— Paul Otchakovsky-Laurens

P.O.L nid d’espions

Jean-Luc Bayard

Nous sommes tous fils, et dès que nous approchons d’une quelconque page, fût-elle blanche, nous le savons : nous sommes tous des lecteurs.
P.O.L nid d’espions n’aurait dû être qu’un roman de la lecture, qui affirme la responsabilité du lecteur dans la révélation des vérités qui, parfois, échappent à celui qui écrit.
Mais une découverte fortuite, à l’intersection de deux ouvrages, permit d’établir d’indéniables complicités, de deux auteurs, puis de plusieurs. Un corpus est exhumé, et les plans de la maison apparaissent, lisibles, à l’intérieur de chaque ouvrage, chacun semblant...

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La presse

Rencontre avec Jean-Luc Bayard qui, à partir d’indices glanés dans ses lectures assidues d’ouvrages édités chez P.O.L, échafaude une enquête oulipienne sur les traces d’espions littéraires.


A partir de quelques livres du catalogue, tous publiés en mai 2000 et auxquels il trouve des points communs, Jean-Luc Bayard écrit P.O.L nid d’espions, tout à la fois une histoire volontairement partielle des éditions P.O.L, un pastiche de filature sur la trace d’un hyperlivre qui condenserait l’essence cachée de P.O.L, un essai sur la lecture et, surtout, un hommage à Georges Perec, dont Paul Otchakovsky-Laurens a édité La Vie mode d’emploi et Je me souviens. Très structurée, l’enquête progresse à travers les amis de Perec (Roubaud, Mathews), slalome dans son œuvre, cite d’excellents palindromes et s’achève sur son premier livre, qui fut aussi le dernier, édité posthume en 2012 : le Condottière. Rencontre avec Jean-Luc Bayard, par ailleurs directeur de la recherche à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Saint-Etienne.
Comment est venue l’idée d’écrire P.O.L, nid d’espions ?
Deux livres publiés par P.O.L en 2000 se sont rapprochés pour n’en faire qu’un : Le Consul d’Islande, d’Emmanuel Hocquard, et Sainte-Catherine, de Harry Mathews. Je trouvais quatorze phrases communes à ces deux livres pourtant très brefs, des mots qui sautaient d’un livre à l’autre. Qu’en faire ? Cinq ans après ma découverte, Harry Mathews publie Ma Vie dans la CIA. Me reviennent en mémoire ces quatorze phrases et je fais une hypothèse : Hocquard et Mathews communiquent par leurs livres, donc Hocquard aussi appartient à la CIA. En 2007, je résume ce scoop en cinq pages, je l’envoie à Libé et au Monde : pas de réactions. Démuni, j’envoie par mail les cinq pages à la maison P.O.L qui met le texte sur le site en le titrant : P.O.L, nid d’espions. C’était un aveu de Paul Otchakovsky-Laurens. Lui-même me mettait sur la piste de cet exercice d’infiltration. J’ai continué, les signes s’accumulaient : Bernard Noël, publié chez P.O.L, m’a offert le Condottière, le premier roman de Perec publié posthume récemment. Et chez qui dormait le manuscrit du Condottière ? Chez Alain Guérin, journaliste d’investigation à L’Humanité - et agent de la CIA. Vous avez remarqué que dans mon livre, tout allait par deux ?
1973 est une date importante dans le livre : Harry Mathews entre à l’Oulipo. Perec commence à rassembler ses souvenirs pour Je me souviens. Que faisiez-vous cette année-là ?
J’avais 14 ans et je quittais mon village, La Chaise-Dieu, pour entrer au lycée au Puy-en-Velay. A ce moment-là, le dessin compte davantage pour moi que la littérature, mais j’aime Baudelaire, comme beaucoup d’ados ; Les Hauts de Hurlevent, Ramuntcho, de Loti, et Le Livre de Monelle, de Marcel Schwob, une lecture décisive, parce qu’en lisant plus tard Les Nourritures terrestres, je découvre les passerelles qui relient ces deux livres et les livres en général. Le chemin de la lecture est celui qui va d’un livre à l’autre.
Aimez-vous la Chartreuse de Parme qui est, à la fin du livre, « le centre de l’étoile, à partir duquel tout s’éclaire » ?
