— Paul Otchakovsky-Laurens

Savannah

Jean Rolin

Savannah est, en quelque sorte, ce que l’on appelle un tombeau, au sens littéraire du terme (Le Robert : « Composition poétique, œuvre musicale en l’honneur de quelqu’un »). C’est le tombeau de Kate Barry, morte en 2013. Elle était une amie très proche de Jean Rolin.
Tous deux avaient fait ensemble un voyage aux États-Unis, sur les traces de Flannery O’Connor à laquelle Kate vouait une véritable passion, plus précisément à Milledgeville, près de Savannah. C’était en 2007. En 2014 Jean Rolin a voulu refaire ce voyage, en réunir les traces, en reconstituer le souvenir et, avec, celui de Kate.
Ainsi, au long de ces...

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La presse

Ensemble, l’écrivain et la photographe aimaient visiter des lieux indécis.


Ensemble, ils étaient allés à la découverte de Savannah, en Géorgie, la ville natale de Flannery O’Connor, dont la lecture les avait tous les deux enthousiasmés. Avant même le décollage de l’avion, Kate Barry avait commencé à filmer tout ce qui se déroulait à ses pieds. En août 2014, Jean Rolin marche dans les pas de Kate. Scrupuleusement, il refait le même périple cherchant les mêmes images parfois jusqu’à l’absurde, comme dans un rituel. De deuil, de douleur, d’amour, de loyauté. Marcher sur le sol qu’elle a foulé. Comme sa compagne avait scruté les lieux à la recherche des signes laissés par Flannery O’Connor, Jean ausculte les traces, épie les bruits, examine les films de manière maniaque à la recherche des petits cailloux qu’aurait abandonnés Kate, petite poucette à la silhouette menue. Et nous, on entend le bruit de ses bottines, son rire souvent, ses toussotements, sa voix qui parle anglais quand elle est submergée par l’émotion. On pose les yeux là où les siens se sont posés, sur des arbres aux barbes de mousse, sur des oiseaux rouges, sur la coursive d’une chambre de Motel.


Kate Barry illumine ce livre de sa présence attachante, bienveillante. Sa bonté, « même s’il s’agit d’un mot à ne prendre qu’avec des pincettes », est tangible, comme le talent qu’elle avait de se lier avec des inconnus. Pourquoi s’est-elle pris d’un tel amour pour Flannery O’Connor, écrivaine catholique, charmeuse de poules et de paons ? Peut-être pour cette phrase qu’elle avait soulignée : « Il faut aimer ce monde tout en luttant pour le supporter. » Ou alors pour les ancêtres irlandais d’O’Connor, elle qui était préoccupée par ses possibles origines irlandaises à travers lesquelles elle recherchait un père qu’elle avait connu très tard. Parfois le hasard s’invite comme un signe du destin : sur une plaque à la mémoire des évêques du diocèse de Savannah, la photographe tombe sur le nom – ou plus exactement le pseudonyme – de son père, John Barry. Kate looking for Flannery, Jean looking for Kate, Kate looking for John Barry... Au gré des ombres et lumières de ce récit, la disparue apparaît dans le reflet d’un rétroviseur, d’une flaque d’eau, d’une vitrine. Savannah est le bouleversant reflet de Kate dans l’oeil de Jean Rolin.


Olivia de Lamberterie, Elle, 30 avril 2015



Jean Rolin sur les traces de l’absente


Tout en retenue, en grâce et en mélancolie, l’écrivain rend un hommage singulier et vagabond à son amie disparue Kate Barry.


C’est un drôle de pèlerinage, empreint à la fois de fantaisie et de pudeur, que nous invite Jean Rolin dans ce court récit qui fait revivre par touches délicates son ex-compagne Kate Barry, décédée en décembre 2013. La photographe de 46 ans était une admiratrice inconditionnelle de l’auteure américaine Flannery O’Connor, au point d’entraîner Jean Rolin en 2007 dans un voyage à Savannah, Géorgie, ville natale de « l’écrivaine catholique atteinte d’une maladie incurable et éleveuse de paons ». Une virée entre motels, arbres à barbes de mousse et de cimetières, avec une incursion à Milledgeville, la propriété aux volatiles. L’originalité de Flannery y faisait écho à celle de Kate, l’acuité et l’intransigeance aussi. Deux figures de grandes petites filles jamais rangées... Et c’est en remettant ses pas dans ceux de 2007, en repartant seul sur le trajet de leur équipée commune, que Rolin se rapproche de l’absente, muni de courts films vidéo qu’elle avait tournés et dont il s’efforce de retrouver le sillage.


