvant portrait d’une relation entre un père et son fils, tableau à petites et judicieuses touches d’une époque, ce roman est une déclaration d’amour à trois voix (à celles des protagonistes s’ajoute celle de la maison) au plaisir de partager des histoires.
Raphaëlle Leyris, Le Monde des livres, 4 mars 2016
La maison hantée
Au printemps 1963, un mystérieux médecin ouvre un cabinet dans un village. Et Martin Winckler ausculte les fantômes.
Une loi du genre littéraire veut qu’on ne fasse pas de bons livres avec de bons sentiments, alors Martin Winckler fait avec de très bons sentiments de très bons livres. Depuis son exil à Montréal, qu’il a choisie car elle marie le meilleur de New York et d’une ville de province française, l’auteur de La Maladie de Sachs et du Choeur des femmes nous envoie cette fois Abraham et fils, une histoire écrite à l’évidence pour le plaisir d’aller hanter la demeure familiale et patinée par les siècles qui fut la sienne au milieu des blés et des années 1960.
L’histoire commence au printemps 1963. Une Dauphine jaune comme le soleil qui tape ce jour-là vient se garer à l’ombre, juste à côté du monument aux morts, sur la Grand-Place de Tilliers, petite cité de la Beauce. En descend un homme d’une belle carrure à la John Wayne, clope au bec. Bientôt il s’installera ici pour reprendre en ville l’unique cabinet médical, bientôt tout le monde saura que ce médecin a quitté l’Algérie précipitamment à la suite d’un événement dramatique ; mais pour l’heure, c’est un étranger mystérieux dans une voiture jaune, avec son petit garçon de 9 ou 10 ans, qui, à l’arrière, est en train de lire un illustré (c’est comme ça qu’on dit alors pour désigner une bande dessinée). L’homme entre à l’hôtel et réserve une chambre.
Quelque temps plus tard, il rachète l’affaire d’un confrère et avec elle la maison qui lui tenait lieu de demeure et de cabinet de consultation, à l’ombre d’un grand clocher. Dans les étages, il y a de vastes chambres et un grenier, et au jardin, des murs couverts de lierre, une balançoire, des dépendances. Au fond de la penderie du premier étage, une porte cachée livre des secrets qui agitent le village en ravivant ce qui s’est passé sous l’Occupation. Plus que jamais, Martin Winckler excelle dans l’art de rendre captivants les jours qui passent et se ressemblent. La profondeur du dialogue entre père et fils, le souci constant d’Abraham de jeter les bases d’un savoir sur les choses de la vie, initiation sans laquelle l’éducation est un vain mot, sont de toute beauté.
Anne Crignon, L’Obs, 10/16 mars 2016