Je ne sais pas. J’ai un rapport difficile aux grands livres. Je suis un lecteur des contemporains, Cadiot, Hocquard, Bernard Noël, Danielle Mémoire, plus loin dans le temps Blanchot et Perec : ils me donnent la clé et je fais la marche à reculons. Je fonctionne sur un mode connectique, par rapprochements. Je vais lire La Chartreuse parce que j’ai lu 53 Jours de Perec.
On lisait dans votre famille ?
Non, chez nous il y avait un dictionnaire et un roman. Bizarrement, c’était le quatrième tome des Jeunes Filles de Montherlant, Les Lépreuses. Mon père avait une boucherie-charcuterie, ma mère travaillait avec lui. Mon premier métier, c’est garçon-boucher. Je suis né dans une maison à 1 100 mètres d’altitude, dans ce village blotti autour d’une église-tombeau, fondée au XIe siècle par le neveu de saint Odilon dans la plus pure tradition bénédictine. Et l’un des moines de cette église est le pape Clément VI. Il a décidé de faire de cette église son tombeau. La Chaise-Dieu, c’est un pape pour 900 habitants. Il y a des bois, de la neige, deux saisons, l’été qui dure trois mois, l’hiver qui dure neuf mois. J’ai eu la chance de naître dans cette proximité avec la nature, de sentir un contact avec les commencements de l’humanité. Le festival de musique classique de La Chaise-Dieu fut créé en 1966 ; j’avais 7 ans.
Grandir à La Chaise-Dieu, c’était faire l’expérience de la grotte de Lascaux : éprouver la tension entre l’œuvre d’art par excellence, Rhapsodie hongroise jouée par Cziffra père et fils, et les forêts d’épicéas, la rivière, le jardin ; avoir l’intuition que le théâtre de l’humanité, c’est à la fois l’attente des écrevisses et Cziffra. Mon père aimait chasser, pêcher, il m’a appris l’attente ; ma mère m’a appris le travail. Mes parents n’ont jamais pris de vacances, mais qu’est-ce que ça veut dire, des vacances, pour un homme préhistorique ? Ils m’ont aussi appris la séparation : « Va en ville, mon fils. »
Vous rapprochez l’écriture de l’architecture…
J’ai passé quelques années en compagnie d’Edmond Jabès, sur lequel j’ai fait une thèse. Son premier livre s’intitule Je bâtis ma demeure. Il a l’intuition très claire qu’existe une parenté entre écriture et architecture. Je l’ai éprouvé tôt, dans des lectures pour moi déterminantes, qui furent plutôt du côté de la poésie. J’entre dans un poème comme dans une église romane : je compte pour comprendre. L’écriture, c’est une mise en espace. C’est pour ça que j’ai du mal avec les romans policiers, qui jouent dans le temps plus que dans l’espace. Le palindrome est une mise en espace. Je voulais écrire un livre-palindrome, qui soit le livre de la vie dans un sens, et celui de la mort si on le commence par la fin, avec 53 Jours, que Perec écrivait au moment de sa mort, et Le Condottière, premier et dernier livre de lui.
Un portrait de Paul Otchakovsky-Laurens, à qui est dédicacé votre livre ?
Un silencieux. J’ai été bouleversé par Une jeunesse aphone, le troisième tome de l’autobiographie de Santiago Amigorena, parce que j’y ai vu un silencieux et tout au bout je me vois, moi, le silencieux que j’essaie de ne plus être. Otchakovsky-Laurens, c’est le lecteur par excellence sur les traces duquel je me suis lancé et que je ne rattraperai jamais, puisque je n’arrive pas à lire tous les livres de sa maison alors qu’il lit tous les manuscrits de sa maison.
Remarquez-vous des invariants dans ses goûts ?
Je pense qu’il aime la géométrie, qu’il poursuit une figure qui, pour être visible, doit réunir les points les plus éloignés les uns des autres, d’où l’hétérogénéité de ses choix d’éditeur.


Propos recueillis par Virginie Bloch-Lainé , Libération, 6 août 2015

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Jean-Luc Bayard, P.O.L nid d’espions, P.O.L ni d'espions Jean-Luc Bayard mai 2015