Le goût des terrains vagues


Kate Barry filmait les pieds des gens, les flaques d’eau et leurs reflets, les consignes de sécurité dans les avions et les informations culturelles dans les églises. Elle partageait avec Jean Rolin un goût pour les zones portuaires, les terrains vagues et les périphéries. On retrouve donc l’errance mélancolique, l’observation minutieuse, les précisions topographiques et historiques auxquelles l’écrivain nous a habitués dans ses vagabondages littéraires. Mais ici, le ton très neutre des premiers chapitres, les phrases, tenues en laisse, libèrent entre les lignes une émotion particulièren hantée par les souvenirs qui s’envolent petit à petit du texte par volutes légères, comme des bulles de savon : Kate, ses bottines anglaises et ses injonctions secrètes, Kate si frêle et si forte, sa manière de nouer facilement le contact avec ceux qu’elle croisait, qu’ils soient clodos ou chauffeurs de taxis, son attachement à des mots adoptés ou à Mgr Lustiger, sa quête têtue de ses origines irlandaises.


Ombre chinoise


La jeune femme finit par habiter les pages en ombre chinoise. De minuscules détails dessinent un portrait ultrasensible – son oreille irrégulière, « comme si une souris en avait grignoté un petit bout »...Rolin dit son chagrin de manière détournée, relisant la correspondante de Flannery O’Connor dans une « chambre inutilement vaste ». La nuit, au flanc d’une autoroute, il se décrit en piètre piéton de l’Amérique. Rien à voir cependant avec celui qu’on avait fréquenté en 2011 à Los Angeles dans Le Ravissement de Britney Spears. Il y a ici une déchirure, une solitude radicale, un précipité d’humanité absolument poignant. Tel le grand prêtre d’un rituel sacré, Rolin s’obstine à ne pas s’écarter de l’itinéraire premier. Il répète les gestes d’hier. Pour emboîter exactement l’absence. Il traque les indices, une explication au mystère du lien qui a existé et qui n’est plu, à l’énigme de la vie qui a palpité tout près et s’est éloignée.« Il faut aimer le monde tout en luttant pour le supporter », écrivait Flannery. Une phrase soulignée par Kate dans la correspondance de l’auteure américaine, et qui résonnerait comme une épitaphe si le livre n’était tout entier habité par la grâce : pas un tombeau de papier, non, mais une pluie de pétales.


Marie Chaudey, La Vie, mai 2015.



Avec pudeur


En pèlerinage sur les lieux qu’elle avait filmés, l’écrivain esquisse avec pudeur le portrait de Kate Barry, sa compagne disparue en 2013.


Les lieux ne sont que ce qu’ils sont, oublieux des individus qui les ont un jour arpentés - la mémoire, seule, joue le rôle sacré de sauver les morts, de les préserver de l’effacement. Aussi le projet de Jean Rolin s’offre-t-il d’emblée, non comme une quête, mais plutôt comme un rituel de deuil et de fidélité, une sorte de liturgie profane dont le cérémonial tient en quelques mots : « Retrouver tous les lieux, sans considération de leur intérêt ou de leur accessibilité, par lesquels nous étions passés en 2007 et que Kate avait filmés. » Sept ans plus tard, retourner donc à Atlanta, à Macon, en Géorgie, de là plonger plus loin encore dans le sud profond des Etats-Unis, et repasser par les rues moites, les motels, les bars, les cimetières où ils étaient allés ensemble, Kate et lui. La photographe Kate Barry, compagne de l’écrivain, brutalement décédée en 2013, nourrissait alors l’idée de réaliser un film sur Flannery O’Connor (1925-1964), l’auteur de La Sagesse dans le sang, de Mon mal vient de plus loin, née à Savannah et dont la brève existence se déroula non loin, dans la ferme familiale de Milledgeville, « au fin fond de la Géorgie ». C’est armée de l’appareil photo miniature avec lequel elle avait coutume de filmer, « d’une manière un peu compulsive, non pas même tout ce qui se passait autour d’elle, mais plutôt ce qui se déroulait à ses pieds », que Kate était venue ici. Sur ces séquences filmées, qui guident sept ans plus tard les pas de Jean Rolin, apparaissent donc souvent les bottines anglaises de Kate, et parfois leurs deux visages côte à côte, non pas saisis directement mais reflétés « de préférence dans une flaque d’eau, à la surface de laquelle il arrive que se reflètent aussi le couronnement d’un palmier ou le feuillage d’un arbre »


Fugitives, évasives, dessinées à la surface de l’eau ou renvoyées par le miroir imprécis d’une vitrine ou d’une fenêtre, ces visions de Kate, autoportraits allusifs, se répètent dans les pages de Savannah pour composer un portrait diffracté, tremblé, au bord de l’effacement - précaire, presque clandestin, empreint de cette grâce qui était l’une des caractéristiques de la jeune femme. Car « c’est une chose qui m’a toujours frappé, même dans les moments les plus tumultueux de notre vie commune, que Kate, si elle pouvait se rendre odieuse, comme tout le monde, n’était jamais ridicule, ni disgracieuse », note Jean Rolin - entre parenthèses, comme par pudeur, par discrétion. Il raconte aussi sa bienveillance, sa confiance, cette façon qu’elle avait d’aborder des inconnus et de se faire accepter par eux. Il se souvient de son humour et des expressions qu’elle aimait particulièrement. Dans L’Habitude d’être, la correspondance de la si catholique et si peu complaisante Flannery O’Connor, il lit et relit les passages que la main de Kate avait soulignés, comme autant d’indices ou de traces - dont celui-ci : « Les enfants savent, par instinct, que l’enfer c’est l’absence d’amour et l’identifient infailliblement » lui semble, écrit-il, « le plus proche » de qui elle était.


Nathalie Crom, Télérama, 13 mai 2015



Pour Kate


Jean Rolin raconte un voyage aux Etats-Unis avec la photographe Kate Barry, décédée en 2013. Un beau portrait de femme pour se souvenir.


Kate Barry s’est donné la mort le 11 avril 2013. Jean Rolin a été son compagnon pendant des années. Ensemble, ils ont effectué plusieurs voyages, collaboré à divers ouvrages (photographiques) mais c’est d’un séjour aux Etats-Unis réalisé en 2007 que l’auteur a voulu se souvenir. Dans ces pages, il déploie un bref récit, beau et sobre comme seuls peuvent l’être les mots écrits pour un être aimé et disparu. Pourquoi ce voyage parmi tant d’autre ? Parce qu’il cristallise l’obsession de Kate pour Flannery O’Connor, parle d’elle mieux que quiconque. La fille de Jane Birkin et du compositeur John Barry voulait filmer où l’auteur de Les braves gens ne courent pas les rues a vécu. Rolin évoque donc leur périple dans le Sud américain à travers ses images, si bien que Savannah repose moins sur ses souvenirs que sur ceux de son ex-compagne. Un regard posé sur les gens et les choses, sur cette Amérique appauvrie et rurale, alcoolique, obèse et vaguement aliénée...


Savannah dévoile la géographie cabossée de cette région en crise : les usines désaffectées, les motels à l’abandon une ancienne centrale électrique et un vieux Best Western que l’écrivain revient hanter aujourd’hui, sept ans plus tard... Il se souvient d’un cimetière de navires, de terrains vagues qui finissent par traduire une mélancolie, sans que l’auteur ne cite jamais celle qui commande à certians êtres de se supprimer. Rolin nous a habitués à des épopées bizarres (Les événements, Le Ravissement de Britney Spears), mais aucune n’est émouvante comme ce tâtonnement fétichiste parmi les objets ayant appartenu à son amie - une caméra, une paire de bottes anglaises, un livre aux pages écornées qu’on relit inlassablement pour tenter de comprendre. Ou de sauvegarder une sorte d’essence de la personne qui nous manque. Le narrateur cherche Kate partout : dans les rushes d’un film, dans un souvenir, un reflet, et cette quête aboutit à une résurrection, grâce à son dispositif qui mélange différents niveaux de mémoire, et à une sobriété qu’on ne lui connaissait pas - empreinte d’un féminisme également insoupçonné. Tout cela concourt à un étonnant portrait de femme, d’artiste et d’aventurière : une héroïne à la grâce inquiète et insaisissable.


Emily Barnett, Les Inrockuptibles, 6 mai 2015


Agenda

Du vendredi 12 au dimanche 14 avril 2024
Santiago H. Amigorena, Nathalie Azoulai, Leslie Kaplan et Jean Rolin au Festival du Livre de Paris

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Lundi 6 mai à 19h
Jean Rolin à la Maison de la poésie (Paris)

Maison de la poésie

Passage Molière
157, rue Saint-Martin
75003 Paris

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Et aussi

Jean Rolin Prix de la Langue Française

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Jean Rolin prix Joseph Kessel 2021

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